MONDE
Hormis en Chine et aux États-Unis, le cadre fiscal s’est stabilisé en 2018 pour les œuvres d’art. En France, à la suite de la crise des « gilets jaunes », des « niches fiscales » pourraient être supprimées.
Le cadre fiscal des États couverts par ce dossier est resté remarquablement stable pendant l’année 2018. Cela contraste avec l’année 2017 qui a concentré de grandes réformes fiscales en France et aux États-Unis, liées aux cycles électoraux. Ces deux pays connaissent donc logiquement une période de consolidation, qui est appelée à se poursuivre aux États-Unis avec le retour de la cohabitation après les élections législatives de novembre 2018. On remarque, cependant, une spectaculaire baisse de 4 points du taux de la TVA en Chine, mise en œuvre en 2018 et acquise en 2019.
Avec la suppression ou plutôt le remplacement, en France, de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), seules la Suisse, au niveau cantonal, et l’Espagne pratiquent encore une imposition sur la fortune globale. En Espagne, l’impôt sur la fortune, qui est levé par les communautés autonomes, a été réintroduit en 2008 à titre temporaire. Reconduit chaque année depuis 2011, comme un feuilleton sans fin, il a encore été prorogé pour 2019. Le projet de budget espagnol pour 2019 a d’ailleurs prévu sa pérennisation, mais, à cause de l’instabilité politique, le texte n’a toujours pas été adopté. Il reste que la question de l’imposition de la fortune est devenue plus que jamais centrale dans le débat politique en France, comme en témoigne la crise des « gilets jaunes ». Mais même aux États-Unis, qui n’ont jamais connu cette forme d’imposition, un certain tabou a été brisé avec la proposition d’une très sérieuse prétendante démocrate à la présidence, la sénatrice Elizabeth Warren, d’imposer à 2 % les fortunes au-delà de 50 millions de dollars (et 3 % au-delà du milliard). Le retournement de la tendance mondiale à la suppression d’impôts sur la fortune, lancée dans les années 1980, ne semble donc pas, à moyen terme, une idée absurde.
La fiscalité successorale française, qui ne prévoit pas d’exonération pour les œuvres d’art, figure toujours parmi les plus lourdes notamment en ligne directe, avec un taux marginal de 45 % et des abattements à la base d’un montant fortement réduit en 2012 (100 000 €). On a déjà signalé dans ces colonnes que la fiscalité successorale varie fortement entre les États, un nombre important d’entre eux ne l’appliquent pas du tout ou en tout cas pas en ligne directe (Chine, Hongkong, Singapour, Luxembourg, Russie, certains cantons suisses…), alors que certains pays, comme l’Italie, pratiquent des taux très modestes (Italie : 4 ou 8 %). Dans certains États, les taux d’imposition, du moins en ligne directe, s’approchent des taux français, mais généralement c’est sous réserve d’abattements plus généreux, qui permettent d’exonérer une part importante des successions (Royaume-Uni : 325 000 £ [376 000 €] ; Allemagne : 400 000 €). Rappelons que, en 2017, les États-Unis ont doublé l’abattement applicable sur la masse successorale avant partage, qui s’établit désormais à 11,4 millions de dollars [10,2 M€]. Plus rarement, quelques législations offrent un régime d’exonération totale ou partielle pour certaines catégories d’œuvres d’art (Espagne, Allemagne, Italie). Le montant de la charge fiscale pesant en France sur les revenus des particuliers reste, en comparaison internationale, élevé mais pas nécessairement exceptionnel, plusieurs pays atteignant des niveaux assez comparables (Espagne, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique…). On l’a déjà signalé l’année dernière, la réforme fiscale française de 2017 n’a pas véritablement remis en cause les orientations générales à la hausse des années 2011-2013 (instauration de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, d’un taux marginal à 45 % ; durcissement du plafonnement du quotient familial), mais elle s’est concentrée sur l’allégement de la fiscalité des revenus tirés d’actions ou de parts sociales. Pour les œuvres d’art, en revanche, la pression fiscale a bien augmenté, à la faveur de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 point, qui a fait porter le taux des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine de 15,5 à 17,2 %.
En ce qui concerne précisément les plus-values de cession d’œuvres d’art réalisées par les particuliers, la possibilité d’arbitrer entre une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente et une imposition proportionnelle de la plus-value de cession – aujourd’hui de 36,2 %, après la hausse de la CSG, mais sur une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, diminuée d’un abattement pour durée de détention – est un avantage pour le collectionneur français par rapport à la fiscalité espagnole, américaine ou britannique. Mais, évidemment, elle ne résiste pas à la comparaison avec une exonération pure et simple des plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (Belgique, Italie, Singapour, Hongkong…) ou une exonération acquise au terme d’un délai de détention bref (un an au plus : Allemagne, Luxembourg…). La fiscalité états-unienne des plus-values de cession, déjà assez lourde en comparaison internationale (28 % d’impôt fédéral, augmenté, le cas échéant, de la taxe sociale de 3,8 % et de l’impôt de l’État fédéré), a connu indirectement un durcissement. En effet, la réforme fiscale états-unienne de décembre 2017 a exclu les œuvres d’art du bénéfice de l’article 1031 du Code fiscal qui permettait un sursis d’imposition lorsque le contribuable américain utilisait le produit de la cession d’un bien détenu à titre d’investissement pour acheter un autre bien de même nature (ex : sculpture pour sculpture). Le dispositif est désormais limité aux opérations sur les biens immeubles (lire le JdA no 517, 15 févr. 2019, p. 6).
En matière d’imposition des bénéfices de sociétés, importante pour les marges des intermédiaires du marché de l’art, le groupe d’États qui affiche encore un taux supérieur ou égal à 30 % se réduit à deux : l’Allemagne et la France. Rappelons qu’aux États-Unis la réforme fiscale du président Trump en 2017 a drastiquement abaissé le taux de l’impôt fédéral sur les sociétés, passé de 35 à 21 %, confirmant et amplifiant la tendance mondiale à la baisse observée depuis maintenant plus de vingt ans. Depuis l’année dernière, le Luxembourg a encore abaissé son taux effectif à 26 % (en 2018) et à 24 % (pour 2019). Sur une période plus longue, on peut également citer l’Italie (baisse de 27,5 % à 24 % en 2017), l’Espagne (baisse de 30 % à 25 % entre 2014 et 2016) ou le Royaume-Uni (19 % depuis le 1er avril 2017, contre 28 % en 2010). Ainsi, les niveaux d’imposition européens se rapprochent toujours plus de ceux constatés dans les pays asiatiques. En effet, le taux de l’impôt sur les sociétés est de 25 % en Chine, de 17 % à Singapour, et de 16,5 % à Hongkong. La France essaie de rattraper le peloton en ayant acté la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) à 25 % pour 2022. En 2019, pour la première fois depuis 1993, le taux de l’IS n’est plus de 33 1/3 %. Cette année, le barème est progressif, les bénéfices au-delà de 500 000 euros sont imposables à 31 %, et en deçà, à 28 %. En 2020, toutes les entreprises, sauf les plus petites, doivent être soumises au taux de 28 %, puis de 26,5 % en 2021 et de 25 % en 2022. Cependant, toujours sous l’influence de la crise de « gilets jaunes », une loi actuellement examinée par le Parlement (dite loi « Gafa ») prévoit de modifier cette trajectoire pour les plus grandes entreprises, qui se verraient encore imposées à 33 1/3 % cette année.
Évolution la plus remarquable de 2018, la TVA a fortement baissé en Chine. Pour contrecarrer, entre autres, l’impact des mesures protectionnistes américaines et relancer une économie qui ralentit, le taux normal est passé, en l’espace d’un an, de 17 % à 13 % (à partir du 1er avril 2019). Alors que la mesure vise en premier lieu les produits manufacturiers, les transactions, notamment les importations, sur les œuvres d’art devraient logiquement en bénéficier aussi. D’une manière plus générale, les règles françaises en matière de TVA restent assez favorables aux acteurs du marché de l’art, du moins en comparaison européenne. Ainsi, les deux taux spécifiques au marché de l’art français (5,5 % sur l’importation des œuvres d’art comme sur les ventes directes des artistes) sont parmi les plus bas de l’Union européenne, ce à quoi s’ajoute la possibilité pour les intermédiaires d’asseoir, sous certaines conditions, la TVA (au taux de 20 %) sur une marge forfaitaire de 30 % du prix de vente. Évidemment, pour favorables qu’elles soient, ces règles ne résistent pas à la comparaison avec Hongkong (pas de TVA du tout) ou avec un port franc (Genève, Singapour…). Chose assez rare, en 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a pu à deux reprises interpréter certains points du régime harmonisé de la TVA portant spécifiquement sur les œuvres d’art. Les décisions, concernant respectivement l’Autriche et l’Allemagne, confortent les règles françaises qui étaient déjà conformes. Ainsi, la Cour a précisé que le montant du droit de suite n’a pas à être assujetti à la TVA (CJUE, 8e ch., 19 déc. 2018, aff. C-51/18, Comm. c/Autriche) et que l’assujetti-revendeur, comme une galerie, doit pouvoir opter pour le régime de la marge lorsqu’il acquiert des œuvres d’art auprès de leurs auteurs dans le cadre d’une livraison extracommunautaire exonérée (CJUE, 4e ch., 29 nov. 2018, aff. C-264/17, Harry Mensing). Le Conseil d’État a également renvoyé une question préjudicielle à la Cour de justice portant sur la qualification de photographie d’art, permettant l’application du taux réduit de TVA (CE, 3e et 8e ch., 20 févr. 2018, no 400837, min. c/Sté Regards Photographiques). Alors que la directive TVA et l’article 98 A de l’annexe III au code général des impôts français se bornent à évoquer des « photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus », l’administration fiscale exige aussi que les photographies participent d’une véritable démarche artistique. Dans ses conclusions rendues publiques le 7 mars 2019 (aff. C‑145/18), l’avocat général a recommandé, au nom de la sécurité juridique, une lecture littérale et mécanique du texte, en rejetant l’idée qu’une administration fiscale puisse avoir à porter une appréciation qualitative sur la démarche artistique. S’il est suivi par la Cour, les photographes de mariage, artistes qui s’ignorent, vont pouvoir sabrer le champagne (lire le JdA no 521, 12 avril 2019). Enfin, depuis le dossier Fiscalité publié l’an dernier, aucune incertitude liée au Brexit n’a été levée. Nous ne pouvons que réitérer les interrogations quant au régime des transactions avec le Royaume-Uni, qui deviendra purement et simplement un État tiers en cas de Brexit « dur », quant au sort également de la TVA britannique à l’importation des œuvres d’art de 5 % et du droit de suite.
En France, l’année 2018 a enregistré quelques évolutions intéressantes et favorables concernant le régime fiscal du mécénat culturel des entreprises. D’abord, une décision du Conseil d’État a ouvert une perspective de déduction des dons réguliers de la valeur ajoutée pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) (CE, plénière fiscale, 9 mai 2018, no 388209, CRCAM de Pyrénées-Gascogne). Surtout, la loi de finances pour 2019 a renforcé le dispositif, issu de la loi Aillagon du 1er août 2003, de réduction d’impôt pour les entreprises qui effectuent des dons au profit d’organismes d’intérêt général, notamment culturels (CGI, art. 238 bis). La réduction est égale à 60 % des dons, pris dans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires. Cette limite, alors qu’elle ne touche pas démesurément les grandes entreprises, se révèle très pénalisante pour les TPE-PME. Pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2019, la loi introduit donc, de façon alternative, une autre limite des dons, fixée, en valeur absolue, à 10 000 euros. On relève, cependant, en sens contraire, une communication de la Cour de comptes de novembre 2018 sous le titre évocateur de « Soutien public au mécénat des entreprises. Un dispositif à mieux encadrer ». Dans une approche essentiellement comptable, ce rapport souligne la « dérive » du coût budgétaire du dispositif (900 millions d’euros environ, ce qui démontre plutôt son succès !) et lui reproche de profiter essentiellement aux grandes entreprises. Sa tonalité est assez inquiétante, en ce que le droit comparé est mobilisé pour faire ressortir le caractère prétendument trop favorable du dispositif – et il est vrai que les instruments français de promotion du mécénat sont parmi les plus puissants –, mais en oubliant peut-être que le poids général de la fiscalité est plus lourd en France qu’ailleurs. Le rapport insiste également, à bon droit, sur la nécessité de renforcer les contrôles sur la poursuite par les dons de l’intérêt général, voire sur leur réalité. En ce sens, la loi de finances pour 2019 impose aux entreprises effectuant plus de 10 000 euros de dons au cours d’un exercice d’en effectuer une déclaration détaillée.
Le droit de suite s’exportera-t-il un jour vers les États-Unis ou les marchés importants en dehors de l’Europe ? S’agissant des États-Unis, les perspectives paraissent moroses. Le droit de suite californien (seul dispositif de ce type aux États-Unis) paraît désormais définitivement compromis. Déjà en 2015, une cour d’appel fédérale a jugé, au regard des exigences posées par la clause de commerce de la Constitution fédérale, que la Californie ne pouvait l’appliquer qu’aux transactions réalisées à l’intérieur de cet État. Dans une autre procédure, la même cour a jugé, le 6 juillet 2018, que le dispositif californien violait la loi fédérale sur les droits d’auteur et qu’il ne pouvait dès lors être appliqué. Cet arrêt, sous réserve d’un possible appel devant la Cour suprême, ferme effectivement toute perspective d’instauration d’un droit de suite au niveau des États fédérés. Il en résulte que si droit de suite il y a un jour aux États-Unis, il ne pourra être que fédéral. Or, à ce jour, les conditions politiques ne semblent pas réunies. Il est à noter, dans l’autre sens, l’entrée en vigueur en Russie, au 1er juin 2018, d’une réforme de l’article 1293 du Code civil pour renforcer l’effectivité d’un droit de suite consacré de longue date par les textes, mais qui est peu appliqué en pratique.
Un dossier réalisé en collaboration avec l’Institut Droit Art et Culture de l’Université Lyon-III
Le tableau des fiscalités comparées a été réalisé grâce au concours des étudiants du master 2 « Droit et fiscalité du marché de l’art », attaché à l’Institut Droit Art et Culture (dirigé par le professeur Édouard Treppoz), faculté de droit, université Jean-Moulin Lyon-III : Violette Bollaert (Luxembourg) ; Alexandre Berthier (États-Unis) ; Victoria Lakrichi (Royaume-Uni) ; Camille Gonzalez-Garcia (Espagne, Hongkong) ; Julie Albertini (Espagne, Jersey) ; Daria Anikeeva (Russie, Chine) ; Louis Gerin (Belgique) ; Clara Strenta (Italie, Suisse) ; Angélie Pompée (Allemagne). Leurs recherches ont été encadrées par le professeur Lukasz Stankiewicz. Le master 2 « Droit et fiscalité du marché de l’art », dirigé par Christine Ferrari-Breeur, maître de conférences (HDR) de droit public, a été créé il y a plus de dix ans et est, à ce jour, le master de référence dans le droit du marché de l’art.
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En 2018 la fiscalité directe et indirecte sur l’art s’est consolidée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : 2018 : consolidation de la fiscalité directe et indirecte sur l’art