Art contemporain

Le marché brésilien prend enfin son envol

La scène brésilienne contemporaine a le vent en poupe avec l’ouverture de la biennale de São Paulo et ArtRio affirmant ainsi sa montée en puissance à l’échelle mondiale

Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2012 - 805 mots

Soutenu par une économie en plein développement, un nombre croissant de milliardaires et une scène artistique très vivante, le marché de l’art contemporain au Brésil donne des signes de maturité. Ainsi, la deuxième édition de la foire d’ArtRio, où aucune galerie française n’était malheureusement présente, affiche un bilan positif.

BRÉSIL - Jorge Amado, l’écrivain bahianais, parlait avec autodérision et tendresse de son Brésil, « grand pays d’avenir, et pour longtemps ». En effet, le Brésil a tardé à confirmer les attentes qu’il suscite. Structurellement, son mode de croissance diffère des « miracles » chinois et indiens ou des fulgurances sporadiques des émirats. Artistiquement, sa scène très dynamique a souffert d’éclatement dans ce pays gigantesque (dix-huit fois la France) jusqu’à l’émergence nette de São Paulo comme capitale artistique. Mais près de trente ans après la fin de la dictature militaire, l’avenir s’écrit enfin au présent : en 2011, le Brésil (11e) a doublé la Russie et l’Inde pour le nombre de millionnaires (1).

Et puis les artistes brésiliens ont la cote. Si ArtFacts.net place le Brésil encore loin derrière les meneurs européens dans son classement 2011 du rayonnement des artistes contemporains dans le monde. Artprice, en revanche, dénombre trois brésiliens (Vik Muniz, Adriana Varejão et Beatriz Milhazes) dans son dernier top 100, loin devant le premier français. Candida Sodre, directrice du bureau de Christie’s à Rio, confirme : « En mai dernier, à Londres, lors de notre grande vente d’art latino-américain, 100 % des lots brésiliens ont trouvé preneur, et au-delà des objectifs. C’est rare et significatif ».

Si les artistes brésiliens se vendent dans le monde entier, c’est aussi parce qu’au Brésil la chose est malaisée. La fiscalité locale est lourde et complexe. Les œuvres d’art n’ont aucun statut particulier et la TVA est élevée (20 %). Notable exception, la foire de Rio est exempte de TVA durant cinq jours. Mais les seules modalités de l’exemption restent un frein au commerce. Les droits de douane temporaires se situent entre 20 et 30 %. TVA incluse, la fiscalité peut donc atteindre, en fonction des États, jusqu’à 50 % du prix de l’œuvre – « contre 15 % en moyenne dans le monde », arguent les organisateurs d’ArtRio qui déposeront prochainement sur le bureau du nouveau ministre un projet de loi d’allégement fiscal.

Élan bridé par la fiscalité
Un autre élément fiscal freine le rayonnement de la production brésilienne : la taxation des longs prêts d’œuvre. Une institution brésilienne qui rapatrie une œuvre après un long prêt doit payer des droits de douane (équivalant à ceux d’une importation), un comble pour qui souhaite valoriser les artistes nationaux. L’Abact, l’association brésilienne des galeries d’art contemporain, a fait de la « débureaucratisation » une de ses priorités.

La ministre doit aussi se pencher sur la dotation des commandes publiques : pour soutenir le marché, les institutions ont un budget d’acquisition symbolique. Ana Leticia Fialho est coordinatrice de l’étude ABACT-APEX 2011-2012 (2), qui a réalisé cette année la première analyse du marché brésilien de l’art contemporain : « Les commandes publiques représentent seulement 8 % des ventes des galeries, contre 80 % aux collectionneurs privés (65 % brésiliens, 15 % étrangers). Certains artistes se vendent sans être passés par les instances de légitimation du marché ». Le risque ? Un mouvement spéculatif sur quelques grands noms à l’international et des artistes de bon niveau sans visibilité à l’échelle nationale.

Par ailleurs, l’étude met en lumière un marché brésilien très dynamique ( 44 % sur les ventes en 2011) dans tous les sens du terme : statistique intéressante, 23 % des artistes représentés par une galerie en 2011 l’étaient pour la première fois. São Paulo représente 53 % des galeries sondées (Rio 22 %), mais encore 88 % des ventes à l’étranger. La foire de Rio, plus importante en 2012, devrait confirmer l’émergence d’un marché multipolaire atypique. Christie’s confirme : pour la première fois en 2012, le premier semestre a été meilleur au bureau de Rio (qui administre également Belo Horizonte et Brasilia) qu’à São Paulo.

Le tableau serait incomplet sans évoquer le rayonnement croissant de la fondation Inhotim (voir JdA n° 333, 22 octobre 2010), merveille du monde contemporaine perdue dans l’état du Minas Gerais, qui abrite la collection du milliardaire Bernardo Paz.

Signe des temps, la foire de Rio exposait une multitude de réinterprétations (photos, dessins, peintures, collages) des paysages mythiques de Rio, Pain de sucre et Corcovado récemment anoblis par l’Unesco (voir JdA n° 373 du 6 juillet 2012). Cette forme douce de fierté nationale illustre à elle seule, plus que les chiffres, le souffle d’optimisme qui pousse actuellement le pays et sa scène artistique.

Notes

(1) Rapport Arts economics 2012, Cap Gemini, Merryl Linch : high net worth population
(2) L’Abact, l’association des galeries brésiliennes d’art contemporain, est mandatée par l’Apex, l’agence gouvernementale d’aide à l’exportation, pour cette étude.

Légende photo

Beatriz Milhazes, Sinfonia Nordestina, 2008, acrylique sur toile, courtesy de l'artiste et James Cohan Gallery, New York.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°376 du 5 octobre 2012, avec le titre suivant : Le marché brésilien prend enfin son envol

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