Il a été jugé que des fontes posthumes de Camille Claudel, obtenues par surmoulage, ne méritent pas la qualification d’œuvre originale.
PARIS - En 1902, Camille Claudel (1864-1943) créait « La Vague », une sculpture représentant, sur un socle de marbre, trois baigneuses en bronze sous une vague en onyx. Un siècle plus tard, un tirage posthume de cette œuvre, entièrement fait de bronze, faisait l’objet d’une saisie-contrefaçon, pour non-conformité à l’œuvre première. En raison de sa matière inédite, cet exemplaire nouveau, présenté comme un « original » lors de l’exposition précédant sa vente, avait alors été soupçonné par certains héritiers de la sculptrice de n’être qu’une reproduction illicite. Ils saisirent donc le tribunal, sur le fondement d’une atteinte portée à l’intégrité de l’œuvre de leur aïeule, violant son droit moral d’auteur. Pour rejeter l’action ainsi intentée à l’encontre de la petite-nièce de Camille Claudel, auprès de qui le tirage incriminé avait été acquis, la cour d’appel de Paris constatait, le 27 octobre 2010, que « la fabrication en 1897 d’un plâtre de facture différente, inutile à une réalisation en onyx, permettait de penser qu’un tirage en bronze avait été envisagé par l’artiste ».
Considérant, en outre, que Camille Claudel ne s’était jamais opposée à un changement de matériau, la cour d’appel jugea, que la réalisation de « La Vague » en bronze était valide, puisque ne méconnaissant en rien la volonté de l’auteur. Une décision confirmée par la Cour de cassation, le 4 mai 2012 ; toutefois, la position des deux cours diverge au sujet de la qualification juridique du tirage litigieux. Dans le domaine des éditions d’art, celui des fontes de sculptures notamment, les œuvres ont vocation à être tirées en plusieurs exemplaires. Et, pour qu’elles puissent être qualifiées d’ « œuvres originales », deux conditions sont exigées : le tirage doit comporter un nombre limité d’exemplaires et avoir été exécuté à partir d’un modèle spécialement conçu à cette fin. Après avoir souligné que le tirage en bronze était restreint et que l’exactitude des traits n’en était pas contestée, la cour d’appel avait estimé que la fonte, réalisée postérieurement au décès de l’artiste, devait être considérée comme un « exemplaire original » de l’œuvre « La Vague ». Ce que vient de réfuter la Cour de cassation, pour laquelle « seules constituent des exemplaires originaux les épreuves en bronze à tirage limité, coulées à partir du modèle en plâtre ou en terre cuite réalisé par le sculpteur personnellement, de telle sorte que, dans leur exécution même, ces supports matériels de l’œuvre portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur et se distinguent par là d’une simple reproduction ». Or, selon la Cour de cassation, il résultait des considérations de la cour d’appel que ce tirage avait été obtenu par surmoulage. Dans une affaire Giacometti, jugée par la Cour de cassation le 1er décembre 2011, le qualificatif d’ « œuvre originale » s’était également vu refusé à deux plaques de zinc ayant servi au tirage de lithographies. En relevant que « le passage du dessin effectué par l’artiste sur papier report, par transfert sur la plaque de zinc et son impression, constituait un travail purement technique (…) la cour d’appel a exactement déduit que, même si elle conservait la trace de l’œuvre, la plaque de zinc, simple moyen technique utilisé pour permettre la reproduction des lithographies, qui sont seules des œuvres originales, ne pouvait être elle-même qualifiée d’œuvre de l’esprit ».
En l’espèce, les plaques pouvaient donc être vendues sans qu’il y ait atteinte à l’intégrité de l’œuvre de Giacometti. Cependant, ce n’est pas là tout l’enjeu de ce critère d’originalité, qui veut que l’ « œuvre originale » ne soit pas seulement celle qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, mais celle qui ait été exécutée par l’artiste lui-même. En effet, si l’originalité influe entre autres sur la détermination de la valeur d’un objet, elle conditionne aussi sa protection par le droit d’auteur. La législation sur la propriété intellectuelle et artistique ne s’appliquant qu’aux seules œuvres originales.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Droit : ni faux, ni originaux
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Camille Claudel à l'âge de 20 ans - source Wikimedia
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : Droit : ni faux, ni originaux