Après les secousses politiques majeures de l’année 2016 (Brexit, élection de Donald Trump…), 2017 a tenu toutes ses promesses. L’année fut marquée par des réformes importantes en France et aux États-Unis.
En France, le triomphe de la majorité présidentielle aux législatives a permis à Emmanuel Macron de mettre en œuvre son programme fiscal avec plusieurs mesures fortes et structurantes, portées par la loi de finances pour 2018 : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), imposition préférentielle des revenus de l’épargne, abaissement de l’impôt sur les sociétés. Cependant, leur impact favorable sur la fiscalité du marché de l’art est indirect quand il n’est pas négatif ! La réforme fiscale états-unienne de décembre 2017 (« Tax Cuts And Jobs Act ») est encore plus profonde, surtout en ce qui concerne la fiscalité des entreprises.
Incontestablement, l’événement fiscal de l’année 2017 est la suppression en France de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui rappelons-le, frappait la fortune globale (mobilière et immobilière) du contribuable. Certes, la portée de cette abrogation est immédiatement nuancée puisqu’elle s’accompagne de la création d’un nouvel « impôt sur la fortune immobilière » (IFI), lequel, en substance, reprend les règles de l’ancien ISF mais limite son assiette aux seuls biens immobiliers ainsi qu’aux actions et parts sociales, à hauteur de la valeur que celles-ci tirent des immeubles détenus par la société. La portée de la réforme ne doit cependant pas être sous-estimée sur le plan tant symbolique que concret.
La suppression de l’ISF met fin à une quasi-exception française et ce constat n’est pas remis en cause par la création de l’IFI. En effet, plusieurs États imposent déjà la valeur vénale des biens immobiliers, mais cela se fait souvent de manière quelque peu confidentielle et disparate au niveau local (États-Unis, Irlande…). Par rapport à ces property taxes, l’IFI présentera deux particularités : l’une, favorable, permet la déduction des dettes contractées dans l’intérêt de l’immeuble ; l’autre est défavorable puisque cet impôt peut frapper aussi, sous réserve des conventions fiscales, la valeur des immeubles détenus hors de France par des résidents français. L’IFI est donc une sorte d’impôt immobilier des fortunés, venant s’ajoutant à la taxe foncière et taxe d’habitation. Le grand gagnant de la réforme est clairement le capital « productif », à savoir les actions et parts sociales. Ainsi, la réforme profite surtout aux plus grandes fortunes industrielles et commerciales, ses principaux destinataires. La clarté du choix du législateur est d’ailleurs remarquable. Il aurait pu simplement exonérer les titres sociaux de l’ISF. Il a au contraire choisi de placer l’ensemble des biens meubles hors du champ d’imposition de la fortune alors que des voix s’élevaient lors des débats parlementaires pour taxer les « biens de luxe ». Ce choix consolide le traitement favorable applicable aux œuvres d’art. Celui-ci change de nature : l’exonération de l’ISF, qui fut un régime dérogatoire précaire, se mue en l’application du droit commun car la logique de l’IFI ignore purement et simplement les biens mobiliers. La remise en cause serait donc d’autant plus difficile à justifier.
Dans la perspective étroite du marché de l’art, l’impact autre que symbolique de la réforme est cependant limité : d’une part, la réforme met fin aux interrogations sur la qualification de certains biens comme « objets d’art, de collection ou d’antiquité » pour bénéficier de l’exonération de l’ISF (bijoux, véhicules de collection…) ; d’autre part, la réforme rend viable fiscalement la détention indirecte des objets d’art, à travers des structures sociétaires. En effet, l’ancienne exonération de l’ISF ne s’appliquait qu’aux objets d’art, de collection ou d’antiquité détenus directement, et non aux titres de sociétés propriétaires de tels objets, sauf dans l’hypothèse restreinte des objets détenus par l’intermédiaire d’une société civile propriétaire d’un monument historique. Les titres sociaux étant des biens mobiliers, échappant donc par nature, à quelques exceptions près, à l’IFI, ces restrictions tombent désormais.
Ainsi, avec la suppression de l’ISF, seules la Suisse, au niveau cantonal, et l’Espagne pratiquent une imposition sur la fortune globale. L’impôt espagnol devrait être encore prorogé d’une année supplémentaire, selon un projet de loi déposé début avril.
Pour sa part, la fiscalité successorale française, qui contrairement à l’ISF frappe les œuvres d’art, n’a pas été touchée par l’élan réformateur et figure toujours parmi les plus lourdes, notamment en ligne directe, avec un taux marginal de 45 % et des abattements à la base d’un montant fortement réduit en 2012 (100 000 €). Nous avons déjà signalé dans ces colonnes que la fiscalité successorale varie fortement entre les États : un nombre important d’entre eux ne l’appliquent pas du tout ou en tout cas pas en ligne directe (Chine, Hongkong, Singapour, Luxembourg, Russie, certains cantons suisses…) alors que certains pays, comme l’Italie, pratiquent des taux très modestes (Italie : 4 ou 8 %). Dans certains États, les taux d’imposition, du moins en ligne directe, s’approchent des taux français, mais généralement c’est sous réserve d’abattements plus généreux, qui permettent d’exonérer une part importante des successions (Royaume-Uni : 325 000 £ [369 000 €] ; Allemagne : 400 000 € ; États-Unis). Plus rarement, quelques législations offrent un régime d’exonération totale ou partielle pour certaines catégories d’œuvres d’art (Espagne, Allemagne).
En 2017, les États-Unis ont enregistré une réforme importante de l’impôt fédéral sur les successions mais moins radicale qu’annoncé. Alors que le président Trump réclamait sa suppression pure et simple, le Congrès s’est contenté d’un doublement de l’abattement, à la base déjà très généreux, qui est ainsi passé de 5 459 000 $ (4 499 510 €) à 11 180 000 $ (9 214 960 €). Cette imposition, en théorie élevée car atteignant vite, au-delà de l’abattement, 40 % de la masse successorale avant partage, intéresse donc uniquement – et plus que jamais – les plus grandes fortunes, sachant que, déjà, à peine 0,2 % des successions américaines en relevaient effectivement avant la réforme.
Le montant de la charge fiscale pesant en France sur les revenus des particuliers reste, en comparaison avec l’international, élevé mais pas nécessairement exceptionnel, plusieurs États atteignant des niveaux assez comparables (Espagne, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique…). La réforme fiscale de 2017 n’a pas remis en cause les orientations générales à la hausse des années 2011-2013 (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, taux marginal à 45 %, durcissement du plafonnement du quotient familial), mais s’est concentrée sur l’allégement de la fiscalité des revenus du patrimoine. Le principe de l’« imposition des revenus du capital comme ceux du travail », mis en pratique sous la présidence de François Hollande, a été enterré : les revenus du patrimoine sont désormais assujettis, selon le choix du contribuable, au barème progressif ou à un prélèvement proportionnel (« flat tax ») de 30 %, dont 17,2 % de contributions sociales (CSG, CRDS…). On revient ainsi aux niveaux d’imposition enregistrés pour la dernière fois en 2009 et aux niveaux moyens-élevés pratiqués par les pays étrangers. Cependant, outre des intérêts de placement, seuls les revenus produits par des titres sociaux (dividendes, plus-values de cession) sont concernés par cette réforme favorable. Ici se manifeste la volonté de la majorité de canaliser l’épargne vers des investissements « productifs » à risque (actions, parts sociales…), plutôt que vers l’immobilier ou… les œuvres d’art. Car pour ces deux derniers, la pression fiscale a bien augmenté, à la faveur de la hausse de la CSG de 1,7 point, qui a fait porter le taux des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine de 15,5 à 17,2 %.
En ce qui concerne les plus-values de cession d’œuvres d’art réalisées par les particuliers, avec la hausse du taux global de prélèvement passé de 34,5 à 36,2 %, l’option pour l’imposition proportionnelle de la plus-value de cession (sur une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, diminuée d’un abattement pour durée de détention) est devenue d’autant moins intéressante. Il est heureux que le collectionneur puisse arbitrer entre cette forme d’imposition « de droit commun » et une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente. Cette dernière continue à constituer un avantage pour le collectionneur français par rapport à la fiscalité espagnole, américaine ou britannique, mais elle ne résiste pas à la comparaison avec une exonération pure et simple des plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (Belgique, Italie, Singapour, Hongkong…) ou avec une exonération acquise au terme d’un délai de détention bref (un an au plus : Allemagne, Luxembourg…).
Outre-Atlantique, si la réforme de l’impôt fédéral sur le revenu est incontestablement de grande ampleur, ses incidences précises ne se laissent pas synthétiser de manière univoque. Les mesures les plus visibles sont l’allégement du barème, qui profite surtout aux plus hauts revenus (baisse du taux marginal de 39,6 à 37 %), et l’augmentation générale et significative des limites des tranches, dont bénéficient davantage les classes moyennes supérieures. Mais, parallèlement, plusieurs déductions sont supprimées ou plafonnées, à l’exemple des impôts payés aux États fédérés, pénalisant des résidents des États comme New York ou la Californie où ces impôts sont élevés et qui… votent essentiellement pour le parti démocrate. Si la déduction fiscale des donations aux organismes d’intérêt général (charities), qui intéresse directement le monde de la culture, a été préservée, elle a perdu tout son intérêt pour la plupart des contribuables. En effet, le contribuable américain peut choisir d’imputer l’ensemble des déductions auxquelles il a droit pour leur montant réel (sachant que plusieurs ont été supprimées ou rabotées) ou d’appliquer une déduction forfaitaire, disponible sans autres conditions, dont le montant a été doublé, passant de 12 700 dollars (10 500 €) à 24 000 dollars (19 800 €, pour les couples mariés). Or, peu de foyers pourront se permettre d’exposer des dépenses éligibles, devenues plus rares, excédant le montant, relevé, de la déduction forfaitaire. En revanche, les contribuables les plus fortunés auront un intérêt fiscal à donner plus car, avec la fin des prétendues Pease limitations, l’avantage fiscal tiré du don ne sera plus raboté en fonction des revenus.
Sur le terrain de l’imposition des bénéfices de sociétés, qui intéresse directement les intermédiaires du marché de l’art, c’est encore la réforme fiscale de Donald Trump qui a marqué l’année 2017. Les spécialistes américains parlent de la plus profonde réforme de la fiscalité des entreprises depuis deux générations. D’abord, le « Tax Cuts And Jobs Act » abaisse massivement le taux de l’impôt fédéral sur les sociétés de 35 à 21 %. C’est un paramètre de concurrence fiscale qu’aucun autre État ne saura ignorer. Nous avons déjà souligné dans ces colonnes le rétrécissement à la portion congrue du groupe d’États qui affichaient encore un taux supérieur ou égal à 30 %. Fin 2016, celui-ci ne comptait que les États-Unis, la Belgique, l’Allemagne et la France. En 2018, il ne reste que la France et l’Allemagne.
La France, bon an mal an, a rejoint ce mouvement à la baisse mais de manière plus progressive. La loi de finances pour 2018 amplifie les orientations prises à la fin du quinquennat précédent et acte la baisse de l’IS à 25 % pour 2022. Entre-temps, pour 2018, le barème est progressif, les bénéfices s’élevant au-delà de 500 000 euros sont imposables à 33, 1/3 %, et en deçà à 28 %. Ce sera respectivement 31 % et 28 % en 2019. En 2020, toutes les entreprises, sauf les plus petites, seront soumises au taux de 28 %, puis de 26,5 % en 2021 et de 25 % en 2022 (si la loi n’est pas modifiée d’ici là). Cet alignement risque cependant d’être trop tardif, d’autres États européens ont déjà atteint ou dépassé l’objectif que la France s’est fixé pour 2022 : l’Italie (24 %), l’Espagne (25 %), Luxembourg (26,01 %), le Royaume-Uni (19 %). Quelle que soit notre appréciation du phénomène de concurrence fiscale, il est plus que jamais installé, surtout quand on pense que dans l’année 1980 les niveaux d’imposition à 50 % étaient monnaie courante !
Outre la baisse des taux, la réforme américaine comprend un autre volet majeur, qui met fin à une exception américaine. En effet, en simplifiant le trait, les États-Unis étaient le seul pays à imposer les dividendes reçus par les sociétés américaines de leurs filiales étrangères, ce qui revenait à imposer les bénéfices étrangers aux États-Unis à un taux généralement plus élevé qu’ailleurs, sous déduction de l’impôt déjà payé par la filiale. De grands groupes américains ont alors échafaudé des stratégies pour éviter des remontées des bénéfices étrangers aux États-Unis, en les concentrant parfois dans les paradis fiscaux. La réforme met fin, pour le futur, à ce principe mondial d’imposition, les États-Unis s’alignant sur le reste du monde (reçus par une société française, de tels dividendes sont, en substance, exonérés en France). Ajoutée à la baisse des taux, cette réforme renforce grandement l’attractivité des États-Unis dont la fiscalité cesse d’être un repoussoir pour les entreprises. La concurrence fiscale n’en sera que plus rude.
En revanche, en dehors de légers mouvements de taux (baisse de la TVA en Suisse, phénomène tellement rare qu’il mérite d’être souligné), nous n’avons pas relevé de développements significatifs sur le plan de la TVA. Rappelons tout de même que les deux taux spécifiques au marché de l’art français (5,5 % sur l’importation des œuvres d’art et les ventes directes des artistes) sont parmi les plus bas de l’Union européenne, ce à quoi s’ajoute la possibilité pour les intermédiaires d’asseoir, sous certaines conditions, la TVA (au taux de 20 %) sur une marge forfaitaire de 30 % du prix de vente. Évidemment, pour favorables qu’elles soient, ces règles ne résistent pas à la comparaison avec Hongkong (pas de TVA du tout) ou avec un port franc (Genève, Singapour…).
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2017 : l’année des grandes réformes fiscales
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Lukasz Stankiewicz est maître de conférences de droit public au Centre d’études et de recherches financières et fiscales (Cerff) à l'université Jean-Moulin Lyon-II
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°501 du 11 mai 2018, avec le titre suivant : 2017 : l’année des grandes réformes fiscales