NEW YORK / ETATS-UNIS
Dans son espace de Chelsea mais aussi à Beacon, la Dia Art Foundation consacre une rétrospective posthume à François Morellet - la plus importante depuis plus de trente ans aux Etats-Unis. Galeriste nancéien, Hervé Bize, proche du plasticien disparu en 2016, revient sur la genèse du projet.
Comment s’est faite votre rencontre avec François Morellet ?
Cela remonte à mes débuts. A l’origine, j’avais moi-même une démarche artistique personnelle. En 1986, j’ai eu la chance de voir la première rétrospective Morellet au centre Pompidou à Paris. La même année, j’ai organisé une biennale d’art contemporain à Nancy avec une trentaine d’artistes, parmi lesquels François n’était pas présent. Mais peu de temps après, j’ai décidé d’ouvrir une galerie. Très naturellement, je lui ai écrit, nous nous sommes rencontrés. Je crois qu’il a été sensible à ce que je lui proposais et aussi au fait que je n’étais pas un galeriste parisien. Dès 1989, j’ai commencé à travailler avec lui. Nous avons fait au total - je crois - sept expositions monographiques à la galerie.
En 2003, il y eut une rétrospective au Musée des Beaux-arts de Nancy et une autre en 2011 au musée d’art ancien et contemporain d’Epinal mais à partir de 2005, je me suis dit que je devrais contribuer d’une autre manière à la diffusion de son travail, c’est-à-dire sur des projets extérieurs et de préférence à l’étranger. J’ai décidé de consacrer une partie de mon énergie à essayer de provoquer des projets de différents types avec des confrères américains, des institutions. J’ai parfois coutume de dire que François Morellet était mon père spirituel. C’est quelqu’un qui m’a marqué très profondément, et pas uniquement en tant que galeriste mais aussi à travers la relation que j’ai pu avoir avec lui, ainsi que sa femme et leurs fils. C’est la raison pour laquelle il me semblait impossible de ne pas me joindre à l’émergence de ce projet à New York. Il va y avoir durant l’exposition plusieurs symposiums et une publication paraîtra visant autant que faire se peut à apporter de nouveaux éclairages sur l’œuvre.
Quelle est votre contribution à cette rétrospective ?
J’ai des relations avec la Dia depuis de nombreuses années. J’avais l’habitude de voir de temps à autre Philippe Vergne lorsqu’il en était le directeur (avant l’arrivée de Jessica Morgan), Yasmil Raymond, aujourd’hui curatrice au MoMA, ainsi que des trustees de la fondation. Depuis dix ans maintenant, comme je l’évoquais, j’ai essentiellement consacré le travail de suivi de l’œuvre de François Morellet à des actions aux Etats-Unis, pas uniquement au travers des foires auxquelles la galerie participe mais à l’occasion de collaborations avec d’autres galeries pour des projets ou des institutions, je pense notamment au New Museum en 2012, avec pour ambition d’essayer de susciter l’annonce d’une rétrospective qu’on aurait aimée un peu moins tardive pour que François puisse l’apprendre encore de son vivant et également une représentation de son travail par une galerie new-yorkaise. Parmi les lieux dont il rêvait, il y avait la Dia.
Compte tenu de la continuité des actions déployées autour de New York et de la relation avec lui depuis près de trente ans, je me suis retrouvé de fait associé à l’émergence de ce projet. En mai 2016, la galerie a participé à Frieze NY avec une présentation solo de François très remarquée, le stand était en effet très spectaculaire : il déployait, à la fois sur les murs et le sol, une nouvelle version du fameux wallpaper issu d’une répartition aléatoire de plusieurs dizaines de milliers de carrés, suivant les décimales du nombre π. C’était la première fois que cette pièce, qui est une œuvre en soi, accueillait comme support d’autres œuvres de Morellet. Ce projet, qui fut le tout dernier réalisé avec lui de son vivant - François décéda juste après la fin de la foire - s’est déroulé peu avant la première annonce non officielle d’une rétrospective à la Dia. Depuis, j’ai eu des contacts réguliers avec la Fondation et les curatrices de l’exposition, Béatrice Gross et Megan Holly Witko. Je prête une pièce du début des années 1960, une répartition aléatoire, et plusieurs indirectement au travers de prêts de collections privées new-yorkaises qui ont acquis des œuvres auprès de la galerie ces dernières années. Je participe également sous la forme d’un don, qui contribue au financement de l’ensemble du projet. C’est pour moi une manière de m’engager davantage dans cette exposition qui va permettre au public américain de découvrir la démarche de François, « monstrueuse » dans le bon sens du terme et certainement très difficile à circonscrire dans le cadre d’une rétrospective classique. Comme l’exposition s’étend aussi à l’extérieur avec un grand mural sur la façade du bâtiment de la Dia à Chelsea, ainsi que sur son site de Beacon avec une gigantesque installation néon, c’est une opportunité réelle de reconsidérer l’importance de l’œuvre de Morellet par rapport aux artistes américains, bien au-delà des mouvements auxquels il est souvent associé, qu’il s’agisse de l’art cinétique ou de l’op art. Cela montre qu’elle excède tout cela et qu’il est incontestablement l’un des artistes dont l’approche très minimaliste a forcément un écho considérable aux Etats-Unis. Pour toutes ces raisons, il m’a semblé nécessaire de soutenir l’exposition.
Morellet a des collectionneurs américains et est présent dans des institutions. Pour autant, en dehors d’un cercle relativement restreint, il est considéré très en-deçà de ses alter ego américains. L’exposition vous semble-t-elle susceptible de réévaluer l’œuvre outre-Atlantique, à la fois sur le plan critique mais aussi commercial ?
Sans nul doute, cette exposition devrait provoquer une nouvelle approche et une nouvelle lecture de l’œuvre de Morellet. Je crois que son œuvre est à la fois connue et inconnue, pour différentes raisons. La dernière rétrospective à New York a eu lieu au Brooklyn Museum en 1985. A l’exception des projets que nous avons réalisés entre 2007 et 2014 avec des galeries telles que Andrea Rosen (une exposition historique autour du cinétisme), Sperone Westwater (un show avec Gerhard von Graevenitz) et Josée Bienvenu (une exposition rétrospective de dessins), les précédentes expositions personnelles remontaient au début des années 1990. L’absence de galerie le représentant sur place aux USA a joué en sa défaveur mais aussi le fait que les artistes français n’aient pas toujours été bien défendus. Sur les foires, beaucoup de mes confrères ont plutôt eu tendance à privilégier les artistes étrangers qu’ils représentaient plutôt que les Français qui, pourtant, pouvaient trouver naturellement un écho aux Etats-Unis. François s’est rendu régulièrement aux USA et il fut accueilli la première fois à New York en 1960 par Ellsworth Kelly qui avait vécu auparavant en France, tout comme un autre artiste américain auquel il était très lié, Jack Youngerman. Il rêvait de voir son travail exposé à la Dia et dialoguer avec d’autres figures conceptuelles qu’il appréciait. Ce projet arrive de manière très opportune pour montrer en quoi sa démarche est pionnière et pleinement associée à un certain nombre d’artistes outre-Atlantique. On sent bien qu’actuellement à l’étranger les collectionneurs, les curateurs qui appartiennent aussi pour beaucoup à une nouvelle génération sont plus enclins à regarder ce qui se passe en France de la fin des années 1960 jusque dans les années 1970. Morellet est un des acteurs majeurs pour cette période. Compte tenu de la situation privilégiée de la Dia en plein cœur du quartier de Chelsea à New York et la durée de cette rétrospective, jusqu’à début juin, l’exposition ne peut qu’avoir une incidence forte tant pour la visibilité de son œuvre que pour ce qui touche à son marché.
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Hervé Bize : « l’exposition devrait provoquer une nouvelle lecture de l’œuvre de Morellet »
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