Sur le marché de l’art, la cote des artistes surréalistes décolle depuis une dizaine d’années. La vente de la collection d’André Breton devrait contribuer à entretenir le phénomène. Un comble pour un homme qui rassemblait les objets en expurgeant toute notion de valeur marchande. Le prestigieux pedigree du moindre bois flotté devrait provoquer des enchères ubuesques, mais la collection Breton recèle de vrais trésors.
PARIS - Qu’est-ce que la collection Breton ? Pour Paris, c’est la vacation de l’année, voire de la décennie. Absentes de la dispersion, une douzaine de toiles ont été acquises par le Centre Pompidou, dont le Guillaume Tell de Dalí. Les héritières ont de plus tout récemment donné au Musée national d’art moderne La Danseuse espagnole (1928) de Miró, le portrait d’Hitler (1934) par Brauner et l’Affiche pour Arcane 17 (1944) de Matta. L’État a par ailleurs accepté la dation, le 13 février, d’un pan de mur de l’atelier du “42 rue Fontaine”, reconstitué récemment lors de l’exposition “La révolution surréaliste” du Centre Pompidou. Son agencement de deux cents objets, du crâne océanien au bois flotté en passant par le célèbre LHOOQ de Picabia, a été estimé comme une œuvre d’art. L’originalité de la collection Breton réside dans cette transcendance. Elle fait aussi sa valeur aux yeux des experts et futurs acheteurs. L’ensemble est estimé autour de 30 millions d’euros.
Durant les dix jours de la vente à Drouot, du 7 au 17 avril, livres, manuscrits, arts populaires, tableaux modernes, photographies et arts primitifs se succèderont en quelque 6 500 lots, contenu quasi intact de l’appartement de la rue Fontaine. Les pièces maîtresses de la collection de tableaux recueillent les plus hautes estimations. Le Piège de Juan Miró, œuvre de 1924 inspirée du jeu du “cadavre exquis” cher aux surréalistes, est estimé entre 3 et 5 millions d’euros. L’Américain Arshile Gorky, un artiste rare aux enchères en France, est représenté par L’Étude pour le tableau de Camberra. Cette huile sur toile de 1945 est estimée entre 1 et 1,2 million d’euros. Un relief en bois peint de Jean Arp, réalisé en 1927, devrait aussi faire sensation. Cette Femme est estimée entre 600 000 et 800 000 euros. La Femme cachée de Magritte (1929), malencontreusement craquelée après un nettoyage au savon par Breton, a été estimée entre 500 000 et 800 000 euros. Un Portrait d’André Breton, peint en 1934 par Victor Brauner, fait aussi partie des lots phares, avec une estimation comprise entre 40 000 et 50 000 euros. Quant à Impossibilité Dancer/Danger, une peinture de 1920 de Man Ray à l’aérographe sur verre, souvent photographiée aux côtés de Breton rue Fontaine, elle est estimée entre 800 000 et 1,2 million d’euros. La vente sera certainement l’occasion d’affermir la cote de “petits” surréalistes, adoubés par leur présence dans la collection. Certaines figures en marge du mouvement et admirées par Breton devraient aussi en profiter. C’est le cas du Cubain Wilfredo Lam, dont trois grandes toiles des années 1940 atteignent 150 000 euros d’estimation haute, ou du Français Clovis Trouille. Sa Religieuse italienne fumant la cigarette, peinte en 1944, harnachée d’un porte-jarretelles rouge, pourrait dépasser les 80 000 euros d’estimation.
Les 1 500 photographies de la collection rappellent l’importance de cet art pour l’esthétique surréaliste. Le fonds raconte aussi la vie, les amitiés et les amours de Breton. Les Photomatons de jeunesse, peuplés des facéties d’Éluard ou d’Ernst, sont estimés autour de 500 euros les dix tirages. Côté chefs-d’œuvre, les célèbres Jeux de la poupée d’Hans Bellmer sont nombreux. Une exceptionnelle épreuve de 1935, rehaussée de couleurs, est estimée entre 35 000 et 40 000 euros. On remarque de très belles photos de Claude Cahun, icône révolutionnaire et homosexuelle, aux estimations modestes. Un jeu de Mains de 1936 dépassera certainement les 800-1 000 euros attendus, malgré un tirage tardif des années 1950.
Avant la photographie, les arts primitifs ont forgé l’avant-gardisme de Breton. Son premier achat d’œuvre d’art, à quinze ans, fut une statue de l’île de Pâques. Les arts océaniens avaient sa préférence. Parmi les stars de la vente figurent une statue uli de Nouvelle-Zélande, haute de 1,20 mètre (estimée 500 000-700 000 euros), et de rarissimes masques haïda de Colombie britannique. Ils comportent des pièces mobiles et peuvent s’animer ; leur estimation se situe entre 100 000 et 150 000 euros.
Le goût de Breton pour les arts primitifs rejoint son penchant pour les arts populaires. Cette section est certainement la plus surréaliste de la vacation. Comment, en effet, estimer les bois flottés, moules à hosties ou à gaufres, ou encore la carapace de pangolin ? Ces pièces sont proposées à un prix dopé par leur prestigieux pedigree. C’est néanmoins dans cette section que l’on retrouve la cuiller en bois décrite précisément dans l’Amour fou. Avec sa petite chaussure de femme sculptée dans le manche, cet objet culte est estimé raisonnablement entre 10 000 et 20 000 euros. Quant au gant de bronze reproduit dans Nadja, un fétichiste de la belle passante peut espérer se l’offrir pour 30 000 euros.
Les trésors enfouis dans la section de 3 500 livres et 800 manuscrits promettent de belles batailles d’enchères. Un jeu d’épreuves de Nadja, avec 27 lettres autographes de la jeune femme, est estimé 120 000 euros. Le manuscrit d’Arcane 17, ouvrage complexe de Breton, inspiré en 1944 par sa rencontre avec Élisa, est estimé 150 000 euros. Un cahier autographe d’un projet de Breton avec l’éditeur Skira en 1966, année de sa mort, clôt la session. Estimé 1 500 euros et intitulé Quelle ma chambre au bout du voyage ?, il comporte cinq pages de description des objets qui l’entouraient dans son atelier, et qu’il regrette de ne plus posséder...
Du 7 au 17 avril, Drouot-Richelieu, exposition publique du 1er au 16 avril, SVV Calmels-Cohen , tél. 01 47 70 38 89, www.calmelscohen.com ; un DVD-Rom reconstituant l’atelier est édité à l’occasion de la vente. Prix : 50 euros.
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Les trésors surréalistes de l’appartement de la rue Fontaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°167 du 21 mars 2003, avec le titre suivant : Les trésors surréalistes de l’appartement de la rue Fontaine