Avec l’arrivée de l’euro, nos francs seront bientôt démonétisés mais peu d’entre eux entreront dans le Panthéon des objets de collection. Ce sera peut-être l’occasion pour les citoyens français de se tourner vers l’histoire de leur monnaie. Testons, louis, écus et vieux francs ont plutôt la cote à condition de privilégier la rareté et l’état de conservation.
PARIS - Dans quelques semaines, avec le passage à l’euro, nous serons nombreux à nous interroger sur le devenir de nos francs. Les plus nostalgiques, peut-être, seront tentés de conserver quelque trésor. Cette actualité va t-elle relancer l’intérêt pour la numismatique en France ? « Pour le moment, les Français sont sensibilisés à leur monnaie, confirme l’expert Alain Weil. Mais c’est un effet de mode qui va disparaître d’ici un an ou deux. Ces nouveaux collectionneurs pourraient se désintéresser de la spécialité. » Un effet de mode auquel se sont déjà préparés certains marchands qui ont stocké des séries de monnaies peu courantes « fleur de coin », c’est-à-dire flambant neuves, qu’ils vendront au compte-gouttes pour faire monter les prix. Une tendance à la hausse qui est encore plus importante pour les billets de banque qui passionnent depuis quelques années un nombre réduit mais croissant d’amateurs. Les prix ont été multipliés par trois en vingt ans. L’une des plus grandes collections françaises de papier-monnaie, celle du scientifique François Delamare, a été dispersée avec succès l’an dernier à Drouot, et elle a séduit plus d’un amateur en créant les premières cotes.
Deux critères principaux, la rareté et l’état de conservation, influent sur la valeur d’une monnaie. « Les acheteurs ont tendance aujourd’hui à privilégier davantage la qualité de conservation d’une pièce », remarque Alain Weil. De fait, les plus beaux exemplaires de monnaies toutes époques confondues sont surcotés. Le numismate recherche d’abord des pièces « fleur de coin », puis « superbe » voire qualifiées de « très bel exemplaire ». Viennent ensuite les « très beau », « TB » et « beau » présentant plus de marques d’usure. Plus une monnaie est moderne, plus il faut qu’elle soit parfaite. Dans l’ordre décroissant, le billet est préféré « neuf », « splendide », « superbe », « TTB », « TB » et « B ». Il y a encore peu de temps, les coupures émises sortaient de la Banque de France enliassées d’une épingle. D’où la création de la qualité « splendide » qui signifie état neuf avec une marque d’épingle. Attention cependant, les professionnels sont d’accord pour prévenir les amateurs des risques d’un papier-monnaie que l’on peut laver, repasser, restaurer et dont on peut améliorer l’état sans que cela se voie. Autre singularité du marché du billet : l’engouement des collectionneurs pour les premiers numéros de séries, ce qui amuse beaucoup les experts. Pour Alain Weil, « c’est une contrainte artificielle, un goût pour rendre la chasse à l’objet rare plus difficile et un besoin de démarquer sa collection de celle du voisin. »
Les valeurs de demain
Quels sont les pièces et billets contemporains qui comptent ? Des ouvrages sur la rareté des émissions nous renseignent. La pièce de 1 centime par exemple a toujours cours mais on ne la trouve quasiment plus dans le porte-monnaie. En 1965, elle est produite à 47,799 millions d’exemplaires mais devient nettement moins courante après 1979. Seulement 2 500 exemplaires ont été mis en circulation en 1991 : un millésime déjà recherché dans le commerce et qui atteint 1 000 francs pièce. Difficile de mettre une cote sur des éditions de monnaies postérieures à 1958, car peu d’entre elles ont subi l’épreuve de la vente publique. Les valeurs de demain porteront sans doute sur notre pièce de 1 franc à la « semeuse » réalisé à 10 000 exemplaires en 1979, 36 000 en 1984 et 5 000 en 1990. Un billet 10 francs « Voltaire » – produit de 1963 à 1973 puis retiré de la circulation en 1986 – vaut en moyenne 200 à 250 francs à l’état neuf et selon l’année, et un 100 francs « Delacroix » entre 120 et 500 francs. Le 500 francs « Victor Hugo » de 1954 à 1958 se négocie neuf jusqu’à trois fois sa valeur faciale ou dix fois moins en état TB. De même, la pièce de 20 francs en argent de 1939 gravée par Turin sous la IIIe République à 3 918 unités – l’une des rares classiques modernes à passer aux enchères – monte jusqu’à 25 000 francs mais redescend à 10 francs, la valeur de son poids en métal, quand elle est en mauvaise condition. Un collectionneur averti évitera de tomber dans certains pièges. La pièce de 10 francs de 1991 tirée en série spéciale à 2 500 exemplaires, reconnaissable à son brillant universel, et qui s’échange en « fleur de coin » à 100 francs, ne doit pas être confondue avec son homologue plus courante de la même année produite à 250 millions. Quant au franc de 1986, aucune des 15 000 pièces existantes n’a circulé. Or, le numismate convoite la pièce de circulation.
Pour les pièces anciennes, il est parfois compliqué de fixer une échelle de valeurs. Pour les monnaies antiques frappées à la main, la qualité et la netteté de la gravure priment. Viennent ensuite le centrage du dessin et l’aspect de la patine s’il s’agit de lots d’or ou de bronze. Les monnaies royales françaises, qui réunissent de nombreux passionnés, répondent à des paramètres multiples. Comme l’explique Alain Weil, « la réalité est complexe : la pondération de chacun d’entre eux est différente pour chaque époque ». L’état de conservation influe grandement sur la valeur de monnaies de même type. Le collectionneur est particulièrement sensible aux petites singularités ou curiosités qu’offre chaque pièce comme ce portrait de Louis XIV sur un écu à la cravate. Seront prises en compte également la variété d’émission déterminée par l’atelier et la date de frappe. Un superbe louis d’or de 1786 de « l’atelier courant » de Paris montrant Louis XVI au buste nu a été récemment adjugé 3 200 francs. Le même jour, un lot identique provenant de l’atelier de Nantes est parti à 5 100 francs. Si l’on connaît par des registres d’époque le nombre de pièces produites chaque année dans les ateliers en France, de ces chiffres théoriques ne subsiste parfois qu’un nombre réduit de pièces en raison des destructions et refontes.
Fleuron de l’histoire de France
Ce marché n’échappe pas non plus au critère esthétique : la qualité d’un dessin fait parfois oublier le reste. Ainsi, lors de la dispersion de la collection Patrick Devaux en 1999 (étude Chayette & Cheval), un franc d’argent aux 4 H couronnés de 1584 en état TB présentait un flanc échancré à plusieurs endroits mais le portrait de Henri de Navarre était tellement expressif que les acheteurs ont poussé l’enchère à 4 300 francs. Dans cette même vente, un fleuron de l’histoire de France s’est vendu dix fois ce prix : un double louis d’or aux 4 L de 1697 est ainsi parti à 40 500 francs. Cette pièce de « réformation » qui a été éditée à 200 exemplaires par l’atelier de Riom, un centre de frappe peu productif, présentait un magnifique portrait réaliste de Louis XIV dans un état qualifié de « très bel exemplaire ». Un sujet courant dont la cote oscille d’habitude entre 3 000 et 6 000 francs. Les quelques pièces fausses d’époque font aussi partie des bizarreries recherchées comme ce franc d’argent Henri III au col plat imitant le A sous le buste, une contrefaçon grossière de 1577, en état TB qui a tout de même atteint 1 400 francs. Pour cette même somme, l’on pouvait acquérir le 9 octobre dernier un TTB teston Henri II au buste couronné de 1552, un TTB quart d’écu aux palmes Louis XIV de 1693 ou un superbe demi-écu aux lauriers Louis XVI de 1790.
- 75 000 francs, franc de 1590 Charles X (4 ex. connus), TB à TTB, coll. M. Bonhomme, étude Delorme-Fraysse, 9 oct. 2001.
- 56 000 francs, rare parisis d’or Philippe VI de Valois, 1329, très bel exemplaire, étude Tajan, 15 décembre 1999.
- 40 500 francs, double louis d’or aux 4 L, 1697, très bel ex., coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval,14 décembre 1999.
- 28 500 francs, teston de Lyon en argent, Louis XII, très bel ex. coll. M. Bonhomme, étude Delorme-Fraysse, 9 oct. 2001.
- 23 000 francs, demi-écu blanc Louis XIV au buste drapé à l’antique, 1687, TTB, coll. M. Bonhomme, étude Delorme-Fraysse, 9 octobre 2001.
- 17 000 francs, rare teston d’argent de Charles IX « morveux », 1562, AO en monogramme sous le buste, très bel exemplaire, coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval,14 décembre 1999.
- 14 000 francs, écu de France Louis XV, 1724, superbe, coll. M. Bonhomme, étude Delorme-Fraysse, 9 octobre 2001.
- 9 800 francs, louis d’or à la mèche courte 1644, très bel exemplaire, coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval, 14 déc. 1999.
- 7 600 francs, franc 1900 type « semeuse », superbe, Million & associés, 26 juin 2001.
- 6 000 francs, louis d’or à la mèche longue 1652, très beau, coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval, 14 décembre 1999.
- 4 500 francs, billet 500 NF « Molière » 1967, splendide, coll. F. Delamare, étude Delorme-Fraysse, 20 juin 2000.
- 3 900 francs, 50 francs or, 1964 Paris, TB, étude Tajan, 15 décembre 1999.
- 3 200 francs, billet de monoye, 1707, coll. F. Delamare, étude Delorme-Fraysse, 20 juin 2000.
- 3 200 francs, franc d’argent Henri III au col plat, 1576, A sous le buste, très beau/TB, coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval,14 décembre 1999.
- 2 900 francs, double louis d’or au buste nu 1786, presque superbe, Million & associés, 26 juin 2001.
- 2 800 francs, teston d’argent au buste de Charles IX barbu, 1574 (portrait inhabituel) avec « M » sous le buste, très beau/TB, coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval,14 décembre 1999.
- 2 600 francs, écu d’argent de Navarre à l’effigie de Louis XV, 1715, très bel exemplaire, étude Tajan, 15 décembre 1999.
- 2 200 francs, petit louis d’argent Louis XV, 1720, superbe, coll. M. Bonhomme, étude Delorme-Fraysse, 9 octobre 2001.
- 1800 francs, denier Louis le Débonnaire (814-840), TTB à superbe, Million & associés, 26 juin 2001.
- 1 800 francs, billet 10 000 F Bonaparte type 1955, presque superbe, coll. F. Delamare, étude Delorme-Fraysse, 20 juin 2000.
- 1 600 francs, 5 francs 1812 Paris, superbe, Million & associés,26 juin 2001.
- 1 400 francs, franc d’argent Henri III au col plat, 1577, A sous le buste, faux d’époque, TB, coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval, 14 décembre 1999.
- 900 francs, billet 10 F « Berlioz » 1973, superbe, coll. F. Delamare, étude Delorme-Fraysse, 20 juin 2000. - 800 francs, 5 centimes 1808 Strasbourg, TTB, Millon & associés, 26 juin 2001.
- 650 francs, demi-écu Louis XV à la mèche longue, 1658, TB à TTB, coll. M. Bonhomme, étude Delorme-Fraysse, 9 octobre 2001.
- 400 francs, 5 francs argent Napoléon Ier, 1812, TB, coll. P. Devaux, étude Chayette & Cheval, 14 décembre 1999.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les monnaies françaises à l’heure de l’euro
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Experts
- Françoise Berthelot-Vinchon
77 rue de Richelieu, 75002 Paris,
tél. 01 42 97 50 00
www.vinchon.com
- Alain Weil
54 rue de Richelieu, 75001 Paris,
tél. 01 47 03 32 12
- Thierry Parsy
25 rue de Richelieu, 75001 Paris,
tél. 01 49 27 01 40
Antiquaires
- Sabine Bourgey
7 rue Drouot, 75009 Paris,
tél. 01 47 70 35 18
- Tradart
2 rue Puits-St-Pierre, 1204 Genève,
tél. 41 22 817 37 47
Avenue Louise 32, 1050 Bruxelles,
tél. 32 2 514 58 00
- Annette Vinchon-Guyonnet
3 rue de la Bourse, 75002 Paris,
tél. 01 42 97 53 53
www.vinchon.com
Lire
- Victor Gadoury, Monnaies françaises 1789-2001, éditions V. Gadoury, 2001, 480 p., 160 F,
ISBN 2-90-660220-5.
- Claude Fayette, Les Billets de banque de France 1800-2000, éditions C. Fayette, 2000, 380 p., 42 F,
ISBN 2-95-053018-4.
Quelques ventes à venir
- 6 novembre, études Renaud et Tajan, Richelieu-Drouot, salle 6.
- 7 novembre, étude Tajan, Richelieu-Drouot, salle 6.
- 13 novembre, étude Courtois-Chauvire, Angers.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : Les monnaies françaises à l’heure de l’euro