FRANCE
À compter du 1er juillet 2022, commissaires-priseurs judiciaires et huissiers de justice fusionneront pour laisser place à une profession unique : commissaire de justice. Un rapprochement qui suscite des appréhensions du côté des commissaires-priseurs.
France. En France, il existe actuellement 660 commissaires-priseurs de ventes volontaires – dont 340 portent également la qualification « judiciaire » – regroupés en 412 opérateurs de ventes volontaires (OVV) qui, pour une centaine, ne sont pas adossés à un commissaire-priseur judiciaire (CPJ). Les huissiers, eux, sont 3 200. C’est ce déséquilibre que redoutent les commissaires-priseurs à mesure que la fusion instaurée par la loi Macron de 2015 se rapproche, tandis que les huissiers se sentent plus sereins.
Selon Agnès Carlier, présidente de la section des CPJ de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ), « nos inquiétudes se situent surtout dans une concurrence qui pourrait être faussée par rapport aux exigences de compétences actuelles qui ne seraient pas respectées et dont serait victime notre clientèle ». Patrick Sannino, président de la CNCJ estime ces craintes infondées : « Les commissaires-priseurs judiciaires sont les grands experts des prisées et des ventes, leur compétence est leur plus grande force. » Dans les faits, les huissiers craignent surtout – et c’est à peu près tout – de se faire grignoter des parts de marché dans le secteur des constats, qui entrera dans le périmètre des activités du commissaire de justice. « Je partage cette inquiétude car cette activité ne nécessite pas de se lancer dans les voies d’exécution », affirme Me Calippe, président des huissiers de Paris. « Les craintes sur le papier sont justifiées mais, dans la réalité, je pense que cela va se passer comme avant : chacun a sa clientèle et va la conserver. Les huissiers feront un peu plus de procédures collectives et quelques CPJ tâteront un peu du constat, c’est tout », estime Alain Turpin, ex-président de la Chambre nationale des CPJ et ex-huissier.
Qu’en est-il des jeunes qui viennent d’intégrer la formation initiale de commissaire de justice ? « J’ai choisi cette voie davantage pour exercer la profession d’huissier. Je ne sais pas si je ferai la formation du Conseil des ventes volontaires [CVV], mais je ne l’exclus pas. J’ai le sentiment que le niveau juridique de l’examen est si élevé que la plupart des étudiants s’orientent vers les fonctions d’huissier », indique Loïc Calmels, étudiant.
Que va-t-il se passer pour les ventes volontaires ? Dans l’ancien régime, les huissiers pouvaient déjà réaliser des ventes mais à titre accessoire, et s’il n’existait pas de commissaire-priseur dans la commune. Mais au 1er juillet, ils pourront en organiser à titre habituel (sous réserve de remplir certaines conditions, lire encadré ci-dessous). Si cela contrariait déjà les OVV – convaincus que les huissiers sont moins intéressés par les ventes judiciaires dont la rémunération est assez faible que par les ventes volontaires, qui pensent-ils, offrent des perspectives de développement économique important –, une disposition de la proposition de loi modernisant le marché de l’art qui vient d’être adoptée par le Parlement les fait grincer des dents. Celle-ci prévoit que les huissiers qui ont déjà tenu, de 2016 à 2021 sur au moins trois années consécutives, un minimum de vingt-quatre ventes ou vacations dont le produit dépassait 230 000 euros, sont dispensés de formation et d’examen. Une quarantaine d’huissiers sont concernés, ce qui représente tout de même 10 % d’OVV qui arrivent sur le marché. De quoi inquiéter les plus petits opérateurs de province qui risquent de se retrouver en concurrence directe. L’huissier Patrice Gras, qui organise des ventes depuis 1997 et pourrait bien être dispensé, tempère : « Les ventes de notre groupe (une étude par département) ne représentent que 2 % de notre activité et, globalement, les huissiers ne pèsent que 3 % sur le volontaire. Pas sûr que j’augmente la cadence car la marchandise ne se crée pas, elle se trouve. Et ce n’est pas demain que nous vendrons à Drouot vu les coûts. Il faudrait donc trouver de belles pièces et collections pour amortir les frais engendrés par des ventes déportées de sa propre salle. » Me Calippe se veut lui aussi rassurant : « Sur la France entière, il n’y a qu’une quarantaine d’huissiers inscrits à la formation des ventes volontaires. » De son côté, le CVV avance le chiffre de 100 à 120 (notaires compris)…
Quant aux inventaires successoraux, autre point de friction, la proposition de loi vient de régler la question. Ils étaient réservés jusqu’à présent aux notaires et aux CPJ. Or, au 1er juillet, devenus commissaires de justice, ils tombent dans leur escarcelle, ce qui déplaît fortement aux commissaires-priseurs de ventes volontaires – regrettant d’être privés de cette manne. Mais le législateur les a rassurés en leur accordant la faculté de réaliser ces inventaires au même titre que les futurs commissaires de justice.
Peut-on imaginer que se créent des alliances entre les deux professions ? « Je ne peux que l’appeler de mes vœux ! Cela correspond à l’esprit même de la réforme qui visait à créer les conditions d’un rapprochement économique entre les deux professions », lance Me Sannino. Certains s’associeront ou fusionneront quand d’autres n’auront pas les moyens d’intégrer à leur structure la compétence qui leur manque. Mais la fusion se fera dans le temps, à moins que les parties se contentent d’un gentlemen’s agreement…
Accès à la nouvelle profession
Formation. À la suite du décret du 15 novembre 2019, concernant la formation initiale, le futur commissaire de justice doit obtenir un master en droit et suivre, après un examen, une formation de deux ans à l’INCJ (Institut national de formation des commissaires de justice). S’il souhaite organiser des ventes volontaires, il devra suivre une formation d’un an auprès du Conseil des ventes volontaires (CVV). Pour devenir commissaire-priseur volontaire, il faut obtenir une licence en droit et en histoire de l’art, réussir l’examen d’accès au stage (deux ans), validé ensuite par un certificat de bon accomplissement. S’il souhaite être également commissaire de justice, il devra effectuer un an de formation supplémentaire à l’INCJ. Concernant les formations « passerelles » des professionnels déjà en poste : les commissaires-priseurs judiciaires doivent suivre une formation de 80 heures et les huissiers, une formation de 60 heures, à l’INCJ. Si ces derniers souhaitent organiser des ventes volontaires, une formation de 60 heures est dispensée par le CVV – ils doivent ensuite déclarer un opérateur de ventes volontaires auprès du CVV. Pour les commissaires-priseurs récemment diplômés en volontaire, une session de l’examen d’aptitude judiciaire est prévue le 21 juin prochain. « En revanche, pour les élèves actuellement en formation, aucun régime transitoire n’est prévu. Une lettre a été adressée au garde des Sceaux afin de lui demander la possibilité de passer cet examen lors d’une dernière session en 2022 », explique Florent Marles, élève commissaire-priseur en 2e année de stage (chez Kâ-Mondo) et président de l’association nationale des élèves commissaires-priseurs (ANECP), inquiet également de la disparité entre la formation dispensée par l’INCJ aux futurs commissaires de justice et du niveau d’études requis aujourd’hui pour devenir commissaire-priseur. Au 1er juillet 2026, les officiers publics et ministériels qui n’auront pas suivi la formation spécifique de commissaire de justice ne pourront plus exercer.
Marie Potard
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Fusion avec les huissiers : les inquiétudes des commissaires-priseurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Fusion avec les huissiers : les inquiétudes des commissaires-priseurs