Dans un marché mondial des ventes publiques estimé à 1 milliard d'euros, l'Hexagone occupe une belle troisième place. Cinq acteurs y dominent le secteur qui a progressé de 64 % en 2015.
En 2015, le lot le plus cher adjugé en France n’était pas signé Modigliani ou Picasso, mais Ferrari. Cette automobile de collection, une 250 GT SWB California Spider de 1961 version « sortie de grange », issue de la collection Baillon, a été cédée 16,3 millions d’euros par Artcurial. En 2016, au vu du nouveau succès remporté par la société lors du salon Rétromobile, qui s’est tenu du 3 au 7 février porte de Versailles à Paris, le scénario devrait se répéter. Artcurial y a vendu une Ferrari 335 S Scaglietti Spyder de 1957, du mythique rouge de la marque, pour la somme de 32,1 millions d’euros, (un record, ou pas, selon que l’on calcule en euros ou en dollars). La vente elle-même a totalisé 56,1 millions d’euros, soit 20 % de plus que l’an dernier. Parallèlement, la britannique Bonhams avait déployé ses bolides sous la voûte du Grand Palais – une référence aux premiers salons automobiles – et réalisait le 4 février un volume d’affaires de 12,3 millions d’euros. Son lot phare, une Ferrari 275 GTB Berlinetta de 1966, était adjugé 2 millions. Quant à la canadienne RM Sotheby’s, elle avait aligné la veille ses véhicules de collection au pied du dôme des Invalides et atteignait 19 millions d’euros de volume de ventes, dont 2,7 pour une Porsche 550 Spyder de 1955.
Lors de cette même édition, il n’était pas anodin de découvrir à Rétromobile la Sunbeam Alpine Roadster bleu glacier datant de 1953, conduite par Grace Kelly dans le film La Main au collet (Hitchcock, 1955). Le véhicule est le lot phare de l’opérateur de ventes (OVV) marseillais Leclere pour la vente inaugurale de son département « Motorcars » prévue au printemps à Drouot. « On s’intéresse de plus en plus à l’automobile de collection », indique Matthieu Lamoure, responsable d’Artcurial Motorcars. « Tout le monde a un lien avec l’automobile, on a forcément de bons souvenirs qui y sont liés. Et elle est plus facile à comprendre que l’art en général », souligne le spécialiste.
Historique du marché
Comment ce marché en plein boom s’est-il développé en France ? La tradition de ventes publiques de bolides de collection est ancienne. Les premières vacations sont apparues en 1976 sous le marteau d’Hervé Poulain, suivies deux ans plus tard par les enchères menées par Jean-Pierre Osenat. Parmi les étapes importantes du développement dans l’Hexagone, figure l’installation en 2009 de Bonhams, qui revendique la première place du secteur. En 2015, la société engrangeait 30,5 millions d’euros en France, et réalisait un total mondial estimé à 500 millions de dollars. En 2010, Artcurial créait un département à part entière, au succès rapide. Leader en France, l’opérateur totalisait l’an dernier 71 millions d’euros en volume de ventes, de sorte que le département, désormais le premier d’Artcurial, représentait 37 % du chiffre d’affaires de toutes ses ventes aux enchères.
Autre moment clef, en 2013, lRM Auctions, qui revendique aussi la première place, organisait ses premières vacations en marge de Rétromobile. La société, associée avec Sotheby’s depuis février 2015 pour former « RM Sotheby’s », réalisait en 2015 un chiffre de 19,3 millions d’euros dans l’Hexagone. Derrière ces mastodontes figurent aujourd’hui les OVV Osenat et Aguttes (ce dernier étant actif depuis 2013), avec des volumes respectifs de 6,7 et 6 millions d’euros en 2015. Chacun se réjouit du développement de la concurrence en France. « Plus il y a d’acteurs au même endroit, plus le marché grossit », commente Matthieu Lamoure.
Rétromobile et les ventes qui s’inscrivent dans son sillage sont incontestablement devenues un temps fort du calendrier international. « Le salon attire les collectionneurs les plus informés du monde entier », indique-t-on au chez RM Sotheby’s. L’autre temps fort du calendrier mondial est le concours annuel d’élégance de Pebble Beach en Californie, qui donne lieu à des ventes fleuves. « En termes de ventes, Rétromobile se situe juste derrière », précise Matthieu Lamoure. En France, le salon Epoqu’Auto, organisé à Lyon en novembre, rassemble également bon nombre de ventes publiques, dont celles des OVV Aguttes et Osenat. En 2015, les ventes publiques d’automobiles de collection en France ont fait un bond jamais vu, de 64 %, s’établissant à 107 millions d’euros hors frais (données du Conseil des ventes volontaires à paraître le 2 mars), soit environ 133 millions frais compris. « Il est intéressant de noter que les ventes de RM Sotheby’s comprennent presque 80 % de véhicules venus de l’étranger, Artcurial se fournit également dans toute l’Europe. C’est bien le signe que Paris est une devenue une vraie place de marché », explique Loïc Lechevalier, secrétaire général du Conseil des ventes.
Le berceau de l'automobile
Quels facteurs ont permis que la France, dont on souligne principalement le déclin dans un marché de l’art mondialisé, réussisse dans le secteur automobile ? Les raisons sont avant tout historiques. « La France est le berceau de l’automobile », rappelle Jean-Pierre Osenat. Autre atout, la France a constitué très tôt un terrain de choix pour l’organisation de divers événements liés à l’automobile. « La culture automobile y est très développée. La montée en puissance des ventes est aussi liée aux nombreuses compétitions et rassemblements qui ont toujours eu lieu en France et se multiplient à l’heure actuelle. Cela a créé un mouvement et beaucoup demandent aujourd’hui à ce qu’une vente aux enchères soit organisée en parallèle de leur événement », ajoute Arnaud Faucon. Le rôle de Rétromobile a été fondamental dans ce domaine. « Organisé dès 1976 à la Bastille, il est le tout premier salon consacré à l’automobile de collection dans le monde. Grâce à la richesse des pièces présentées dès le début, il a attiré rapidement beaucoup d’acteurs », précise Stéphane Bonoron, expert près la cour d’appel de Paris et dirigeant de la société Cérède-Bonoron Expertise. Si le marché est développé en France, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un lieu d’approvisionnement important pour les véhicules. Le facteur compte, car les véhicules sont plus difficilement exportables que les œuvres d’art, pour d’évidentes raisons logistiques. « Les Français ont été des collectionneurs de la première heure dans ce domaine. Aussi le pays reste aujourd’hui un vivier important pour trouver de belles automobiles », explique Stéphane Bonoron. Le succès d’Artcurial a également permis de faire boule de neige. « Lorsque Artcurial a atteint une taille critique il y a trois ans, cela a permis à la place parisienne d’augmenter sa visibilité et à d’autres acteurs de se positionner », indique Loïc Lechevalier.
Mais malgré ces beaux succès, la France n'est pas la première place de marché : d’après Matthieu Lamoure, elle représenterait environ 12 % d’un marché mondial évalué à 1 milliard d’euros (tout de même quatre fois plus que sa part de marché dans le marché de l’art mondial). À l’échelle mondiale, le marché reste dominé par les États-Unis, et en deuxième place par le Royaume-Uni, qui devrait être cette année talonné par la France. Aussi, « cela reste un segment de niche, le nombre de lots vendus est très restreint. Ce marché, très segmenté et concentré entre les mains de quelques acteurs, est tiré par quelques produits atypiques haut de gamme, qui font de très grands prix », ajoute Loïc Lechevalier.
Si le gâteau est appétissant pour les maisons de ventes, le ticket d’entrée est difficile à obtenir. Tous les acteurs soulignent en effet les spécificités du marché. « L’expertise, qui concerne à la fois l’authenticité et l’état, est complexe. Aussi, les rapports avec les acheteurs comme avec les vendeurs ne sont pas faciles, les relations aux véhicules sont très affectives », indique Jean-Pierre Osenat. « Les contraintes sont nombreuses. La clientèle est très dure en affaires et la logistique complexe, ne serait-ce que pour des questions de stockage », précise Arnaud Faucon. Certains s’y sont d’ailleurs cassé les dents. Cornette de Saint Cyr a ainsi fermé son département après une vente programmée en septembre 2015 au cours de laquelle aucun des 23 véhicules proposés n’avait été vendu. À l’échelle internationale, Christie’s avait également jeté l’éponge il y a quelques années.
Faut-il craindre l’éclatement d’une bulle comme cela avait été le cas dans les années 1990 ? « Le marché s’ajuste : certaines époques, comme celle des “youngtimers”, c’est-à-dire les automobiles construites à partir des années 1980, vont continuer de monter. D’autres deviennent plus difficiles à vendre, comme les “caisses carrées” de l’entre-deux-guerres », explique Matthieu Lamoure. Si l’aspect investissement est indéniable aujourd’hui, le public reste composé de passionnés et la spéculation ne se développe guère. « Quelques fonds apparaissent mais il n’y a pas de spéculation, le marché est sain », assure Matthieu Lamoure.
Stéphane Bonoron souligne quant à lui la difficulté croissante de trouver des automobiles en France. « Le problème est que tous les véhicules partent à l’étranger, aux États-Unis pour les plus grosses pièces. La France laisse filer toutes les belles carrosseries, il n’y pas de collectionneurs de l’envergure d’un [François] Pinault ou [Bernard] Arnault », explique-t-il. L’un des plus importants développements pourrait venir de l’autre bout du monde, avec une ouverture du marché à la Chine, qui se fait encore attendre pour l’instant.
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La France raffole des voitures de collection
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Abonnez-vous dès 1 €Ferrari 315 335 S Scaglietti Spyder, 1957, ancienne collection Bardinon, vente du 5 février 2016, Artcurial. © Artcurial/Photo : Christian Martin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : La France raffole des voitures de collection