BOGOTÁ / COLOMBIE
La foire réunissant de jeunes artistes qui vient de fermer les portes de sa 10e édition à Bogotá limite à 225 euros le prix des œuvres présentées.
Bogotá (Colombie). Démocratiser l’art. Rares étaient ceux il y a dix ans à parier sur l’avenir de cette foire réunissant une quarantaine d’artistes inconnus, sans grande expérience ni représentation, dans une ancienne usine textile à la périphérie de Bogotá. Et pourtant, le rêve un peu fou d’un journaliste et d’un architecte colombiens d’un marché de l’art accessible à tous, ou presque, a fait déplacer les foules et bouger les esprits. Et, en une décennie, ce lointain cousin de l’Affordable Art Fair de New York s’est installé dans le paysage culturel de ce pays plus souvent cité jusque-là pour son histoire de violence endémique que pour sa fibre artistique.
Le concept de la Feria del Millón est simple. Comme l’indique son nom, chaque œuvre, peinture, photographie, sculpture ou installation, est mise en vente au prix de un million environ. Un million de pesos colombiens. Soit un peu moins de 225 euros en ce début d’octobre 2022. Les artistes se présentent eux-mêmes face au public et clients potentiels et fixent leur prix définitif, dans le cadre de cette limite. Pas de galerie, pas d’intermédiaire, la Feria del Millón se veut une foire d’artistes.
« L’idée n’est pas née d’une étude marketing, d’une stratégie commerciale ou de quoi que ce soit d’autre », explique Diego Garzón, cofondateur de la Feria avec Juan Ricardo Rincón. Ce dernier, architecte, s’occupait de la restauration d’une usine textile désaffectée : « Au début des travaux, l’espace était vide et des étudiants de l’Université des Andes se sont mis à l’utiliser gratuitement pour travailler puis présenter leurs travaux de fin d’étude, des peintures, des dessins, des sculptures. C’était un travail artistique. En allant voir ça, nous avons été frappés par le naturel avec lequel les gens, les amis ou la famille, voyaient, interagissaient avec cet art. “C’est quoi ? Ça vaut combien ?” C’est alors qu’est née l’idée de créer une plateforme pour jeunes artistes qui ait ce naturel, cette fraîcheur dans les échanges. Et nous avons décidé que le prix des œuvres devrait rester accessible et fixé le seuil d’un million [de pesos].» Ajoutant :« Ça avait l’air d’une blague au début, ce million, mais la presse en a parlé, les réseaux sociaux s’en sont emparés, et très vite les gens ont répondu à l’appel. Tant et si bien que dès le début, l’affluence et les ventes ont été un succès. »
La Feria del Millón, qui se déroulait cette année du 29 septembre au 2 octobre, un mois avant les autres grandes foires annuelles Barcú et ArtBo, a accueilli plus de 13 000 visiteurs, un record pour la Colombie. Quelque 70 artistes sur 1 000 candidats sélectionnés par un comité de six experts, artistes, historiens de l’art, galeristes ou collectionneurs, y exposaient leurs créations. « C’est l’année où nous avons le plus vendu », souligne Diego Garzón. 75 % des œuvres exposées sont parties.
« C’est une belle opportunité », reconnaît Vanessa Valero, artiste textile, devant son stand où s’affichent une dizaine de pièces de tapisserie en laine et fil Guajiro inspirées de la montagne et du froid des superbes hauts plateaux des páramos, près de Bogotá. Formée à Helsinki, en Finlande, à la technique du tapis noué et tufté à la main, l’artiste mariant savoir-faire nordique et couleurs andines participe à la Feria pour la troisième fois. « J’ai un galeriste maintenant, mais ici je noue directement le contact avec les gens et je peux leur montrer mon travail. »
Un peu plus loin, une série d’installations regroupant de faux documents administratifs comme jaunis par le temps attire l’œil. Sous le sceau de la « República de Colombia » et le titre « Niño Bomba » (Enfant-bombe), on y aperçoit sur la première l’examen légal d’un cadavre d’enfant, une carte du pays et une lettre manuscrite de la plume des tueurs, appartenant à la guérilla des Farc, après l’échec de négociations de paix en 2002. « Je crée une fiction, une fiction à partir d’événements extrêmement réels et crus, un travail sur la violence de l’être humain, abordée depuis le contexte dans lequel j’ai grandi », explique l’artiste Walter Londoño, 29 ans, pour qui l’art est une arme contre « la normalisation ».
Comme un pied de nez aux humeurs guerrières, les organisateurs ont choisi cette année pour le grand anniversaire de la Feria del Millón le cadre grandiose et très ibérique de la Plaza de Toros, arènes des années 1930 à la façade en brique d’influence hispano-musulmane, où, en raison d’une législation de plus en plus restrictive, toiles, sculptures et photographies ont ici remplacé capes, muletas, banderilles et taureaux.
Si le but affiché de la foire est d’encourager artistes et collectionneurs en herbe à tenter leur chance, c’est aussi pour les galeristes colombiens et internationaux prêts à faire le voyage « un lieu de découverte d’artistes », confie Nohra Haime, de la galerie new-yorkaise du même nom. « Je vais à la Feria depuis des années… J’y ai déniché deux nouveaux artistes, dont William Aparicio que j’ai montré à Carthagène [Colombie] et Juan Cortés, à New York. » Cortés, dont l’art électronique et sonore était de retour cette année à la Feria dans le cadre de l’exposition « 1K », qui réunit quelques artistes du cru ayant fait leurs preuves à l’international et affichés ici à des prix allant de 800 à 1 800 dollars (environ 800 à 1800 €). Il « est désormais invité partout », affirme la galeriste. Du Millón au MoMA.
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La Feria del Millón, le salon colombien d’art à prix fixe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°597 du 21 octobre 2022, avec le titre suivant : La Feria del Millón, le salon colombien d’art à prix fixe