PARIS
À la galerie Frank Elbaz, l’artiste visuelle explore les possibilités du son et du langage dans sa dernière installation.
Paris. À force de visiter des expositions de peintures prêtes à accrocher, on oublie que certaines œuvres n’ont pas pour vocation de séduire de prime abord. C’est à partir d’une vidéo d’Antic Meet de Merce Cunningham (1958) – dans laquelle le chorégraphe se met en scène une chaise sanglée sur le dos – qu’Anne Le Troter (née en 1985), dont le travail mêle performance, théâtre, littérature et poésie, a imaginé Corps Living Room [voir ill.], l’installation sonore à découvrir dans l’espace principal de la galerie Frank Elbaz. Elle y reprend des éléments sculpturaux présentés lors de son exposition à Bétonsalon (13e arrondissement de Paris), dont elle a été lauréate en 2021 et d’où tout est parti – la même année, elle a été aussi lauréate du programme « Mondes nouveaux » et de la villa Kujoyama.
À l’origine de ce projet, il y a un peignoir rose équipé de quarante haut-parleurs (dissimulés dans des languettes de papier), porté par l’artiste pour le plaisir de se draper dans les mots des autres, comme si le vêtement devenait « une structure de langage », dit-elle. Ainsi Corps Living Room a d’abord pris la forme d’une performance, mais cette fois-ci, collective : le script de cette pièce, dans laquelle un petit groupe de personnages s’échappe de la ville pour se soustraire aux règles normatives de la société, a donné lieu à un enregistrement dans les bois, pendant trois jours. Improvisations et bruitages animaliers (moustique, chouettes et grognements divers), les protagonistes ont joué l’hypothèse de « l’immobilisme comme engagement ». « On reprend exactement les proportions de Merce Cunningham dans son spectacle, on plie nos corps en fonction […]. On fait la chaise et on meuble… », déclare une des voix.
Entre humour délirant et critique sociale, cette fable subversive se donne à entendre – malheureusement pas assez clairement – grâce à différentes enceintes logées à l’intérieur des œuvres. Dans les grands tableaux en acier (un métal conducteur), notamment, qui reprennent des croquis réalisés par Anne Le Troter et dont les petits transistors intégrés font vibrer les parois de verre. « Les dessins viennent quand j’écris, ils font partie du processus », explique-t-elle. Disposés sur un large tapis aux couleurs indistinctes, les bancs en cordage où l’on peut prendre place ne sont pas vraiment confortables, et c’est bien le but. Au sol traînent des câbles qui ne relient rien à rien. La gêne, le sentiment vague d’une menace font partie de l’installation ; Anne Le Troter cite volontiers le théâtre d’Antonin Artaud parmi ses inspirations. Les Pornoplantes, l’œuvre qui donne son titre à l’exposition, est diffusée dans la seconde partie. On y suit, coiffé d’un casque, les mésaventures d’un personnage dont le sexe évolue selon le cycle de vie du végétal, de la croissance à la fanaison et à la renaissance, allégorie sur les aléas du désir.
Cette première exposition en galerie de l’artiste marque une étape dans son parcours, jusqu’ici jalonné par des invitations dans des institutions (le Nasher Sculpture Center à Dallas, la Fondation Pernod Ricard, le Centre Pompidou) qui lui permettent de poursuivre ses travaux d’écriture, entre autres, sur la notion de « l’utopie autour de la question de nos modes de reproduction ».
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Les recherches sonores d’Anne Le Troter
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Les recherches sonores d’Anne Le Troter