Hommage

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Les choix d’un éclectique

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2009 - 739 mots

Réunissant des œuvres des artistes qu’il a soutenus, l’exposition « Autour de Pierre Cabanne » montre que le critique se révèle parfois plus inspiré que ces créateurs

PARIS - Les expositions valorisant le regard des critiques d’art sont suffisamment rares pour être relevées. Fermant ses portes le 29 mai, jour où s’ouvre celle dédiée au critique d’art Bernard Lamarche-Vadel au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, l’exposition « Autour de Pierre Cabanne » à la galerie Guillaume témoigne de l’éclectisme de ce personnage hors norme, décédé en 2007. Pour renforcer cet hommage, la galerie mettra prochainement en ligne les archives numérisées de ce critique à la plume précise et savoureuse.
A priori, un tel parti pris, émanant de surcroît d’une galerie, est d’autant plus louable que les critiques d’art ont perdu leur porte-voix avec la montée en puissance du marché. Dans Mer…de aux critiques, Cabanne avait analysé cet effritement avec lucidité en décrivant le critique comme un « veilleur solitaire que l’on n’écoute plus, mais qui voit et juge ». La sensibilité de ce dernier se révèle d’emblée complexe. Voulant éviter les travers de certains de ses collègues, Cabanne n’est pas de ceux qui « ne regardent que ceux qu’ils voient et ignorent le reste ». Éclectique au point de sembler œcuménique, il s’est aussi bien intéressé à la figuration lisse et académique de Georges Rohner qu’à une abstraction lyrique au sens large avec Messagier et Debré. À l’affiche de l’exposition, Prière de toucher (1947) vient rappeler qu’il publia en 1967 un livre d’entretiens remarqué avec Marcel Duchamp. Sa curiosité l’a aussi conduit du côté des Nouveaux Réalistes comme Arman et César puis de Jean-Pierre Raynaud, dont on voit deux épures rouges de 1970. Pour rencontrer ce dernier, Cabanne n’a pas hésité à braver les lazzis de ses collègues. « Quand on a su que j’allais voir Raynaud plusieurs personnes m’ont injurié », a-t-il écrit en ajoutant : « étrange cette impression qu’il est entré en art comme on entre en maladie. » Signe que la personnalité et le cheminement d’un créateur participent de l’opinion que Cabanne se fait de leur œuvre. Farouchement indépendant au risque de paraître parfois ringard, Cabanne ne s’est fixé sur aucun territoire, n’a constitué aucune écurie. Sa plume limpide, parfois incisive, n’annexait pas les artistes dans un système de cases étanches. Ouvert, il avait composé près de deux cents dossiers d’artistes qu’il n’a jamais cessé de suivre. S’il ne reniait pas ses choix premiers, il savait toutefois que « le critique resté fidèle à ses choix se voit soumis à l’impitoyable usure du langage ; il s’académise au fur et à mesure que s’officialise sa propre avant-garde ». Un décryptage attentif de son style révèle une inspiration plus féconde dès qu’il s’agit d’écrire sur ses grandes passions comme Antoni Clavé. Pour les artistes moins intéressants, comme ceux amassés au sous-sol de la galerie Guillaume, son ton restait sagement descriptif.

Un regard extensible
Reste que l’exposition laisse le visiteur frustré. Appréciable sur le papier, l’éclectisme l’est nettement moins au niveau de la rétine. L’absence de hiérarchie dans l’accrochage est très déstabilisante. Certes le socle principal des fidélités de Cabanne comme Debré, Dimitrenko, Manessier, Messagier ou Zao Wouki, se trouve concentré sur deux pans de murs mitoyens. Mais, on peine à passer sans transition d’une Allure d’Arman à la peinture contemplative de la Coréenne Bang Hai Ja, à voir coexister Jean-Pierre Raynaud et Rohner. La proximité de César et de Marfaing laisse tout aussi perplexe. Dans bien des cas, la puissance du verbe de Cabanne, dont des extraits émaillent les cartels, dépasse de loin celle des œuvres accrochées au mur. Le critique se révèle presque plus inspiré que les artistes défendus ! La modestie aussi bien en termes d’échelle que de qualité de certaines œuvres exposées conforte ce sentiment. Si Messagier est présent via un grand tableau rouge, les œuvres de Pierre Dimitrenko ou Clavé sont fines mais trop discrètes. Du coup, l’ensemble donne la sensation d’une « collection de critique d’art » alors que tel n’est pas le cas, toutes les œuvres venant directement des artistes ou de leurs ayants droit. Nul doute que la démonstration d’un regard aussi extensif que celui de Cabanne aurait gagné à la présentation de pièces plus puissantes.

AUTOUR DE PIERRE CABANNE, jusqu’au 29 mai, Galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008 Paris, tél. 01 44 71 07 72 www.galerieguillaume.com, du mardi au vendredi 11h-19h, le samedi 14h-19h

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°302 du 2 mai 2009, avec le titre suivant : Les choix d’un éclectique

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