Les droits d’auteur ont trouvé en France un terreau favorable à leur développement et à leur protection. À côté du droit moral et des droits patrimoniaux, dits « primaires », un écheveau de droits collectifs a fait son apparition dès la fin des années 1980. Leur création a engendré une multitude de nouvelles sociétés de perception très spécialisées, dont la pertinence d’un point de vue économique est parfois discutée. Revue de détail.
PARIS - Seuls détenteurs du droit moral sur leurs œuvres (droit de divulgation, respect de la paternité, respect de l’œuvre), les artistes confient souvent la gestion des droits patrimoniaux (droit de reproduction, de représentation et droit de suite) à des sociétés de perception. Dès la fin du XIXe siècle, quatre syndicats d’artistes commencent à percevoir des droits d’auteurs. De la réunion de ces structures naît en 1954 la Société de la propriété artistique des dessins et modèles (Spadem), aujourd’hui en liquidation.
Longtemps constituées en associations, les sociétés de perception s’organisent depuis la loi Lang de 1985 en sociétés civiles. Les auteurs sont actionnaires de la structure, leur part leur donnant un droit de vote aux assemblées. Trois sociétés gèrent aujourd’hui les droits des artistes plasticiens. Riche d’un répertoire de 40 000 artistes dont 4 500 en direct, la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) fête aujourd’hui ses cinquante ans. Ses membres s’acquittent d’une adhésion unique de 15,24 euros, correspondant à une part du capital social. L’ADAGP, qui compte 28 employés, prélève une commission de 20 % sur les droits reversés à l’artiste ou à ses ayants droit.
Les délais de reversement les plus courants sont trimestriels ou semestriels. La Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF) est née en 1999 sur les cendres de la Société de l’image. Le répertoire de la SAIF se compose pour 60 % de photographes, devant les illustrateurs et dessinateurs. Les frais de gestion sont les mêmes qu’à l’ADAGP. La société ne s’attache toutefois qu’à la perception des droits collectifs et non primaires (lire ci-dessous), tout comme la Société civile des auteurs multimédia (Scam).
Parfum de scandale
Le scandale de la Spadem a fortement entaché cette profession. Une procédure en référé, lancée en 1986 par Claude Duthuit, un des ayants droit d’Henri Matisse, et le photographe Claude Schwartz, a démontré la gestion catastrophique de cette société. Un rapport commandé par les deux plaignants au conseiller juridique Igor Marchand a révélé un déficit de 1,05 million d’euros de 1982 à 1985, ainsi que des dettes atteignant près de 2 millions d’euros. Les dépenses outrancières d’immobilisation informatique étaient critiquées, comme les retards, voire les suspensions du paiement des droits. Depuis 1982, certains droits étrangers, notamment anglais, n’étaient ainsi plus reversés. À la suite de deux redressements judiciaires, en 1986 et en 1989, la Spadem a vendu son siège de la rue Henner à Paris pour près de 4,5 millions d’euros. “On a voulu nous [les artistes] rembourser en utilisant notre propre capital ! La Spadem comptait sur l’entrée en vigueur de la loi Lang pour multiplier les participations croisées et rendre quasi impossible l’apurement des comptes et le dévoilement d’une gestion désastreuse. Lorsque, avec Claude Schwartz, nous avons lancé cette action, nous avons eu tous les artistes de la Spadem contre nous, Claude Picasso en tête. Ils détestaient qu’on les dérange dans leur inertie”, déplore encore aujourd’hui Claude Duthuit. En mai 1996, la Spadem est sous le coup d’une liquidation judiciaire, cette fois sous l’impulsion de Claude Picasso et de Marie-Lize Gall, administrateur de 1991 à 1995. Aussi surprenant que cela paraisse, sept ans plus tard, la liquidation n’est toujours pas bouclée ! Deux familles d’artistes ont dès lors choisi de gérer seules leurs droits. C’est le cas de la société des Héritiers Matisse, constituée en 1989, et de Picasso Administration, créée en 1995. Le champ musical n’a pas non plus été épargné par ces affaires bourbeuses. En 1985, l’association Protection des ayants droit révélait que la société civile pour l’administration des droits des artistes musiciens interprètes (Adami) avait perdu des sommes importantes dans des opérations boursières à risque.
Guichets communs
Depuis août 2000, une commission de contrôle des sociétés de droits d’auteur observe de près la gestion des sociétés de perception et de répartition des droits (SPDR). Un rapport du président de la commission Jean-Pierre Guillard, présenté en décembre 2002, prône l’harmonisation des pratiques comptables des sociétés. Le nombre important de SPDR, plus d’une vingtaine, semble faire de la France une exception culturelle pour le moins étonnante. Ces sociétés se constituent en effet librement. Les projets de statuts sont adressés au ministère de la Culture qui peut, dans un délai d’un mois, s’opposer à leurs créations. “On n’a eu que trois véritables créations depuis 1985. Les autres sociétés sont des regroupements qui relèvent plus de la rationalisation que de la création ex nihilo”, plaide Isabelle Maréchal, du service juridique du ministère de la Culture. De manière ténue, la commission rappelle que le ministère “doit mesurer les incidents de toute nature [liés à] l’intervention d’une société nouvelle dans le circuit déjà complexe de perception et de redistribution des droits”.
Pour les droits collectifs, il existe d’une part des sociétés de perception, d’autre part des sociétés en relation directe avec les ayants droit, appelées “sociétés de premier rang”. Né dans un souci de spécialisation, ce système à étages suppose l’existence d’au moins deux sociétés entre le débiteur du droit et le bénéficiaire final. Le rapport Guillard souligne que cette organisation conduit à une “situation qui complique le circuit de la répartition des droits, peut entraîner des coûts supplémentaires et surtout nuit à une compréhension aisée des mécanismes de perception et de répartition des droits.”
Certaines sociétés naissent pour se positionner vis-à-vis des nouveaux droits. L’ADAGP, la Scam et la SAIF ont ainsi créé en 2001 la Société des arts visuels associés (Ava), guichet commun pour revendiquer les droits sur la copie numérique – dont l’extension aux arts visuels ne date que du 8 juillet 2001 –, et ceux sur la reprographie. Ces derniers n’ont jusqu’à présent pas encore été reversés aux sociétés, alors que la loi date de janvier 1995. “Du point de vue financier, les groupements d’intérêt économique sont pertinents. On réussit à percevoir plus que si on intervenait individuellement. À terme, cela signifie plus de droits d’auteurs et une économie d’échelle pour les frais de gestion”, assure Olivier Brillanceau, directeur de la SAIF. Créée en 1996, la Sesam est chargée de percevoir les droits d’exploitation d’une œuvre dans un programme multimédia. Elle regroupe des sociétés d’auteurs de premier rang (Sacem, SACD, Scam, ADAGP). “En 2000, ses perceptions se sont élevées à 0,76 million d’euros, note le rapport. Ses frais de gestion, 0,27 million d’euros, sont couverts par des contributions des membres. Ils ont progressé de 33 % par rapport à 1999 et représentent plus de 34 % des perceptions.” Si l’ADAGP juge nécessaire l’existence de ces guichets communs pour éviter des frais de gestion astronomiques, elle admet que la multiplicité des sociétés pour un même répertoire est préjudiciable aux auteurs. Ces derniers doivent supporter des délais de répartition supplémentaires pour les droits collectifs dans l’attente d’un accord entre les différentes sociétés concernées.
- ADAGP : 11, rue Berryer, 75008 Paris. Tél. : 01 43 59 09 79. - SAIF : 100, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris. Tél. : 01 44 61 07 82. - Scam : 5, avenue Velázquez, 75008 Paris. Tél. : 01 56 69 58 58.
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Les sociétés de droits d’auteur au service des artistes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°164 du 7 février 2003, avec le titre suivant : Les sociétés de droits d’auteur au service des artistes