Pour beaucoup, l’estampe n’est rien d’autre qu’une reproduction de type artisanal.
Tout en commettant l’erreur de l’ignorer en tant que création originale, réalisée par l’artiste lui-même, cette idée reçue n’est pas fausse si l’on entend par "reproduction" le fait de produire à plusieurs exemplaires. En outre, une telle vision des choses a le mérite de souligner l’incongruité d’un travail qui persisterait à vouloir faire à la main ce que les machines assument avec une rapidité, une précision, une économie toujours plus grandes. Inactuel : tel est le maître mot d’un produit qui semble cumuler les handicaps sur la scène contemporaine. L’estampe est une technique hors du temps : les bois de Per Kirkeby sont exécutés comme les xylographies du XVe siècle, les eaux-fortes de Lucian Freud comme celles de Rembrandt. L’estampe se diffuse, mais elle n’est pas médiatique : elle s’impose une limitation volontaire de tirage, tout en se privant du prestige de l’œuvre unique.
Aurait-on affaire à une simple coquetterie d’amateurs, comme les timbres de collection et les vins millésimés ? Il n’est que de se promener dans certaines biennales de la gravure pour constater le culte obsessionnel de la signature et de la numérotation, de toutes ces marques de garantie qui font quelque peu l’effet d’une pastille AOC sur un produit de consommation. On se gardera bien de nier que le sentiment de décalage est parfois grand entre ces certificats de fabrication – certainement fondés – et la qualité du produit lui-même, à l’instar de ces aliments labellisés naturels qui n’ont pas de goût pour autant.
Matrices d’imaginaire
L’estampe n’a pas toujours été signée, numérotée. Elle n’a pas non plus toujours tenu ce rôle de création originale, relevant du marché de l’art. Les premières estampes sont des images, avec toute la trivialité qui s’attache au terme : des images de piété, des cartes à jouer, des illustrations de livres. Ce statut ne l’abandonnera jamais, en fait jusqu’à l’aube de ce siècle où c’est à la photogravure et aux procédés apparentés qu’il revient désormais de tout reproduire et de tout diffuser, avant que l’écran ne s’en mêle à son tour.
Depuis la fin du XIVe siècle – époque du “bois Protat” où l’on voit la première matrice d’impression européenne, les Chinois ayant découvert la xylographie des siècles auparavant –, la gravure couvre le plus large champ iconographique de l’imaginaire occidental. Pléthorique, elle est aussi protéiforme. Tandis que peinture et sculpture se maintiennent pour l’essentiel dans les limites de certains genres (histoire, mythologie, portrait...), elle se déploie sur tous les terrains du visible. À ses débuts, elle se trouve à cheval entre plusieurs corps de métier : les bois gravés fournissent un patron aux miniaturistes qui, dans les livres d’heures, enluminent entièrement les épreuves imprimées pour les métamorphoser en véritables peintures. Quant à la gravure en taille-douce, on attribue son invention aux orfèvres qui ont l’idée d’encrer et d’imprimer leur ouvrage. Dürer naît et se forme dans une famille d’orfèvres ; c’est à cet apprentissage qu’il doit sa dextérité dans le maniement du burin. De ce double héritage – des miniaturistes et des orfèvres – viendra à l’estampe sa précoce et durable excellence dans l’art de la narration et celui de l’ornement.
Des illustrations de Botticelli pour la Divine Comédie jusqu’à celles de Picasso pour le Chef-d’œuvre inconnu, l’histoire de la gravure se trouve pour moitié dans les livres. Le graveur, disait Henri Focillon à propos de Jacques Callot, tient sa pointe comme une plume à écrire : l’estampe s’est constituée un langage de traits (on dit “tailles”) noirs sur fond blanc – ou parfois blancs sur fond noir, comme les linogravures de Matisse pour Pasiphaé de Montherlant – qui entraient en parfaite communauté graphique avec le texte imprimé. Même quand elle n’illustre rien en particulier, la gravure colporte les dogmes, les croyances et les idées. Tout comme le livre, sa logique est la diffusion.
Au premier rang des sujets qu’elle traite, on ne s’étonnera pas de trouver la foi et les traditions populaires, avec des images de saints à coller chez soi, à porter comme des amulettes ou même à avaler à titre prophylactique. La gravure sert également de vecteur à la diffusion du goût (figures de mode, modèles de coiffure ou de mobilier), de la connaissance scientifique (cartes géographiques, traités de proportions, planches architecturales, médicales, botaniques), ou des simples faits divers, tel Le Rhinocéros de Dürer, exposant en 1515 aux regard du public allemand une bête arrivée à Venise et que le graveur n’a manifestement jamais vue lui-même. Enfin, c’est elle qui reproduit les tableaux, et cette gageure qui consiste à convertir la couleur en noir et la couche de peinture en traits va engendrer des dynasties de praticiens virtuoses, aux XVIIe et XVIIIe siècles, qui ont pour nom Audran, Chéreau, Cochin, Drevet, Le Bas, Wille.
La gravure est un instrument de la politique, qu’elle serve l’image du prince (L’Arc de triomphe de Maximilien par Dürer, les fêtes de Louis XIV par Israël Silvestre), ou qu’elle cherche à le discréditer par les voies de la caricature (la tête de Louis-Philippe en forme de poire). L’humour, largement banni de la peinture et de la sculpture, s’est réfugié dans la gravure, où se constitue une histoire parallèle de l’art occidental, faite de rire et de sacrilège. À cet égard, on remarquera qu’il n’est pas rare que les peintres satiriques soient également de grands graveurs, comme c’est le cas de Van Ostade ou de Hogarth.
La gravure est une langue noble, admise à l’Académie de peinture sous Louis XIV. Mais elle sait aussi parler l’argot, maintenir une perméabilité créatrice entre ses formes anonymes et ses figures d’élite. De grands noms, signant leurs planches – Bosse, Callot ou Goya –, peuvent traiter des sujets qui proviennent en ligne directe de l’imagerie populaire ou semi-populaire, comme les proverbes, les métiers, le cycle des saisons ou des âges de la vie.
Parce que le papier circule et se cache plus facilement que tout autre support, c’est aussi à la gravure que se voit confiée la représentation des outrages aux mœurs, constituant un “enfer” parallèle à l’enfer des livres, et associant au terme même d’estampe une solide connotation de perversité. Ici, l’irreprésentable est de tradition, qu’il s’agisse de violence ou de sexe : c’est pourquoi l’œuvre gravé de Rembrandt peut compter La Pisseuse et Le Lit à la française, à côté des Trois Croix et de La Pièce aux cent florins.
La beauté du trivial
Ce serait une erreur – et une déformation caractéristique de la culture muséale dans laquelle nous baignons – que de vouloir aborder l’histoire de l’estampe du seul point de vue des “maîtres”, de Dürer à nos jours. Sa fonction utilitaire et documentaire, qu’il s’agisse de botanique ou de pornographie, a dominé l’estampe pendant la majeure partie de son histoire, la “gravure de peintre” (réalisée par l’artiste lui-même dans une finalité purement artistique, au même titre qu’un tableau) n’y occupant qu’un rôle secondaire. Or, loin d’être desservie par cette position subalterne, elle y aura trouvé son principal atout : une liberté de ton, un sens éminent du détail prosaïque, un intérêt pour les anti-héros que s’interdisent trop souvent les genres majeurs – une saveur que l’on pourrait comparer à celles des lettres et des carnets pour les écrivains.
Représenter un postier en tournée (Rowlandson) ou une figure de mode (Watteau), un hannap (Altdorfer) ou un manchon en fourrure (Hollar), un bras écorché (Gautier-Dagoty) ou une verrue (Ribera), un combat de boxe (Géricault) ou de taureaux (Goya), illustrer un titre de musique (Manet) ou un fait divers (Daumier) : une telle “revue de détail” est le pain quotidien de la gravure. Ces bas morceaux de l’art s’avèrent souvent être les meilleurs dans l’œuvre même d’un artiste, à l’exemple des eaux-fortes de Daubigny, très supérieures en naturel à ses peintures “naturalistes”, ou des sombres et magnifiques gravures d’Albert Besnard, empreintes d’une gravité dont les décorations officielles de ce dernier sont totalement dépourvues.
Avec la mise au point de procédés photomécaniques de reproduction, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, cette singularité de l’estampe est mise en péril. Les techniques nouvelles – outre l’économie qu’elles représentent, les procédures étant beaucoup plus rapides et mécanisées – apportent à l’image documentaire une exactitude que jamais la gravure manuelle n’était susceptible d’atteindre. Elles vont mettre au chômage une profession toute entière, celle des graveurs de reproduction. Désormais les portraits, les vues, les planches anatomiques et botaniques, les reproductions d’œuvres d’art, l’illustration des livres – l’horizon à peu près complet de l’image imprimée – passent des mains du graveur à celles du photograveur.
Ne reste aux techniques d’estampe traditionnelle (la taille-douce, la gravure sur bois, la lithographie) qu’une frange mineure du marché, celle des livres de bibliophilie et des estampes originales. La lithographie demeure pour quelque temps encore le procédé d’exécution des affiches, tandis qu’une certaine littérature populaire est illustrée par un succédané du bois gravé, la linogravure. Mais, pour l’essentiel, l’estampe est dorénavant une affaire de peintres et de peinture. Ou plus exactement de marchands d’art : ceux qui, bénéficiant d’une demande en pleine expansion, vont trouver dans l’estampe originale une forme de “produit dérivé” propre à satisfaire de nouveaux amateurs.
Parce qu’elle est en couleurs, quand la reproduction des œuvres d’art est, dans la plupart des cas, limitée au noir et blanc, et surtout parce qu’elle se démultiplie – donc se diffuse –, l’estampe prend de surcroît la dimension d’une “caisse de résonance” appréciable pour la peinture que vendent ces mêmes galeries : l’aventure d’un Vollard éditeur ne doit jamais être séparée de ses intérêts de marchand, même si cette logique commerciale ne préjuge en rien de la valeur artistique des estampes et des livres en question, signés Bonnard, Vuillard, Rouault ou Picasso. Cet aspect “publicitaire” de l’estampe ne s’est pas démenti par la suite, bien au contraire : en doublant leur galerie d’art par une maison d’édition d’estampes, de grands marchands comme Maeght, Castelli ou Marlborough ont su le comprendre à leur tour.
Force est de constater que ce nouveau rôle dévolu à l’estampe n’est pas resté sans conséquences sur la nature des estampes elles-mêmes. Non qu’elles aient une quelconque mission de reproduction, au sens documentaire où les siècles précédents l’entendaient – ce fut néanmoins le cas pour certaines éditions de ce siècle, par exemple la série de gravures commandées à Jacques Villon par la galerie Bernheim-Jeune. Le plus souvent, il s’agit bien d’estampes originales, exécutées sur cuivre ou sur pierre par les artistes eux-mêmes sans se servir d’un modèle pictural. Mais il n’est pas interdit de penser qu’une certaine tendance de l’estampe moderne s’est mise à imiter la peinture, à se donner la couleur de la peinture, la matérialité de la peinture, et jusqu’au format du tableau. Qu’on regarde, pour s’en convaincre, certaines gravures de Miró dépassant le mètre en hauteur et recourant à la technique du carborundum, qui permet de reproduire en gravure les empâtements de l’huile sur toile. Beaucoup d’exemples similaires pourraient être cités.
Ce dessein pictural de l’estampe allait trouver son point d’orgue, dans les années soixante et soixante-dix, avec la vogue du “multiple”, véritable tableau-papier qui, prétendant mettre à concours les possibilités de duplication de la lithographie et de la sérigraphie – pour mettre l’art à la portée de tous – a réduit l’art de l’estampe à un succédané, à une peinture aplanie et vaguement miniaturisée.
Retenue de l’estampe
“L’estampe est une empreinte d’art, unique ou multipliée”, écrivait Odilon Redon. Elle transforme le processus d’impression en principe actif, mobilisant le matériau imprimant. Le même dessin, gravé sur cuivre ou sur bois, ne produira pas le même résultat, et tout l’art du graveur consiste à s’immiscer dans ces interstices qui peuvent paraître futiles mais rendent l’estampe irréductible à tout autre forme d’expression artistique.
L’expérience prouve que cette irréductibilité est d’autant plus perceptible que les moyens sont simples. On pourra remarquer, à cet égard, que les peintres se montrent souvent très circonspects dans l’usage de la couleur lorsqu’ils se mettent à graver – que l’on songe à Matisse, à Picasso (à l’exception des tardives linogravures) ou, plus proche de nous, à Jean-Pierre Pincemin. Ceux qui utilisent la couleur s’arrangeront pour qu’elle ne soit pas couvrante – à la façon dont les couches, en peinture, se couvrent les unes les autres –, pour que l’optique des couleurs n’éclipse pas la qualité tactile inhérente à toute estampe. La gravure n’est jamais aussi bonne que dans cette retenue, qui n’est pas rétention. Si l’estampe se prête admirablement aux œuvres intimes, réservées – de Morandi à Marden, de Szafran à Aillaud –, elle peut également recéler une sombre violence, que l’on reconnaîtra par exemple dans “l’écriture griffée” de Wols, de Rainer, de Dado.
Les contraintes de l’estampe vont imprimer leur marque sur le travail d’un artiste, ouvrir un nouveau chapitre dans son œuvre – parfois surprenant, comme nous le montre la gravure des sculpteurs, celle de Louise Bourgeois, de Chillida, de Flanagan, de Skoda... La différence est-elle seulement d’ordre graphique ? Quand Louise Bourgeois prend son burin pour graver, c’est pour y développer un style narratif qui n’a aucun équivalent dans le reste de son œuvre – où la biographie apparaît toujours enveloppée dans les symboles, qu’il s’agisse de boules, de cellules ou d’araignées. Ici, dans la gravure, Louise Bourgeois se raconte sur un mode séquentiel et descriptif qui s’enracine profondément dans l’histoire occidentale des images. Quand Barry Flanagan abandonne momentanément le bronze ou les boudins de sable pour se faire aquafortiste, il flirte avec la tradition documentaire de l’image pour nous relater tel voyage en Écosse ou pour disséquer les différentes parties du cheval, dans la tradition des planches anatomiques.
La face gravée des artistes modernes et contemporains nous révèle fréquemment de telles échappées vers des horizons extra-artistiques, qu’il s’agisse de sciences, de reportage ou de politique. L’art n’en est pas moins là, miraculeusement dissocié du formalisme régnant. Alors que Picasso, dans Guernica, entendait ennoblir la dénonciation politique par la caution de la peinture d’histoire, il a utilisé les codes ô combien triviaux de la bande dessinée pour traiter du même thème en gravure : Songe et mensonges de Franco (1937).
C’est quand elle se fait reportage que la gravure du XXe siècle montre avec le plus d’éclat sa dette envers le passé, et qu’elle marque simultanément sa différence au sein du contexte artistique ambiant. Callot graveur nous décrit les tréteaux de la commedia dell’arte, Manet la queue devant la boucherie pendant le siège de Paris : l’estampe a toujours su recueillir l’anecdote, au meilleur sens du terme. Elle a constamment fait preuve d’une présence au monde le plus transitoire et le plus circonstanciel qui, au XXe siècle, désertera foncièrement les avant-gardes picturales pour passer entre les mains du photographe. Or, il semble que la gravure ait été la plus lente à abandonner ce terrain-là, celui des visions fugitives et du témoignage vécu. Quand Giacometti dialogue avec l’Égypte et les Cyclades dans son œuvre de sculpteur, il n’hésite pas, lorsqu’il se met à graver, à chuter dans l’ici et maintenant du piéton de Paris à la rencontre des enseignes, des feux de signalisation, des Deux-chevaux. C’est Paris sans fin, une réunion de 150 lithographies faites au jour le jour. On y voit l’auteur de L’objet invisible endosser l’habit du reporter-dessinateur, à la suite de Constantin Guys et de Degas. Pour Paris sans fin, Giacometti se servait d’une liasse de papiers-reports qu’il pouvait transporter partout dans ses pérégrinations, comme le bloc-notes d’un journaliste. De retour chez Mourlot, ces notes de promenades étaient reportées sur pierre et tirées en lithographie. Graveur sur cuivre, Dunoyer de Segonzac n’a jamais opéré autrement, et ses excellents reportages sur le sport – vélo ou boxe – ont été réalisés sur le vif, pointe sèche et cuivre en main. À l’instar du dessin, la gravure peut se transporter sur le terrain et saisir l’événement. Elle excelle à capter le mouvement, comme nous le montrent les feuilles de Pascin où le chaos d’un dancing ou d’une terrasse de café nous sont restitués par un simple trait. Mais, contrairement au dessin, elle saura reproduire autant de fois qu’on lui demande, avec la même fraîcheur, ce qu’elle n’a improvisé qu’une seule fois, dans l’instant.
Cette conjonction d’expérience vécue et de mémoire répétée rapproche l’estampe de la photographie. Avant la photo, c’est l’estampe qui aura servi de multiplicateur à l’événement, au sens le plus circonstanciel du terme, à fixer dans les mémoires ce qui était promis à l’oubli. C’est grâce à elle que les lecteurs du Charivari et de La Caricature peuvent mettre, par l’entremise de Daumier, une image sur des faits aussi divers que les bavures policières du règne de Louis-Philippe, la vogue des bains de mer et les salons de peinture. Elle anticipe la photographie et la photographie la détrône.
Cependant, quelques incurables retardataires persistent à lui confier la relation des événements, en plein vingtième siècle. On notera que c’est par la gravure qu’Otto Dix et Zoran Music choisissent de témoigner sur la guerre qu’ils ont connue. Il y a, dans cette obstination à réserver à la main et à l’outil du graveur une mission que l’objectif du photographe s’est désormais arrogée sans partage, comme une sorte de résistance qui pourra sembler pathétique ou même odieuse à certains. Ce parti pris d’instruments anciens, traditionnels, pour rendre compte de l’événement très directement contemporain, prend évidemment valeur de manifeste : traiter l’actualité la plus brûlante, la plus tragique et la plus collective, avec cet art fragile et subjectif du dessinateur. D’autre part, recourir à la désuétude même d’un procédé – l’eau-forte – pour évoquer une actualité que les journaux, eux, tenteront de montrer sous une forme sensationnaliste (le fameux “choc” des photos), comme si l’événement valait pour cela même qu’il n’avait aucun précédent. À travers le filtre de l’eau-forte – technique utilisée par Callot pour graver ses Misères de la guerre et par Goya pour ses Désastres de la guerre –, il nous semble au contraire que nous voyons le présent immédiat de très loin, depuis l’Histoire elle-même. Comme l’exprime si bien le titre d’une série d’eaux-fortes de l’Américain Robert Morris consacrée au même sujet, Continuities, l’obsolescence de la technique, dans ces gravures, est porteuse de sens : elle “déçoit” toute magie du contemporain, tout mirage d’un présent inaltérablement nouveau.
Paris va vivre, en juin, son deuxième Mois de l’estampe. Ateliers, galeries, institutions culturelles multiplient les initiatives pour mieux faire connaître une forme d’expression, prise souvent à tort pour une simple reproduction. À cette occasion, ce Vernissage est entièrement consacré à l’estampe. Vous lirez tout d’abord une brève histoire de ce produit hors du temps, qui fait de ses handicaps la base d’une création profondément originale. L’estampe a rempli de nombreux rôles, notamment celui d’illustrer des livres. Nous vous montrons comment, dans ce domaine, elle est devenue plus audacieuse. Vous découvrirez une sélection des expositions actuellement présentées, ainsi que des lieux voués en permanence à cet art. Enfin, quelques conseils guideront votre œil.
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L’orfèvrerie des images
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Abonnez-vous dès 1 €La taille-douce désigne le procédé d’impression des gravures sur cuivre, zinc ou acier, le métal pouvant être gravé soit directement avec un outil (burin, pointe sèche, matière noire), soit à l’acide (eau-forte, aquatinte). Le cuivre est encré, puis essuyé pour éliminer toutes traces d’encre en dehors des tailles. Les épreuves sont obtenues en pression sur une presse par report du cuivre sur le papier. Un nouvel encrage est nécessaire pour chaque épreuve. Les tirages en couleurs sont réalisés soit à la poupée (on met en couleur un seul cuivre), soit en repérage (un cuivre par couleur).
La lithographie utilise les propriétés chimiques d’une pierre calcaire (carbonate de calcium) qui, après avoir été traitée par un mordant, fixe le dessin. À l’encrage, la pierre humidifiée refusera l’encre aux endroits intacts, elle sera “amoureuse d’encre�? aux endroits dessinés. Comme en gravure, on devra encrer la pierre pour chaque épreuve, et préparer et dessiner autant de pierres que de couleurs. La lithographie offre aux artistes une grande diversité de moyens d’expression : craie, crayon, plume, tampon, lavis...
Le bois gravé (xylogravure) est un procédé de gravure en relief. Les blancs du dessin correspondent aux taille (creux). Dès le Moyen Âge, il est le principal moyen de diffusion de l’image (cartes à jouer, armoiries, lettrines).
Le pochoir est la plus ancienne technique de mise en couleur de la gravure (bois et cuivre). Le pochoir est un masque découpé à l’aide d’une pointe en acier – parfois gravé à l’acide – dans une feuille de zinc – en carton huilé au Moyen Âge –, appliqué sur l’épreuve en repérage manuel. La couleur (aquarelle, lavis ou gouache) est posée à l’aide d’une brosse ronde en soies de porc. Elle sera ensuite soit adoucie, soit jaspée (tamponnée) suivant l’effet recherché. On découpera autant de pochoirs que de nuances dans chaque couleur, tout en tenant compte des effets de superposition. La réalisation d’une estampe nécessite généralement entre 25 et 50 pochoirs.
La sérigraphie est le plus récent des procédés d’estampe. On utilise un écran de soie tendu sur un cadre. Le principe est le même que pour le pochoir. On réserve sur l’écran, à l’aide d’un vernis, les parties où la couleur ne doit pas s’appliquer, en laissant libres les parties de l’écran correspondant au dessin. L’encre est appliquée à travers les parties perméables de l’écran à l’aide d’une raclette. Chaque couleur nécessitera la préparation d’un écran.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : L’orfèvrerie des images