Antiquaire

Marchands « en chambre », une pratique en plein dans l’actualité

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2020 - 1188 mots

Des marchands ont choisi de pratiquer leur métier sans l’exercer dans une galerie sur rue. Ce modèle, qui tend à se répandre, prend tout son sens dans le contexte de crise sanitaire du moment.

Depuis une douzaine d’années, la Galerie Hioco, spécialisée en art indien et du sud-est asiatique, est installée dans un appartement rue de Falsbourg. © Galerie Hioco.
Depuis une douzaine d’années, la Galerie Hioco, spécialisée en art indien et du sud-est asiatique, est installée dans un appartement rue de Falsbourg.
© Galerie Hioco

Courante en Angleterre et aux États-Unis, la pratique du métier d’antiquaire en appartement était peu usitée en France jusqu’à récemment. Mais, depuis 15 ou 20 ans, environ 10 % des marchands français ont adopté ce format. Et il se pourrait bien que le travail en chambre prenne de l’ampleur avec la crise sanitaire sans précédent qui se joue en ce moment et qui a contraint à la fermeture de toutes les commerces d’art et d’antiquités.

Ne pas avoir de vitrine sur rue implique différents types d’organisation. Il y a d’abord la galerie « en étage », ouverte sur rendez-vous, à la manière d’une galerie privée, comme celle de Damien Boquet (tableaux et dessins du XXe et XXIe, avenue Hoche, à Paris, comme tous les antiquaires mentionnés dans cet article). Ou bien ouverte toute la semaine au public, comme la galerie Alexis Bordes (tableaux et dessins anciens, rue de la Paix). « Lors de mes pérégrinations à Londres et à New York, je me suis rendu compte que les grandes galeries étaient en étage, qu’elles faisaient plusieurs publications par an, qu’elles participaient aux foires internationales et que cela suffisait. Cette formule m’a séduite et j’ai opté pour elle. Selon moi, la galerie traditionnelle sur rue est un concept un peu périmé, surtout depuis Internet », observe le marchand. Son confrère, Maurizio Canesso a été l’un des premiers à adopter cette formule dès 1994, rue Rossini (depuis 2005, il est en rez-de-cour, rue Laffite). « C’est un véritable choix de ne pas avoir de vitrine, car nous nous adressons à un public averti, qui nous connaît », commente-t-il.

Certains travaillent à domicile, sans lieu d’exposition, se déplaçant directement chez le client. C’est le cas de Virginie Lasala (armes anciennes) : « J’ai une boutique en ligne qui montre mon champ d’action avec des photos sur lesquelles il suffit de cliquer pour avoir le descriptif. Prix et renseignements complémentaires se font sur rendez-vous », détaille-t-elle. « J’ai un grand appartement que je partage avec un ami qui est courtier en tableaux. C’est une sorte de showroom », explique pour sa part Maxime Charron (souvenirs historiques).

D’autres – sans doute les plus nombreux – disposent d’un simple bureau et reçoivent sur rendez-vous, comme Renaud Montméat (art asiatique) qui souhaitait « avoir moins de frais » et être « plus mobile », ou Jean-Luc Baroni récemment rentré de Londres pour s’installer place Vendôme, sur le même palier que son confrère Emmanuel Marty de Cambiaire. Ces deux derniers modèles – qui répondent le plus aux consignes sanitaires actuelles – pourraient bien avoir un bel avenir devant eux.

Une solution économique

Hormis le désir d’exercer son métier en toute discrétion, travailler de cette manière peut avoir été dicté par des raisons financières, car aujourd’hui posséder une galerie sur rue coûte cher. Se dispenser de loyers, bien plus élevés sur rue notamment dans les beaux quartiers, ou de stock – qui occasionne des frais de restauration, d’encadrement… – permet de limiter les dépenses. En outre, la désertion des galeries par les clients depuis l’avènement des foires et Internet a pu aussi induire ce choix. « Je n’ai jamais eu de boutique, car j’avais observé qu’il y avait de moins en moins de clientèle de passage », confie Christophe de Quénetain (mobilier et objets d’art du XVIIIe). « Avant, je pensais qu’avoir une galerie allait m’apporter des clients de passage mais, au final, c’était très peu », renchérit Maxime Charron, qui a expérimenté quelque temps la galerie sur rue.

Ne pas être visible de la rue comporte plusieurs avantages. La confidentialité, notamment dans les transactions tant à l’achat qu’à la vente, est indéniablement un atout. Les grands collectionneurs et les conservateurs de musées sont friands d’endroits atypiques, un peu feutrés, à l’écart des regards. « C’est une tendance forte du marché », confirme Alexis Bordes. « Je me suis de plus en plus spécialisé sur des pièces de collectionneurs rassemblant de vraies collections, donc je voulais un endroit où l’on puisse travailler sérieusement, y réaliser des expertises scientifiques… Dans une galerie sur rue, les gens rentrent, sortent, on est interrompu – même à titre amical – ce qui laisse moins de temps pour approfondir les recherches », explique Christophe Hioco (art indien et du sud-est asiatique, voir ill.). Depuis une douzaine d’années, il possède une galerie en étage, dans un appartement rue de Phalsbourg, après avoir tenu une boutique durant trois ans. « Et dans un appartement, le client peut se projeter, bénéficier de la lumière du jour et rester aussi longtemps qu’il le souhaite. Certains y passent la journée ! », ajoute-t-il.

N’avoir qu’un bureau est aussi synonyme de liberté. « Quand on a une galerie, il faut y rester car, en général, les clients passent voir le marchand, non son collaborateur. Or j’aime faire des recherches, je préfère être aux archives nationales que dans une galerie », témoigne Christophe de Quénetain.

Des inconvénients indéniables

Mais ne pas avoir de galerie comporte aussi des inconvénients. Franck Baulme (tableaux et dessins anciens) a fait le choix inverse puisqu’après avoir exercé en chambre, il s’est installé dans une galerie Quai Voltaire. « Travailler en chambre demande d’avoir des clients bien organisés, car des rendez-vous doivent être fixés, ils ne peuvent pas passer à l’improviste comme dans une galerie. Et, si vous recevez chez vous, ce n’est pas forcément agréable d’avoir des clients qui poussent la porte de votre salle à manger ! » Autre désavantage : « Quand, sur un salon, vous annoncez à un client qui a envie de revoir plusieurs objets que vous n’avez pas de galerie et que les objets repartent en réserves, cela ne plaît pas toujours d’avoir à reprendre rendez-vous », admet Virginie Lasala. De même, ne disposer que d’un bureau ne permet pas d’organiser des expositions, l’un des principaux leviers pour se faire connaître.

Comment se faire connaître sans boutique ? Les marchands qui ont opté pour cette discrétion pallient ce manque de visibilité grâce aux salons, source première pour une prise de contact, aussi bien à l’achat qu’à la vente. Le réseau aussi est essentiel. « Des confrères ou consœurs peuvent nous envoyer un client qui cherche une pièce spécifique, qu’eux n’ont pas, par exemple », ajoute Virginie Lasala. Enfin, le référencement sur Internet, sur un site personnel régulièrement alimenté ou des plateformes comme Anticstore ou Proantic, compte aussi. De nombreux marchands assurent réaliser nombre de ventes en ligne. « Pour toucher le public, en plus des grandes expositions que nous organisons et des salons, notre site et les réseaux sociaux permettent aujourd’hui de partager nos découvertes et notre travail avec le plus grand nombre, en temps réel », témoigne Maurizio Canesso.

Si l’activité de marchand en tableaux, dessins, objets d’art ou sculptures est aisément praticable de cette manière, pour le design et le mobilier, la galerie sur rue reste la formule privilégiée – même si de grands marchands spécialisés en œuvres d’art et/ou mobilier ancien se sont installés à l’abri des regards dans un hôtel particulier, à l’instar des galeries Kugel (quai Anatole-France) ou Steinitz (rue Royale). Une fois la renommée établie, qu’importe le mode d’exercice, pourvu que le fichier-clients vive.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Marchands « en chambre », une pratique en plein dans l’actualité

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