BALE / SUISSE
L’économiste Clare McAndrew, et sa société irlandaise Arts Economics, produit depuis cinq ans un bilan du marché de l’art mondial commandité par la Foire européenne des beaux-arts Tefaf Maastricht. Elle commente ici quelques données de ce riche rapport.
Des variations de – 33 % en 2009, 52 % en 2010, 7,9 % en 2011, – 4,9 % en 2012 et maintenant 7,5 % en 2013… Comment s’expliquent-elles dans un marché supposé mature ?
Le marché de l’art est très déterminé par l’offre, aussi les ventes totales sont conditionnées par ce qui est proposé au cours de l’année. Par ailleurs, ces chiffres sont très affectés par ce qui se passe dans le haut du marché où les évolutions de prix pour les œuvres importantes peuvent impacter les totaux dans un sens ou dans l’autre. La chute de 2009 s’explique en partie par la baisse du nombre de marchandises mises en vente ; beaucoup de collectionneurs ont considéré qu’il n’était pas opportun de vendre au beau milieu de la crise financière (préférant conserver leurs œuvres alors que leur portefeuille financier était en déroute). Tandis que ceux qui étaient forcés de vendre ont vendu les pièces les moins importantes. Les vendeurs internationaux sont revenus en 2010 en même temps qu’une explosion du marché chinois. De 2005 à 2007 tout allait bien, en 2009 tout allait mal, mais depuis 2011, les pays et les catégories d’art ont repris des couleurs par rapport à 2009, avec des fortunes variables qui se compensent entre eux. D’après des marchands à New York, leurs affaires n’ont jamais été aussi prospères, alors qu’en Europe certains se battent pour survivre.
Une grande partie de la croissance du marché de l’art des sept dernières années est due à la Chine. Les données chinoises sont-elles fiables ?
Les ventes aux enchères représentent 70 % du marché de l’art en Chine et sont donc le principal levier de croissance ou de contraction. Le marché chinois se remet lentement ( 2 %) de la purge de 2012, bien en dessous de la croissance mondiale ( 7,5 %). Les résultats de ventes aux enchères utilisées par Art Economics sont fiables car publiés et vérifiés. Cela n’a rien à voir avec le débat récurrent sur les non-paiements en Chine qui n’est d’ailleurs pas spécifique à la Chine, même si le phénomène est plus important en Chine continentale. Selon l’Association des maisons de ventes chinoises, en 2103, en moyenne, 40 % des transactions n’ont pas été payées dans les six mois suivant la vente. Ce taux varie beaucoup d’une maison de ventes à l’autre et selon la valeur des lots. Pour China Guardian, par exemple, ce taux doit se rapprocher de celui des maisons occidentales. Il s’explique par plusieurs raisons : le doute des acheteurs sur l’authenticité des œuvres, leur culture différente.
Comment expliquer que le marché de l’art en France ait augmenté de 13 % alors que son PIB n’a progressé que de 0,2 %, tandis qu’au Royaume-Uni il a baissé de 2 % avec un PIB en hausse de 1,4 % ?
Comme je l’ai indiqué précédemment, le marché de l’art est un marché étroit constitué d’œuvres uniques et son chiffre d’affaires varie en fonction des œuvres mises en vente. La corrélation avec le PIB peut être valide sur une longue période, mais pas sur une seule année. Le marché britannique ne repose pas uniquement sur les acheteurs locaux mais beaucoup sur des collectionneurs internationaux, il est moins dépendant de la situation économique locale. Le marché est cependant beaucoup plus important en Grande-Bretagne qu’en France et est depuis longtemps une place internationale. Cependant les prix très élevés atteints pour des œuvres très recherchées, en art contemporain notamment, poussent les vendeurs à aller en dehors de l’Europe, à New York par exemple.
Comment expliquez-vous que la part des ventes aux enchères d’art contemporain soit passée de 7 % en 2003 à 22 % en 2013 ?
L’art contemporain est le secteur le plus en croissance et le plus volatil des dix dernières années. Il représente en 2013 près de la moitié du marché des tableaux, sculptures, dessins et estampes, ce qui est un pourcentage remarquable par rapport à la fin des années 1980 où son poids était faible et sa valeur commerciale très aléatoire. Les œuvres de plus de 36 000 artistes ont été vendues aux enchères, mais le marché se fait sur un petit nombre d’entre eux (Francis Bacon, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Zeng Fanzhi..). Ces artistes sont reconnus dans l’histoire de l’art, leur production est limitée mais suffisante pour alimenter le marché et elle concentre l’intérêt de nombreux collectionneurs occidentaux fortunés. Encore une fois, c’est l’offre et la demande qui dope le marché.
Selon vous, le poids des ventes sur Internet est de 2,5 milliards d’euros (5 % du marché total de l’art). Comment va évoluer ce canal dans les prochaines années ?
Les ventes exclusivement en ligne vont progresser très rapidement. Ainsi que je l’indique dans mon rapport, elles pourraient augmenter à un rythme de 25 % par an, ce qui veut dire un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros en 2020. C’est un taux réaliste fondé sur celui des ventes on line dans le luxe au cours des trois dernières années (selon le bureau de conseil Bain & Company). Ce canal touche les jeunes collectionneurs et le segment médian du marché. Mais je ne pense pas qu’il concerne un jour le haut du marché.
Contrairement à ce que l’on croit, vous montrez que les antiquaires et galeristes résistent plutôt bien face aux maisons de ventes et font jeu égal avec eux depuis dix ans ?
Oui, mais attention, les ventes de gré à gré des maisons de ventes progressent très vite et sont incluses dans ce canal. D’un autre côté, il existe des centaines de milliers de galeries dans le monde, qui s’installent dans des régions où il n’y en avait pas avant. C’est un canal de masse.
Peut-on mesurer le poids des acquisitions d’art chez les riches ?
Il faut d’abord définir les « riches ». Dans mon rapport, je prends en compte ceux qui disposent de 1 million de dollars au moins pour investir. Il y en avait 12 millions en 2012, 70 % de plus qu’en 2001. Les agences Capgemini et RBC Wealth Management, qui fournissent ces données, estiment que dans le futur, les pays d’Asie (hors Japon) vont le plus contribuer à la croissance de cette population. Ils estiment que cette population investit 10 % de sa fortune dans des achats dits « de passion ». La part de l’art dans ces 10 % varie selon les pays et les individus, mais à un niveau global, elle était de 17 % en 2013, de 32 % pour la joaillerie/bijouterie et de 24 % pour les objets de collection comme le vin ou les antiquités.
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Dr. Clare McAndrew : « Le marché de l’art est très déterminé par l’offre »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Dr. Clare McAndrew : « Le marché de l’art est très déterminé par l’offre »