Art contemporain

Chine, le changement permanent

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2014 - 1363 mots

La création et son marché évoluent très vite en Chine. De nouvelles générations apparaissent, comme en témoignent les galeries et les artistes chinois, invités d’honneur de la 16e édition d’Art Paris Art Fair.

« Alors, la Chine ? » Cette question, qui était le titre d’un article de Roland Barthes (1), fut aussi l’intitulé de l’exposition présentée dans la galerie sud du Centre Pompidou à l’été 2003 qui se voulait comme un tableau de la création contemporaine chinoise. Une décennie plus tard, la question se pose toujours. C’est ce qui a conduit Guillaume Piens, le commissaire général d’Art Paris Art Fair, à choisir la Chine comme invitée d’honneur de cette 16e édition. « En pure coïncidence, précise-t-il, avec la commémoration du cinquantième anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine. »

De fait, peu après son arrivée en 2011 à la tête de la manifestation, à l’époque simplement baptisée « Art Paris », Guillaume Piens avait annoncé son intention d’en faire « une foire européenne qui explore les territoires de l’Est (Europe centrale, Moyen-Orient, Asie) ». Dès 2013, la Russie était effectivement à l’honneur pour inaugurer cette nouvelle orientation. Et le commissaire général suggérait déjà que la prochaine scène qui serait mise en avant serait asiatique.

La Chine, donc, est représentée par dix galeries venues de Shanghaï (à l’exemple de Red Bridge), Pékin (Xin Dong Cheng) et Hongkong (10 Chancery Lane), réunies en plateforme sous la verrière du Grand Palais, mais aussi par des galeries chinoises installées en Europe (Hua à Londres, IFA à Shangaï et Bruxelles), ou des galeries françaises exposant des artistes chinois (Loft, Daniel Templon, Paris-Bejing…).

Une invitation dans l’air du temps
Au total ce sont 33 galeries (sur les 137 en provenance de 17 pays) qui montrent environ 90 artistes chinois assimilés à l’art moderne ou contemporain. Soit un tableau très varié du point de vue tant des provenances que des disciplines et des générations, puisque le visiteur pourra voir aussi bien des œuvres de Zao Wou-ki (chez Thessa Herold [Paris] et Bogéna [Saint-Paul de Vence, Singapour]) et de Chu Teh-Chun (Trigano, Paris), que de Wang Keping (Zürcher, Paris, New York), l’un des fondateurs du désormais historique groupe « Les Étoiles » (fin des années 1970-début des années 1980), ou du peintre Gao Xingjian, également Prix Nobel de littérature (chez Claude Bernard, Paris).

On retrouve aussi certains de ceux qui, à la fin des années 1990-début 2000, ont formé une sorte de « dream team », parmi lesquels Zhang Xiaogang, Yu Minjun ou Feng Zhengjie. Ils ont été présentés à Paris dès leurs débuts par Xin Dong Cheng et Catherine Thieck à la Galerie de France (Paris) et par Jean-François Roudillon et Jean-Marc Decrop à la galerie Loft (Paris). Ils atteindront rapidement des cotes vertigineuses.

De plus jeunes sont également conviés, comme Liu Bolin (né en 1973) sur le stand de la galerie Paris-Beijing (Paris, Bruxelles, Pékin), qui a parallèlement installé un poing de 3,40 m de hauteur sur le parvis du Grand Palais. Dans cette même galerie, on découvre une toute nouvelle génération d’artistes nés après 1980, à l’instar de Yang Yongliang (en 1981) ou de Wang Haiyang (en 1984).
Alors la Chine aujourd’hui à Art Paris Art Fair ? Tout d’abord, cette invitation est dans l’air du temps puisque, à l’occasion de la foire Art Basel Miami Beach de décembre 2013, la famille Rubell organisait dans son entrepôt une exposition de vingt-huit artistes chinois. Plus récemment encore, à New York, l’Armory Show (du 6 au 9 mars), a proposé un focus sur la Chine.

Ensuite, avec cet accent chinois, Art Paris Art Fair permet, à son échelle, de réactualiser nos connaissances. Ce qui n’est pas inutile puisque, comme le souligne Guillaume Piens, « un an en Chine correspond à dix ans en Europe ». Jérôme Sans confirme que « là-bas tout bouge à une vitesse vertigineuse, tout est en constante mutation. La Chine est aujourd’hui l’endroit le plus vivant au monde, cela me rappelle le New York des années 1980 ». On peut d’autant plus le croire qu’il a dirigé de 2008 à 2012 l’Ucca (Ullens Center For Contemporary Art), à Pékin, et qu’il passe aujourd’hui la moitié du temps dans la capitale de la Chine où il codirige après l’avoir cofondée « Perfect Crossovers », une agence de consulting en art. Bref, tous les points de vue convergent pour affirmer que la seule constante est le changement permanent.

Stars plus discrètes
Enfin la foire parisienne va peut-être permettre de tordre le cou aux vraies fausses et fausses vraies idées reçues sur le marché de l’art chinois depuis une dizaine d’années : ce marché, tel jour baisse, puis remonte le lendemain, « mais ce n’est qu’une flambée » ; « la cote des artistes est artificielle », « cela ne tiendra pas et de toute façon tout cela va s’écrouler ».

Mais de quel marché est-il question au juste, celui des artistes chinois sur la scène internationale, celui des artistes chinois en Chine ou celui des artistes occidentaux en Asie du Sud-Est ?
Ceux qui fréquentent assidûment les différentes scènes locales s’accordent à dire que ces marchés se portent plutôt bien. « En Chine, les choses évoluent trop vite pour creuser une généralité à partir d’un cas particulier », indique Magda Danysz (non présente à la foire), qui, parallèlement à sa galerie parisienne, a ouvert un autre espace à Shanghaï en juin 2009. « Aujourd’hui certains artistes très en vue à la fin des années 1990-début 2000 se font simplement plus discrets, ils mettent moins d’œuvres sur le marché, s’orientent plus vers le circuit des musées », poursuit-elle. Et si certains sont indéniablement un peu passés de mode, la plupart de ces artistes  sont encore bien là. Il suffit de voir Liu Wei travailler avec la galerie White Cube (Londres), Yan Fudong avec Marian Goodman (Paris, New York) ou Wang GuangLe à la Pace (Londres, New York, Pékin) pour deviner que cela ne va pas trop mal pour eux. Rappelons de même le record de 18 millions d’euros atteint par la toile The Last Supper, de Zeng Fanzhi, vendue chez Sotheby’s à Hongkong en novembre 2013 et dont les deux derniers enchérisseurs étaient chinois. Selon Magda Danysz, de gros collectionneurs chinois déjà possesseurs ou nouveaux acheteurs des artistes du tournant du siècle « redécouvrent cette histoire récente, se passionnent pour elle et commencent à la maîtriser ».

« Portrait of the Time, Thirty Years of Contemporary Art », qui s’est tenue au second semestre 2013 au musée d’art contemporain Power Station of Art à Shanghaï et a mis en valeur de trente ans de création contemporaine chinoise, ne peut que confirmer cette tendance. « Chaque année de nouveaux et importants collectionneurs arrivent sur le marché », indique Jérôme Sans, qui rappelle que « la Chine a comme projet d’ouvrir entre 50 et 100 musées d’art contemporain dans les dix prochaines années ». Cela laisse effectivement entrevoir des perspectives, ne serait-ce qu’à Shanghaï, où un port franc a ouvert en décembre dernier et où une dizaine de projets publics comme privés seraient en cours.

« Créations libres »
En dehors de ces riches boulevards, la Chine aujourd’hui entrouvre aussi de nouvelles pistes. Jean de Loisy, l’actuel président du Palais de Tokyo, s’est rendu à Shanghaï, Wuhan et Pékin en janvier pour visiter des ateliers de jeunes artistes. « Loin des productions d’il y a une quinzaine d’années, qui expriment la surproduction et l’industrialisation de langages extrêmement stéréotypés surtout destinés à répondre à l’appétit de marchés hypertrophiés, avec des codes compatibles avec les styles internationaux », il y a découvert « qu’une nouvelle génération de jeunes artistes proposait des créations libres, indépendantes, transgressives, engagées politiquement et esthétiquement et qui apportent une fraîcheur et des répertoires de formes totalement inattendus ».

De même, Jean de Loisy constate l’apparition de jeunes galeries « qui prennent conscience qu’elles ne peuvent pas présenter un art standardisé et qu’il leur faut retrouver une authenticité indispensable si elles veulent reconquérir une crédibilité internationale ». À bon entendeur… Mais les verra-t-on dans les grandes foires internationales ? Et à quels prix ?

Note

(1) publié dans le quotidien Le Monde le 24 mai 1974.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Chine, le changement permanent

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