Le décorateur français vend 75 objets royaux de sa collection conservée au château du Champ-de-Bataille pour assurer la pérennité du lieu.
Pour abriter ma collection, j’ai acheté le château du Champ-de-Bataille [en Normandie] en 1992 ; il se trouvait dans un état de vétusté totale, sans jardin, l’intérieur était la résurgence d’un hôpital de guerre. Pendant trente ans, dont dix pour l’intérieur, je me suis acharné à créer un nouveau jardin, détruit un an après mon achat par la tempête de 1993. C’était le plus grand jardin privé d’Europe (44 ha). Aujourd’hui je vends ces objets – 75 car c’est mon âge – parce que je suis célibataire, que je n’ai pas de succession à garantir et que je souhaite donner le château à une organisation : un institut, le Département, les monuments historiques ou une fondation, à créer. Mais pour ce faire, il faut impérativement avoir un fonds de dotation. Donner quand cela coûte, les gens ne sont pas d’accord.
Je suis un bâtisseur mais un très mauvais exploitant. La preuve, j’ai fait [en tant que décorateur] cent hôtels dans le monde et je n’en ai aucun à mon nom. Ce que j’aime, c’est faire les choses. À Champ-de-Bataille, je suis dans le rôle de l’exploitant et c’est pourquoi je veux m’en défaire. Je n’ai aucun attachement aux objets, mais l’idée d’en découvrir un, de l’acheter et de le mettre en scène, ça, ça me rend fou. Je n’ai pas raté ma vocation de décorateur. Une fois placé, il fait partie d’un tout et n’est plus à moi. La décision de vendre n’a donc pas été mortifère.
Je pense à la paire de vases gigantesques provenant de la collection Hamilton ainsi qu’à une paire de cabinets en laque du Japon du XVIIe siècle, dont les montures sont en argent, ce qui est rarissime. J’ai la facture d’achat, [effectué] à la Compagnie néerlandaise des Indes, et une clé au chiffre de William & Mary. Il y a aussi la console de Weisweiler en tôle à l’imitation de la laque du Japon. Un petit coup de cœur : une petite table pour écrire dans son lit, en acajou, toute simple mais d’une qualité folle, portant la marque du Garde-Meuble de Marie-Antoinette. Nous sommes dans l’intimité absolue de la reine. Enfin, cette découverte : quatre fauteuils et un canapé en bois doré, exécutés par Jacob, possédant la marque du château de Fontainebleau. Extraordinaire de proportions et de finesse, ce mobilier correspond au millimètre près aux boiseries du cabinet turc de Marie-Antoinette dans l’entresol du château.
Je ne vends aucun tableau (liés à la famille royale), ni bronze, ni sculpture. Je suis mazariniste ! Quant aux livres (plus de 10 000), ils étaient à mon père, que j’adorais et qui était un très grand bibliophile.
Cela a été un casse-tête de six mois pendant lesquels j’ai été déménageur : j’enlevais, je mettais autre chose à la place, un mois après je rechangeais. J’ai accumulé, ce qui donne un goût que j’adore, le goût Rothschild. Or, la vocation de Champ-de-Bataille est d’être une maison aristocratique, moins chargée. Ces 75 objets enlevés, l’atmosphère du lieu reste inchangée, c’est le plus important pour moi.
Je suis plus intéressé par les beaux objets que par la provenance illustre, pour la bonne et simple raison que lorsqu’un grand commanditaire s’adresse à un grand artiste, celui-ci donne le meilleur de lui-même. C’est une communion entre le commanditaire et l’artiste. Quand on commande à [I. M.] Pei la Pyramide, il fait le mieux du mieux.
La vente aux enchères a deux avantages : on ne pourra pas me reprocher d’avoir vendu à n’importe qui ; et, pour valoriser Champ-de-Bataille, rien de mieux qu’on en parle. Christie’s et Sotheby’s ont été en concurrence, une concurrence très loyale. Cela ne s’est pas décidé dans l’affect – qui allait davantage vers Christie’s puisque j’ai décoré certaines des maisons de François Pinault. Une maison de ventes, c’est un ensemble et il m’a semblé que Sotheby’s correspondait plus à ce que j’en attendais pour les objets que je vendais.
Un chef-d’œuvre reste un chef-d’œuvre. Un siège par Jacob pour Marie-Antoinette est intemporel, d’où le nom de la vente. L’intemporalité l’emporte sur le tout.
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Jacques Garcia : « L’idée de découvrir un objet, de l’acheter et de le mettre en scène me rend fou »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Jacques Garcia, décorateur : « L’idée de découvrir un objet, de l’acheter et de le mettre en scène me rend fou »