Ventes aux enchères

Lobbying

Le Symev monte au créneau

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2016 - 1193 mots

PARIS

Souhaitant prendre leur destin en main, les commissaires-priseurs ont répondu à une enquête sur le rapport corédigé par Catherine Chadelat dont ils ont dénoncé les propositions les plus contraignantes.

PARIS - Demandez aux commissaires-priseurs s’ils souhaitent davantage de contraintes et ils vous répondront par la négative. Mais si votre question porte sur une protection accrue de leur profession, la réponse sera positive. Cette évidence naturelle s’imposait. Et elle se confirme à la lecture des résultats du questionnaire à choix multiples adressé à tous les commissaires-priseurs français par le Symev (Syndicat national des maisons de ventes volontaires). L’objectif de l’enquête portait sur l’évaluation des principales mesures proposées par la « Mission d’évaluation du dispositif législatif et réglementaire des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ». L’enquête a été réalisée du 27 octobre au 25 novembre 2016, soit près de deux ans après la rédaction du rapport de la mission (lire « Questions à »). Vingt questions ont donc été posées aux commissaires-priseurs, reprenant de manière synthétique – parfois trop – les propositions du rapport. Parmi ces questions : envisager l’interdiction de vendre des « objets sensibles » sous peine de sanctions pénales ; rendre obligatoire pour les maisons de ventes la tenue d’un registre unique informatique…

Forte participation
Sur les 404 professionnels sollicités, 253 ont répondu, soit un taux de participation de 62,6 % – « ce qui est exceptionnel », a commenté Jean-Pierre Osenat, le président du Symev. « Les gens se sont vraiment mobilisés. » Étonnamment, pour près des trois quarts des questions, 10 % des sondés ont déclaré être « sans opinion », ce taux montant parfois jusqu’à 32 %.

Certains sujets font consensus, rejetant ou approuvant telle ou telle proposition. À 90 % (dont 68 % « très opposés »), les commisseurs-priseurs se sont déclarés contre l’insertion obligatoire d’une photographie au sein du livre de police, arguant de l’impossibilité de réaliser une photographie pour tous les objets livrés aux enchères, notamment ceux de faible valeur. Au-delà des intérêts catégoriels, il s’agit là d’un message peu audible face à la volonté affichée de la profession de lutter contre le trafic de biens culturels. Éric Pillon, trésorier du Symev, a cependant proposé qu’« à défaut d’abandon de cette proposition, des seuils de valeurs réalistes soient déterminés ».

À 62 %, les commissaires-priseurs se sont également opposés à la publication systématique des résultats de leurs vacations, alors qu’une telle publicité est réalisée par des tiers notamment sur Internet. L’assentiment est en revanche fort lorsqu’il s’agit de maintenir l’exclusion du droit de rétractation pour les ventes à distance (85 %), de bénéficier de la même exception qu’en matière judiciaire pour le droit de reproduction au sein des catalogues (91 %) ou encore de pouvoir disperser des biens incorporels, tels que des brevets (76 %).

Trois tables rondes
Ainsi, le 29 novembre, lors des états généraux des commissaires-priseurs – venus nombreux et déterminés –, trois tables rondes ont été organisées, à huis clos entre ces professionnels, afin d’élaborer trois motions. Celles-ci seront présentées aux autorités publiques « et serviront de plateforme pour exposer nos prétentions aux candidats à la présidence de la République », a précisé Jean-Pierre Osenat.

La première table ronde, intitulée « Pour une reconnaissance du métier de commissaire-priseur », s’est attachée à en vanter les mérites tels que la transparence ou encore la formation initiale, pour cette dernière inexistante à l’étranger. La deuxième, « Pour un allégement des contraintes administratives et fiscales », était un cri d’alarme contre l’inflation normative entravant le développement des opérateurs de ventes. « Il faut supprimer les distorsions avec la concurrence étrangère », ont entonné les rapporteurs. La troisième, intitulée « Pour une profession libre et responsable », s’est bornée à démontrer que le Conseil des ventes volontaires (CVV) n’avait plus de raison d’être. « Inutile, coûteux et à bien des égards négatif pour la profession », a lancé, très remonté, Nicolas de Moustier, directeur général de Tajan.

Catherine Chadelat, la présidente du CVV, a eu la difficile tâche de conclure la séance face à cette « cage aux lions » et ce, non sans humour. Mettant en garde contre une mauvaise lecture du rapport, elle a tenu à préciser l’origine légale des missions de l’autorité de régulation. Elle s’est cependant insurgée contre les critiques de la dernière table ronde lui reprochant notamment de publier les sanctions disciplinaires. « En quatre ans, il n’y a eu que cinq publications, ce qui est très peu », a-t-elle rétorqué. La présidente a terminé par une pirouette, en guise de conclusion positive : « Plutôt que de me demander de disparaître, je préfère reprendre l’un des thèmes de votre programme : “pour un CVV partenaire des professionnels” ! ».

Une réforme retoquée par le Conseil constitutionnel

La consultation entendait répondre à la volonté du gouvernement de réformer par voie d’ordonnance le volet volontaire des ventes aux enchères publiques. Mais face à l’inconstitutionnalité de l’amendement déposé trop tardivement devant l’Assemblée nationale par le gouvernement sur le projet de loi de modernisation de la justice au XXIe siècle, cet avenir semble aussi compromis à court terme que celui de la réforme souhaitée. Le Conseil constitutionnel a en effet, le 17 novembre, qualifié un tel amendement de « cavalier législatif » et renvoyé alors les volontés de modernisation du volet volontaire des ventes à un avenir fort incertain. L’habilitation souhaitée pour procéder à une réforme par voie d’ordonnance ne présentait « pas de lien, même indirect » avec le projet de loi selon le Conseil. Deux ans après sa rédaction, un an et demi après sa présentation officielle à la garde des Sceaux, le rapport corédigé par Catherine Chadelat et Martine Valdès-Boulouque ne devrait pas permettre l’ajustement nécessaire du cadre réglementaire et législatif. Pour autant, « nous avons malgré tout maintenu la consultation car c’était l’occasion de réfléchir à l’avenir de notre métier, en pleine mutation notamment avec la loi Macron », a expliqué Jean-Pierre Osenat. L’avenir est aujourd’hui entre les mains du Symev.

Alexis Fournol

 

Questions à Jean-Pierre Osenat, président du Symev

Pourquoi le Symev a-t-il attendu plus d’un an et demi après la publication du rapport Chadelat pour agir ? Quand le rapport a été présenté [le 7 mai 2015], il n’était pas question dans un premier temps de le mettre en œuvre. Or, en août [2016], Catherine Chadelat a demandé que le gouvernement soit autorisé à légiférer par ordonnance pour entériner ce texte. L’autorisation a été donnée. C’est à ce moment-là que nous nous sommes dit qu’il fallait qu’on se réveille ! Le Symev est donc allé voir la chancellerie pour qu’elle nous accorde un délai afin que les commissaires-priseurs puissent donner leur avis à la suite d’une consultation. Les commissaires-priseurs veulent prendre leur destin en main et ne pas se laisser imposer quoi que ce soit, comme cela a déjà été le cas avec la « loi Macron ». La chancellerie nous a accordé un délai jusqu’à la fin de l’année.

Considérez-vous que vous n’avez pas été entendus ?
Catherine Chadelat a consulté une cinquantaine de personnes. Elle nous a reçus en nous indiquant qu’elle préparait un rapport et nous a posé des questions d’ordre général sur les problèmes du métier. Nous n’avons pas été consultés sur un texte écrit. Et quand le rapport a été rendu, nous n’en avons pas reçu copie. Si nous avions été véritablement consultés, avec le rapport à l’appui, nous aurions ainsi pu le lire et faire nos remarques avant qu’il soit rendu à la garde des Sceaux Christiane Taubira.

Alexis Fournol et Marie Potard

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : Le Symev monte au créneau

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