À la galerie Seroussi, les Camouflages et Trames d’Alain Jacquet jouent à cache-cache avec le pop art.
PARIS - Surfant sur l’exposition des Nouveaux Réalistes au Grand Palais, la galerie Natalie Seroussi rend hommage aux Camouflages et aux Trames réalisés par Alain Jacquet dans les années 1960. Cet artiste apparaît seulement en guest star dans la manifestation du Grand Palais. Et pour cause. Son travail se situe à mi-chemin entre le pop art et le Nouveau Réalisme sans relever tout à fait ni de l’un ni de l’autre. Contrairement au mouvement fédéré par Pierre Restany, son œuvre s’ancre du côté de la reproduction, et non de l’objet réel. Ses stratégies sérielles et ses jeux de mise en abyme le rapprocheraient même davantage d’un Andy Warhol ou d’un Roy Lichtenstein. Mais si le pop art propose des images directes et frontales, Jacquet opte plutôt pour l’ambiguïté, l’ironie et la polysémie.
Les Camouflages, dont cinq spécimens sont présentés à la galerie, jouent sur l’interférence et le télescopage des images puisées tant dans l’histoire de l’art que dans la culture de masse. L’emblème en est la Vénus de Botticelli sur laquelle se superpose en transparence la représentation d’une pompe à essence Shell. Certains Camouflages se révèlent plus lisibles que d’autres, ainsi celui de 1963 associant un panneau de chemin de fer à une toile de Mondrian. Le décryptage devient plus ardu avec la série de la Chapelle Sixtine, notamment La Tentation d’Ève (165.000 euros). L’image se morcelle alors dans un foisonnement de couleurs et de formes sinueuses empruntées au vrai motif du camouflage. La pièce la plus spectaculaire et dense de l’exposition reste le Camouflage Lichtenstein, Roto Broil, de 1963 (185.000 euros), qui flirte avec le vocabulaire de l’artiste américain. « Tout se passe comme s’il s’agissait pour lui de répondre sur leur propre terrain au défi que ces images pop lui lançaient, et en somme de traiter le pop par le pop, de l’exaspérer, de faire en quelque sorte du pop art au carré », écrivait Guy Scarpetta dans le catalogue de l’exposition « Trames et camouflages » au Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice en 2005.
Dilatation du détail
Ce regard distancé sur le pop s’affine dans la série des Trames, initiée en 1964 et dont on découvre deux diptyques de 1966, Mère et enfant (85.000 euros) jouant sur un effet de positif-négatif qui pourrait symboliser l’ambiguïté des rapports maternels. Jacquet y met à nu la structure de la reproduction photographique, grossit les points constituant l’image, dilate le détail et décompose les couleurs dans un clin d’œil au pointillisme. « Si l’on s’éloigne, l’image se rapproche ; si l’on se rapproche, elle se dissout, s’évanouit : ne reste alors que la trame elle-même, dégagée de toute dénotation, de toute fonction référentielle, ne laissant plus subsister (ou s’épanouir) qu’un sens second, allusif, de connotation – car ce que la trame signifie, alors, ce n’est rien d’autre que le pop art en tant que tel », observe Guy Scarpetta.
Par son travail sur les trames, Jacquet a ouvert des brèches dans lesquelles artistes et photographes se sont engouffrés. Pourquoi son œuvre est-elle, sinon méconnue, du moins peu valorisée ? Sans vraiment s’attacher à un marchand, Jacquet avait pourtant exposé chez Alexandre Iolas, Yvon Lambert et à la Galerie Beaubourg. Le fait qu’il vive à New York aurait même pu lui ouvrir les portes des collections américaines. « C’est un freelance, remarque Natalie Seroussi. Il s’est mis à l’écart des Nouveaux Réalistes, et se sentait mieux avec les Américains. Mais les Américains défendent, eux, leurs propres artistes. » Il manque du coup aux prix de Jacquet un à deux zéros pour jouer dans la même arène qu’un Lichtenstein.
Jusqu’au 23 juin, galerie Natalie Seroussi, 34, rue de Seine, 75006 Paris, tél. 01 46 34 05 84, tlj sauf dimanche et lundi 10h-19h.
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Jacquet l’Américain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°260 du 25 mai 2007, avec le titre suivant : Jacquet l’Américain