L’arrêt de la cour d’appel de Paris confirmant le jugement qui avait relaxé les trois antiquaires parisiens poursuivis pour avoir vendu des meubles et objets d’art à une collaboratrice de la BNP Paribas, laquelle détournait des fonds pour les payer, en apprend plus sur la collectionnite et les banquiers que sur la cause elle-même, présentée un peu rapidement comme une affaire de blanchiment.
S’il avait été réellement question de blanchiment (1), ou plus précisément, de recel d’abus de confiance ou d’escroquerie, il n’aurait pas été compréhensible qu’une très grande banque, dont c’est le métier de « sécuriser » l’argent, fasse condamner des marchands, lesquels sont, eux, des manieurs d’objets, pour les carences de ses systèmes de contrôle. Sur ce point, l’affaire – qui s’est passée plus de cinq ans avant le grand maelström de 2008 –, est édifiante.
On apprend dans cette décision de justice qu’une employée (la collectionneuse), « chargée de comptabilité » payée 1 800 euros par mois, pouvait régler jusqu’à 100 000 euros par paiement des factures adressées à sa banque et ceci « sans validation hiérarchique ». Hors la limite de 100 000 euros par règlement, il ne semble pas que des procédures de contrôle de cumul aient existé. D’où il advint qu’entre 2002 et 2005, portée par son amour de l’art, elle fit l’acquisition à hauteur de 15 167 875 euros et 34 centimes d’œuvres et d’objets d’art auprès d’une trentaine antiquaires et de galeries. D’après les chiffres mentionnés dans l’arrêt, on sait qu’elle eut recours aux codes de sa hiérarchie pour seulement 3 684 544 euros de paiements, c’est-à-dire qu’elle utilisa pour près de 12 millions d’euros les « pouvoirs » de paiement que lui laissaient les contrôles défaillants.
On y apprend aussi les conditions du « marchandage » transactionnel qui est intervenu entre la banque et les antiquaires. Ces derniers se sont engagés à indemniser la banque à hauteur de 50 % des sommes que leur avait versées en règlement l’acheteuse, moyennant quoi ils récupéraient les objets et obtenaient de la banque qu’elle renonce à demander à sa collaboratrice plus que l’euro symbolique de dommages et intérêts (c’était élégant).
On apprend enfin dans l’arrêt que la fautive avait reconnu par écrit à son employeur « avoir agi dans un état de maladie de dépendance à l’achat compulsif », état requalifié par un expert psychiatre en tant que « troubles de la personnalité que l’on pourrait décrire comme une toxicomanie d’objets ».
La cour semble avoir eu de la sympathie pour cette « toxico », un peu moins pour ses fournisseurs, « blâmables [pour leur] comportement qui a favorisé, en tissant des liens de proximité voire d’affection, les achats compulsifs [de la banquière]… ». « Blâmables » mais pas coupables, « dès lors que ni la banque émettrice [des virements], ni les banques bénéficiaires […] n’ont émis de réserve, ni alerté les prévenus sur la régularité des opérations, en dépit de la répétition des opérations durant trois années et de leurs montants croissants ». Il ne peut donc être reproché aux prévenus « un manque de vigilance… ». On notera au passage que la tenue régulière des livres de police et la pratique de marges sur les prix qui n’étaient pas anormales pour du « mobilier de prestige… dont l’authenticité n’était pas contestée », a plaidé en faveur des marchands. In fine, la cour a confirmé le jugement, notamment en ce qu’il ordonnait à l’acheteuse de « se soumettre à des mesures de traitement ou de soins médicaux, même sous le régime de l’hospitalisation ». Alors, à quand les « interdits de Biennale ou de FIAC [Foire internationale d’art contemporain] » ou les comités d’experts flanqués de psychiatres spécialisés en collectionnite ?
Au fond, tout est bien qui finit presque bien, la BNP n’en étant pas à 6 ou 7 millions d’euros près. Un vrai mécène !
Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 12, 22 sept. 2009, no 08/07384.
(1) lire les JdA no 279, 11 avr. 2008, p. 36 ; no 280, 25 avr. 2008, p. 23 ; no 284, 20 juin 2008, p. 23
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La cour d’appel de Paris fait droit à l’achat compulsif
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : La cour d’appel de Paris fait droit à l’achat compulsif