Les oeuvres d’art contemporain n’ont pas toujours été pensées pour durer. Elles ne sont pas à l’abri de dégradations ou d’un vieillissement prématuré.
La peinture a de beaux jours devant elle. Du moins sur le plan de la conservation. Car les craquelures et soulèvements de matières n’ont pas de secret pour les restaurateurs. Dans de bonnes conditions d’exposition, une huile sur toile s’entretient une fois par siècle. Or l’on constate que les œuvres d’art d’aujourd’hui ont souvent besoin rapidement d’une intervention chirurgicale. Le problème vient des matériaux « insolites » employés librement par les artistes d’après-guerre et qui s’altèrent de façon plus ou moins surprenante.
Un restaurateur avoue « manquer de recul pour faire des interventions adaptées sur des matériaux récents ». Pour autant, il assure « toujours trouver une solution ». Ayant pris conscience de la pérennité toute relative de leur collection, des amateurs d’art contemporain demandent conseil avant achat à ces docteurs de l’art que sont les restaurateurs. Certains optent même pour un check-up annuel de leur patrimoine artistique. Parce qu’ils connaissent l’importance de l’état de conservation d’une œuvre à la revente. En principe, un CD-Rom rayé d’une vidéo se grave à nouveau et une photographie jaunissante peut faire l’objet d’un retirage par l’artiste.
Débordant de créativité, les artistes actuels n’hésitent pas à utiliser des matériaux organiques, tels que les fluides comme le sang ou le sperme, les chairs animales, les matières végétales comme l’éponge ou encore toutes sortes de produits alimentaires, lesquels sèchent, pourrissent ou se détériorent dans un temps parfois très court. Les matériaux issus de l’industrie pétrochimique comme les résines synthétiques n’offrent pas toujours une grande résistance dans le temps. Un mauvais environnement peut accélérer le processus de dégradation.
Un fumeur ayant fait un diagnostic préalable auprès d’un artiste (ce peut être une galerie ou un restaurateur) a finalement décidé d’acquérir une œuvre qu’il a placée dans sa chambre, la seule pièce où il s’interdisait de fumer. Altérées ou même endommagées par les intempéries, les œuvres exposées à l’extérieur méritent une attention particulière et une maintenance régulière. Quand une œuvre est abîmée, le premier réflexe est de s’adresser à l’artiste vivant pour un service après-vente ou à la galerie d’origine. Sinon, au restaurateur.
Matières organiques
Les œuvres de Damien Hirst, exhibant des animaux baignant dans des vitrines de formol, sont inéluctablement touchées par le phénomène naturel de décomposition. Ainsi lorsque, pour 8 millions de dollars, le collectionneur américain Steve Cohen achète en 2004 au Britannique Charles Saatchi un grand requin-tigre de l’artiste, la bête était dans un état de putréfaction avancé. L’artiste a dû carrément changer son requin qui datait de 1991. Et il est probable que l’opération soit à renouveler dans les années à venir, le formol ne faisant que ralentir la déliquescence des matières organiques. L’œuvre intitulée The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living (L’Impossibilité physique de la mort dans l’esprit de quelqu’un de vivant) est temporairement exposée au Metropolitan Museum de New York. Si Hirst continue de vendre de telles pièces à des prix stratosphériques, il s’est engagé auprès des collectionneurs à restaurer ses œuvres si besoin.
La photographie
C’est irrémédiable et cela tient aux propriétés du papier de l’époque : les tirages photographiques sur papier chromogénique des années 1970 et 1980 jaunissent, voire virent au violet. Même quand ils n’ont pas été exposés à la lumière ! Et ce n’est pas un effet voulu par l’artiste qui ignorait alors ce défaut de conservation du papier. Parmi les photographes coloristes touchés par ce fléau, citons Stephen Shore, Andreas Gursky, Thomas Ruff, Thomas Struth… Au contraire de William Eggleston qui a beaucoup utilisé le dye-transfer (tirage couleur plus stable et permanent, mais plus coûteux). Si les photos couleur sont plus résistantes depuis quelques années, il est conseillé de les encadrer sous un verre anti-UV et d’éviter une exposition à la lumière directe. Le vieillissement photographique n’est pas restaurable. La seule solution est de demander aux artistes un retirage de la photo abîmée, avec signature et numérotation à l’identique. Mais que faire quand l’artiste est décédé ?
Les œuvres d’extérieur
Les sculptures d’extérieur sont soumises à rude épreuve (pluie, vent, soleil…). Pour ce type d’œuvres, les professionnels de la restauration préconisent un contrôle annuel pour entretien, en prévention d’une restauration plus onéreuse. Dehors, une peinture va s’écailler entre cinq et dix ans, mais se refait à l’identique. Les bronzes et marbres ont fait leur preuve. En revanche, plus ou moins résistantes aux variations de température selon leur qualité, les résines se dilatent, jusqu’à l’apparition de fissures et de craquelures qu’il faut consolider. Si la pluie s’infiltre dans de telles zones d’ouverture, c’est la catastrophe. Surtout si le matériau de bourrage est putrescible. Lorsque l’œuvre est animée d’un mécanisme, il est important de le faire fonctionner comme l’a conçu l’artiste, quitte à remplacer un morceau d’origine par une pièce de rechange contemporaine dénaturant légèrement l’œuvre originale. Ainsi sont restaurées les sculptures motorisées de Jean Tinguely, tandis que les Nana de Niki de Saint Phalle se refont régulièrement peindre le portrait.
Sculptures-volumes et installations
Contrairement à ce que l’on peut penser, une installation, aussi complexe qu’elle paraisse, n’est pas forcément plus vulnérable qu’une œuvre d’art traditionnelle comme la peinture ou le dessin. Tout dépend en fait des matériaux utilisés. « Et de la faculté de refaire ce qui a été fait », souligne le galeriste Georges-Philippe Vallois. Dans le cas de l’installation Orgue à pets de Gilles Barbier, la fragilité de l’œuvre tient aux éléments en verre qui pourraient se briser lors d’un démontage, d’un remontage ou durant un transport peu précautionneux. Or « chaque élément en verre peut être refait et remplacé, tant qu’il y aura des souffleurs de verre », indique le galeriste. « J’ai mis un an et demi pour retrouver une lampe à vapeur de mercure à changer dans une installation de Takis des années 1970 », avoue un restaurateur. Autre cas : que penser du devenir des installations de Thomas Hirschhorn fabriquées avec du Scotch à profusion ?
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Le casse-tête des restaurateurs d’art contemporain
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°628 du 1 octobre 2010, avec le titre suivant : Le casse-tête des restaurateurs d’art contemporain