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Fiscalité : tout le monde est servi

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 3 février 2006 - 1394 mots

La loi de finances rectificative pour 2005 a intégré au code général des impôts les dispositifs annoncés par le Premier ministre à la dernière FIAC.

Le code général des impôts (CGI) intègre les améliorations fiscales promises par le Premier ministre, Dominique de Villepin, à l’occasion de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) (lire le JdA no 223, 21 octobre 2005). Peu coûteuses pour l’État, ces dispositions devraient simplifier la vie des professionnels de l’art ancien et des mécènes, mais compliquer un peu celle des jeunes artistes.

Artistes
Sans surprise, la loi de finances rectificative pour 2005 (no 2005-1720 du 30 décembre 2005) établit un abattement de 50 % sur les revenus tirés de la vente ou de l’exploitation de leurs œuvres par les plasticiens. Le projet de loi expliquait ainsi le dispositif institué par l’article 93-9 du CGI : « Afin d’inciter les jeunes artistes de la création plastique (peinture, sculpture, photographies, gravure…) à développer leurs activités en France, [le texte] institue un abattement de 50 % sur le bénéfice imposable provenant de la cession et de l’exploitation, par leurs auteurs, [de leurs] œuvres d’art originales […] ». L’article 93-9 plafonne cet abattement à 50 000 euros par année d’imposition, et le cantonne aux cinq premiers exercices d’activité de l’artiste. En précisant qu’il s’agit des revenus imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), le texte écarte les revenus des activités relevant d’autres régimes – par exemple, l’enseignement (régime des traitements et salaires) ou le commerce (régime des bénéfices industriels et commerciaux [BIC]). Seuls les revenus soumis à la déclaration contrôlée sont concernés.
La mesure est certes encourageante, mais elle s’accompagne d’une obligation administrative pour les plus faibles revenus. En effet, en vertu du régime « micro » de l’article 102 ter du CGI, les artistes dont les revenus BNC sont inférieurs à 27 000 euros peuvent se contenter de déclarer ces revenus directement sur leur déclaration de revenus annuelle, sans avoir à tenir une comptabilité détaillée, ni à fournir les déclarations imposées aux revenus plus élevés soumis à la déclaration contrôlée de l’article 97 du CGI. Pour les artistes déclarant en « micro », un abattement de 25 % sur leurs produits est effectué d’office par l’administration fiscale pour déterminer leur « résultat » imposable.

À l’avenir, les artistes débutants, s’ils veulent bénéficier du nouvel abattement de 50 %, devront renoncer au régime « micro » et se placer dans le champ de la déclaration contrôlée. Ils devront donc tenir un livre-journal quotidien des recettes et dépenses, précisant en particulier l’identité des clients et les modalités de règlement, et conserver les justificatifs de leurs dépenses (article 99 du CGI).
Ces dispositions s’appliquent aux bénéfices réalisés au titre d’activités commencées à compter du 1er janvier 2006.

Par surcroît de précaution, la loi écarte les revenus tirés d’œuvres pornographiques ou violentes du champ de l’abattement. Ce qui allait sans dire, puisque le texte limite les pièces concernées à celles bénéficiant du taux réduit de TVA, dont sont exclues ces œuvres. Mais par les temps qui courent…

La question de l’extension du taux réduit de TVA à certaines œuvres telles que les vidéos, installations… relève du pouvoir réglementaire et des interprétations fiscales, ce qui explique sans doute qu’elle n’ait pas été évoquée pendant les travaux parlementaires – pas plus d’ailleurs que les possibilités d’acceptation en dation d’œuvres d’art contemporain, qui ne dépend que de l’administration.

Entreprises et mécènes
Les entreprises qui font l’acquisition d’œuvres d’artistes vivants verront leurs obligations un peu allégées. En effet, l’article 238 bis AB du CGI a été assoupli pour rendre moins strictes les obligations d’exposition. L’obligation d’exposition s’exprime désormais ainsi : « l’entreprise doit exposer dans un lieu accessible au public ou aux salariés, à l’exception de leurs bureaux ». Ce qui signifie que tout lieu ouvert de l’entreprise (hall d’accueil, cafétéria…), même s’il n’est pas nécessairement accessible au public, permettra l’exposition des œuvres.

Collectionneurs, marchands d’art et CVV
La taxe forfaitaire sur les ventes d’œuvres d’art, d’objets de collection et d’antiquités, de bijoux et de métaux précieux, qui avait déjà fait l’objet d’une refonte il y a deux ans, est à nouveau réaménagée.

L’objectif de cette dernière réforme d’un impôt franco-français est de « dynamiser le marché de l’art et de l’or en France et [de] simplifier l’impôt tant pour le contribuable que pour l’administration ». La superposition des modifications apportées depuis 1976 (date de l’instauration de cette taxe dans le cadre de la généralisation de la taxation des plus-values) rendait le dispositif quasiment illisible, ce qui était source d’insécurité pour les professionnels du marché de l’art, chargés de fait de sa collecte.
Car si la taxe forfaitaire touche en principe les seules ventes des particuliers, le CGI mettait sa collecte et son reversement à la charge des intermédiaires (en particulier des commissaires-priseurs) ou des acheteurs (le plus souvent des marchands). Les amendements passés de la taxe forfaitaire rendaient cette entremise fiscale relativement aisée pour les ventes publiques. En revanche, pour les marchands, l’impôt fonctionnait comme une taxe additionnelle de 5 % sur les achats des marchands pour toute œuvre ou objet de 5 000 euros ou plus (seuil d’application de la taxe).

Non-résidents
De plus, alors que la taxe n’était censée s’appliquer qu’aux contribuables français ou résidents fiscaux en France, le dispositif pouvait conduire à l’imposition de personnes non soumises à l’impôt sur le revenu en France. Car pour boucler le dispositif lors de sa mise en place, il a été étendu aux exportations des particuliers ; dans ce cas, ce sont les Douanes qui en assurent la collecte. Cette disposition, logique pour éviter une évasion/délocalisation fiscale, conjuguée à l’obligation faite à l’acheteur de collecter et de reverser la taxe, aboutissait parfois à une imposition des acheteurs étrangers non-résidents.

Pour sortir de ces difficultés, les articles 150 VI à 150 VM nouveaux du CGI réécrivent complètement le dispositif. Il faut en retenir notamment que les acheteurs ne sont plus responsables de la collecte et du reversement de la taxe. En ce qui concerne les opérations des non-résidents, le nouveau texte distingue suivant les biens. Il exonère les cessions ou les exportations d’œuvres d’art, d’objets de collection et d’antiquités et de bijoux effectuées par des personnes n’ayant pas leur domicile fiscal en France, à la condition de « pouvoir justifier d’une importation ou d’une introduction antérieure ou d’une acquisition en France ».

En revanche, il subordonne l’exonération des ventes ou exportations de métaux précieux des non-résidents à la justification d’une importation ou d’une introduction en France, ou « d’une acquisition auprès d’un professionnel installé en France ou qui a donné lieu au paiement de la taxe ». En outre, le CGI révisé maintient le taux de 7,5 % pour les métaux précieux, contre 4,5 % pour les autres biens.
En conservant cette exigence pour les seuls métaux précieux, le texte manifeste nettement que l’État dissocie le marché des biens culturels et le marché de l’or. Ce traitement différencié résulte sans doute de considérations essentiellement financières. Déjà, lors de la préparation des lois de finances de 2000, un rapport parlementaire du député Raymond Douyère avait souligné que 60 % des produits de la taxe forfaitaire provenaient des ventes d’or, les exportations et les ventes publiques assurant environ 20 % d’un produit total de 200 millions de francs (environ 30 millions d’euros). Le poids relatif des métaux précieux s’est d’ailleurs sans doute accru depuis cette époque, compte tenu de la baisse du taux sur les autres biens, de 7,5 % à 4,5 %, intervenue en 2002.

Et l’État…
In fine, l’État a tenu fiscalement parole, et cela ne lui coûtera pas cher. On ne pourra donc pas dire que la création et le marché de l’art alimentent la dette.

Au passage, le fisc a pu tordre discrètement le cou à la possible inclusion des biens culturels dans les meubles meublants. Cette « extension » que lui avait imposée un arrêt interprétatif défavorable de la Cour de cassation lui était restée en travers de la gorge, d’autant plus qu’elle avait contaminé les déclarations de succession via un usage sans doute accru du forfait de 5 % meubles meublants. Cette petite désinfection de l’article 150 UA du CGI lui permettra peut-être de récupérer sur la durée les menues dépenses fiscales qu’elle vient de consentir. Et elle pansera peut-être quelques blessures d’amour-propre à la Direction générale des impôts.
Bref, tout le monde est content.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°230 du 3 février 2006, avec le titre suivant : Fiscalité : tout le monde est servi

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