Après Soho, Williamsburg et Chelsea, le quartier de Long Island City grésille, depuis quelques mois, en face de Manhattan. Bien que de prestigieuses institutions soient ancrées dans ce quartier, entraînant dans leur sillage de nouvelles venues, les galeries n’amorcent, pour le moment, que de timides avancées.
NEW YORK - Si la construction du Queensboro Bridge avait favorisé, au début du siècle, le développement urbain de Long Island City, le paradoxe du métro new-yorkais permet aujourd’hui de relier l’élégante artère centrale de Lexington Avenue à ce nouvel îlot culturel. Intégré dans la vaste agglomération du Queens, doté de deux aéroports, ce quartier métissé est devenu le passage souverain conduisant à Manhattan. Grâce à sa très forte concentration d’artistes – environ 2 000 recensés – et d’actifs réseaux communautaires comme l’association Art Frenzy, Long Island City s’impose comme la terre d’élection de nombreuses institutions culturelles. “Au lieu d’être contraints de s’installer ici, les organismes culturels souhaitent réellement y venir”, assure Adam Rubin, directeur des projets spéciaux au Long Island City Business Development. Les tarifs de location des friches industrielles, entre 5 et 17 dollars pour moins d’un mètre carré, sont particulièrement attractifs au regard de l’inflation galopante de Manhattan.
PS1, le centre d’art alternatif réputé pour ses expositions de pointe, constitue la pierre angulaire du nouveau dispositif. L’électron libre a investi en 1976 une ancienne école publique en préservant pour une large part les volumes initiaux et l’aspect volontairement décati de l’édifice. Fort de l’“affiliation” de PS1, dans la lignée des grands chantiers muséaux new-yorkais, le MoMA a de son côté réaménagé l’usine du Swingline sous la conduite de l’architecte Michael Maltzan. Ce projet de rénovation, estimé à 28,7 millions de dollars devrait arriver à terme cet été. Pendant la durée des travaux dans la maison mère de Manhattan, le MoMA Queens offrira 2 500 m2 de vitrine intérimaire pour les expositions temporaires et une partie des collections permanentes. Au terme des travaux sur la 53e rue, prévus pour fin 2004, le Swingline abritera la bibliothèque et les archives, tout en servant d’entrepôt.
Le Centre Fisher Landau, ouvert dans la plus grande confidentialité en 1991, conserve 1 000 œuvres d’art appartenant à Emily Fisher Landau, collectionneuse réputée figurant au conseil d’administration du Whitney Museum. L’ancien atelier de fabrication de parachutes transformé en white cube présente essentiellement des artistes américains, notamment un des plus grands ensembles en mains privées d’Ed Ruscha. Autre vétéran installé à Long Island City, le Musée Isamu Noguchi expose, dans une ancienne usine de photogravure agrémentée d’un parc, près de 250 sculptures de l’artiste japonais qui s’était établi à Long Island City dès 1960. Dans un esprit similaire, le sculpteur Mark di Suvero avait installé son atelier dans une vieille usine en briques. En compagnie d’autres artistes, il avait engagé une campagne de nettoyage et de réhabilitation d’un no man’s land en bordure de l’Hudson, prémices du parc de sculptures Socrates. L’American Museum of Moving Image, situé depuis 1981 dans le district voisin d’Astoria, présente quant à lui une collection de souvenirs cinématographiques, des costumes d’Annie Hall aux produits dérivés de Star Trek. Le Sculpture Center, enfin, quitte l’Upper East Side pour Long Island City, à quelques blocs du binôme MoMA-PS1. Le centre, dont l’ouverture est prévue au printemps, entend tripler ses entrées de 6 000 à 18 000 dès la première année de son installation.
Augmentations des loyers
Inconnu des réseaux traditionnels new-yorkais, le Center for Media Art a ouvert ses portes au printemps 2001 en face de PS1. Cet espace dévolu aux technologies nouvelles capitalise sur la notoriété d’un parrain discret, Nam June Paik, et le financement de mécènes coréens et de partenaires locaux tel Con Edison. Bien qu’il ambitionne de s’imposer comme un laboratoire de recherche pour les étudiants et les professionnels, le démarrage est lent et l’espace est boudé par ses voisins immédiats.
Alors qu’un article du New York Times concernant la trop lente éclosion de ce quartier titrait en 1999 “Why Long Island City hasn’t happened”, il est fort à parier que l’installation de nouveaux mastodontes imprimera une dynamique et un cachet à ce quartier. Long Island City, qui aurait pu devenir le nouveau Soho des années 1990, a été éclipsé par Williamsburg, quartier populaire et animé de Brooklyn, où, depuis six ou sept ans, de nombreux artistes et plusieurs jeunes galeries se sont installés. Bien que Brooklyn suscite davantage l’adhésion des galeristes grâce à sa vie de quartier et ses cafés branchés, Jeffrey Deitch qui y avait ouvert une galerie l’année dernière, l’a fermée au terme d’une seule exposition, immédiatement après le 11 septembre, “pour se concentrer sur les activités à Manhattan”. Selon les rumeurs distillées parcimonieusement par les institutions, de nombreuses galeries envisagent d’investir Long Island City. Cette nouvelle polarité ne s’apparente toutefois pas à la migration des galeries d’Uptown vers Soho dans les années 1970, puis vers Chelsea au début des années 1990. Acculées par l’augmentation des loyers, elles se sont successivement déplacées, indifférentes à d’éventuels voisinages institutionnels. Le Guggenheim et le New Museum ne sont apparus à Soho que dans les années 1980, tandis que Chelsea demeure désespérément vierge de toute structure culturelle à l’exception du DIA Center for the Arts établi depuis 1987. La concentration géographique des musées, concept en vogue comme en témoigne le Kulturforum de Berlin ou le Quartier des musées de Vienne, pourrait peut-être cette fois servir de catalyseur.
Similitudes avec la rue Louise-Weiss à Paris
Certains observateurs s’avouent toutefois sceptiques quant à l’évolution commerciale de Long Island City. “Il me semble qu’il s’agit de deux logiques différentes. Aucune galerie n’est installée près du Guggenheim ou du Whitney Museum. Je pense que Chelsea va rester le lieu incontournable”, déclare l’ancien galeriste parisien Gilbert Brownstone. Marian Goodman avoue avoir refusé la proposition de partager un espace avec un autre galeriste désireux de s’installer à Long Island City. “Long Island City sera bien plus visité qu’avant, mais bien qu’il soit difficile de faire des prévisions, il me semble qu’il s’agira d’un quartier pour de toutes jeunes galeries”, déclare-t-elle. Indifférentes aux Cassandre, de petites galeries alternatives ont d’ores et déjà creusé la brèche. Une des plus anciennes, la galerie du Texan Eugene Binder, a ouvert dès 1995. La galerie Dorsky, créée en 1963 et installée depuis 1988 à Soho, a rejoint depuis peu l’enclave de Long Island City. Ce choix obéit à une logique à la fois financière et esthétique. “Nous pensons que le programme de notre galerie correspond davantage à la ligne du MoMA et de PS1. Par ailleurs, les prix prohibitifs de Manhattan nous ont encouragé à déménager. Nous avons discuté avec vingt ou trente galeristes qui semblent intéressés aussi bien à court terme – parce que leur bail arrive à échéance – qu’à long terme”, explique Noah Dorsky. Si Long Island ne peut détrôner Chelsea, idéalement située dans Manhattan, elle constitue une alternative expérimentale qui n’est pas sans évoquer le développement de la rue Louise-Weiss à Paris. “Je pense que d’ici dix ans, les galeries s’établiront à Long Island City et Brooklyn. Néanmoins, le renouvellement sera très différent de celui qui a marqué le passage de Soho à Chelsea. Chelsea a marqué la fin de Soho. En revanche, l’apparition d’un nouveau pôle ne fera pas cesser Chelsea car il faut un espace dans Manhattan. Contrairement à Soho, les galeries établies à Chelsea sont presque toutes propriétaires de leurs espaces. C’est un fait nouveau car les galeries n’achetaient pas leurs murs auparavant. Je pense que Long Island City sera dans un premier temps un pôle de tentatives, de petites galeries expérimentales que les clients les plus attentifs iront visiter les samedis et dimanches”, déclare Jean Fremon, codirecteur de la galerie Lelong à Paris et connaisseur de la scène new-yorkaise. Si les musées n’hésitent pas à se délocaliser, notamment le Dia Center qui enverra sa collection à Beacon, pourquoi les galeries ne pourraient-elles franchir le pas ? Encore faut-il surmonter la réticence épidermique des Américains à quitter Manhattan et à emprunter des ponts souvent encombrés. Reste aussi à développer, au sein même de Long Island City, un réseau de transports plus adapté. “Les institutions sont plus ou moins atomisées, les distances à parcourir pour aller d’un musée à un autre sont bien plus longues que les cinq blocs qui constituent le cœur de Chelsea”, regrette-t-on au Centre Fisher Landau. Afin de pallier les difficultés de circulation, le MoMA a mis en place depuis l’été dernier une navette, active le week-end, pour relier cinq institutions du Queens. Malgré le bréviaire des difficultés, n’oublions pas qu’il y a encore une dizaine d’années, il semblait inimaginable que le quartier de Chelsea, encombré de garages et d’ateliers de réparation, devienne le centre névralgique des galeries à la mode.
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Long Island City, un nouveau quartier de galeries ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°143 du 22 février 2002, avec le titre suivant : Long Island City, un nouveau quartier de galeries ?