LE BOURGET
Au Bourget, les grands moyens de la galerie Gagosian permettent de mettre en valeur l’œuvre impressionnante de Simon Hantaï, disparu en 2008.
La directrice de la galerie Jean Fournier, Émilie Ovaere-Corthay, a été très étonnée lorsque cet été, elle a appris que la galerie Gagosian allait désormais s’occuper de l’estate (la succession) de Simon Hantaï (1922-2008). On peut la comprendre : Jean Fournier a été le premier galeriste de l’artiste, il lui a consacré 18 expositions personnelles (et autant de collectives) de leur rencontre en 1955 à sa mort en 2006, et depuis 2013 Émilie Ovaere-Corthay a elle-même présenté trois « Solo Shows » d’Hantaï, également présent dans trois expos de groupe. Mais le marché de l’art a ses raisons que le coeur ne connaît pas. Daniel Hantaï, le fils de l’artiste, le reconnaît et explique que la multinationale Gagosian va pouvoir « donner une plus grande visibilité à [son] père sur la scène internationale ». Ce n’est pas faux non plus.
Une chose est sûre : pour des questions d’espace, l’actuelle exposition présentée à l’enseigne Gagosian du Bourget n’aurait pas pu se faire chez Fournier, rue du Bac à Paris. De façon spectaculaire, magistrale, muséale, l’immense patio réunit en effet trois splendides et hypnotiques ensembles d’œuvres toutes en noir et blanc, comme un fil rouge, si l’on peut dire, de la manifestation.
Le premier est constitué de quatre très grandes toiles (4,45 x 2,93 m) de la série des Études [voir ill.], datées de 1969, c’est-à-dire de l’année même où l’artiste entama ce travail qu’il poursuivra jusqu’en l973. Elles ont d’ailleurs fait l’objet d’une exposition à la galerie Jean Fournier à l’été 1969, sous le titre « Pour Pierre Reverdy - Études» en hommage au poète, que l’artiste appréciait beaucoup. Véritables coups-de-poing et démonstrations de sa fameuse technique du pliage, elles montrent comment celle-ci lui permettait d’inventer des cartographies, de multiplier les rythmes, les imbrications et les rapports du peint et du non-peint dans des jeux presque inversés du positif-négatif. Comme l’indique le titre de l’exposition (« Les noirs du blanc, les blancs du noir »), à maints endroits on ne sait qui du blanc ou du noir est la surface peinte (et la plus signifiante), ce qui donne l’impression de voir voler une nuée d’oiseaux très hitckockienne.
Sur un mur voisin, sont accrochées quatre autres toiles de la série des Laissées,également dans les mêmes tonalités chromatiques. Hantaï les a directement découpées dans l’immense Tabula de 15 x 6 m, l’une des dix œuvres qu’il avait spécialement réalisées pour son exposition au CAPC de Bordeaux au printemps 1981. Par la suite, il l’a donc mise en pièce, comme on le dit d’un tissu, pour la réinterpréter sous la forme de carrés prélevés dans l’œuvre initiale. Et là encore, ces carrés vont jouer sur le rapport chromatique entre le blanc et le noir et surtout sur les notions de marge, de décadrage et décentrage des motifs nés des pliures de la toile, qui vont totalement reconsidérer la part du blanc dans l’espace.
Sur un autre mur sont présentées trois sérigraphies sur toile, toutes en hauteur (3 x 1,03 m) réalisées d’après une photographie d’une Tabula qui rappellent encore cette méthode qu’avait Hantaï de reprendre des travaux anciens, précédemment enterrés par lui-même dans son jardin de Meun (Seine-et-Marne), pour les modifier, les décliner, les pousser dans tous leurs déploiements ou retranchements possibles. Doublement datées 1981-1994, les Laissées témoignent parfaitement de cette gestation de l’œuvre si importante pour lui. En témoigne d’ailleurs la belle série de photos en noir et blanc d’Antonio Semeraro présentée dans l’un des corridors, qui montre Hantaï dans son atelier de Meun après avoir retrouvé ses Laissées.
Malgré son titre, il y a aussi de la couleur dans cette exposition, notamment dans les salles tout autour du patio central : une quinzaine d’huiles sur toile de différentes séries (Catamurons, Panse…) datées de 1951 à 1997, rappellent le parcours de l’artiste. Une mini-rétrospective, en quelque sorte, qui met en avant la variété de possibilités qu’offre à Hantaï son principe du « pliage comme méthode » consistant à nouer la toile à intervalles réguliers, la peindre, la laisser sécher, la dénouer, la déplier et la tendre.
Les œuvres ne sont pas données : entre 200 000 et 950 000 euros. Mais ce sont des œuvres importantes et Simon Hantaï est un immense artiste, encore récemment consacré en 2013 par une rétrospective au Centre Pompidou. Et peut-être faut-il voir là, déjà, l’effet de la marque Gagosian.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Hantaï en grand
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Hantaï en grand