À la galerie Lelong, les installations cinétiques de l’artiste allemande viennent imprimer leur poésie avec des enchaînements précis et délicats.
PARIS - Il y a dans l’exposition de Rebecca Horn une œuvre étrange et presque inquiétante. Intitulée Between the Knives the Emptiness (en français Entre les couteaux, le vide), elle met en scène, dans un cadre en acier sur socle, un gros pinceau-brosse chinois suspendu, avec juste en dessous trois couteaux japonais aux lames acérées. Ils semblent d’autant plus menaçants que, mus par de petits moteurs, ils montent et descendent chacun à leur tour très lentement pour juste venir frôler les poils auburn du pinceau. Suspens et suspension. Une version zen et poétique du couteau sous la gorge ?
Le mystère s’épaissit telle une chevelure, lorsqu’on découvre qu’une partie de l’œuvre – uniquement les couteaux et les poils – fait la couverture du catalogue. Cadrés en gros plan dans leur verticalité et alors immobiles, ils évoquent une silhouette, un corps et plus encore l’autoportrait de l’artiste à la célèbre et flamboyante chevelure rousse. Peut-être faut-il y voir la réincarnation des performances qui, au commencement de sa carrière (début des années 1970), voyaient Rebecca Horn mettre son corps en jeu, en prolongeant avec des artifices ses bras, ses jambes, sa tête pour créer des extensions sensibles et réaliser des expériences avec et sur elle-même. Déjà cette relation entre le corps, l’environnement, le mouvement dans l’espace, l’enchaînement des choses.
L’effet papillon
C’est évidemment dans ce registre que s’inscrit la figure récurrente du papillon dans l’œuvre de l’artiste. Un papillon, il y en a d’ailleurs un, ici. Ses ailes jaunes et noires sont animées par un petit moteur qui fait office de corps et qui, soudé au bout d’une tige, fixe l’ensemble dans une pierre de lave. Comme si le lépidoptère était piqué dans une boîte entomologique. Comment mieux fulgurer la contraction de temps entre le côté éphémère de l’insecte et l’aspect nuit des temps du minéral ? À l’exemple de cette œuvre, on pourrait une nouvelle fois croire que c’est pour Rebecca Horn qu’ont été inventées l’expression « l’effet papillon » et la métaphore, qu’elle suppose, de ce simple battement d’ailes d’un papillon au Brésil qui peut déclencher une tempête au Japon. À l’immense différence près qu’à la tornade, Rebecca Horn a toujours préféré les filets d’air, les frémissements, les souffles, les ondes. Car si ses œuvres sont si poétiques et si magiques, c’est précisément grâce à cet enchaînement de causes et d’effets presque imperceptibles, parfois purement imaginaires qui créent, tel un jeu de domino, un engrenage inéluctable de situations minutieusement maîtrisées.
Chez Rebecca Horn en effet, la théorie du chaos fonctionne sur une pratique de l’ordre et sur une maîtrise des flux d’énergie. Deux œuvres rendent parfaitement compte de ces différents aspects. La première Cricket’s Freedom, installe un grillon en métal sur le dessus d’une vitrine en verre et acier. À l’intérieur sont soigneusement disposés un entonnoir rempli de soufre, donc jaune, un œuf et une vraie branche en bois dont certaines ramifications sont prolongées par des pics dorés. Selon la célèbre épigramme voltairienne, « que croyez-vous qu’il arriva ? » : l’énigmatique jeu du cricket se transmet au soufre qui passe sous l’œuf et monte ensuite dans les branches qui, forte de cette nouvelle sève, transpercent les vitres pour se développer à l’extérieur. Tout en suggestion. De même Le nœud de Bacchus, sorte de grand alambic, nous fait suivre le périple de raisins, d’entonnoirs en tuyaux de cuivre, pour nous entraîner dans une ivresse visuelle. On pourrait aussi citer Le baiser du corbeau, qui invite le spectateur à mettre sa tête au centre d’un petit miroir rond pour se voir d’un seul coup coiffer d’une plume noire, en balayage, telle une grande mèche de cheveux. Se greffent ici particulièrement les dimensions d’humour, de délicatesse, de participation du spectateur de légèreté, inhérentes à la démarche de l’artiste.
Les prix aussi sont aériens qui vont de 16 000 euros pour les petites peintures sur papier et 180 000 euros pour les grandes à 330 000 euros pour les deux grandes sculptures motorisées en passant par 80 000 euros pour celles de tailles moyennes. Pas vraiment donné. Mais Rebecca Horn (née en 1944, elle vit entre Majorque et sa Fondation au sud de Francfort) expose peu. Sa précédente exposition ici même remonte à 2008 – elle avait auparavant travaillé pendant vingt ans avec Catherine Thieck à la galerie de France. Ses œuvres, qui sont toutes des pièces uniques, demandent en effet souvent plusieurs mois de travail puisqu’elles requièrent une précision d’horloger, tant pour leur complexité technique que pour leurs réglages au poil près.
Nombre d’œuvres : 6 sculptures, 7 peintures sur papier dont 4 grandes. 10 petites peintures sur papier dans le bureau.
Prix : entre 16 000 et 330 000 €
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Dans l’engrenage de Rebecca Horn
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 22 novembre, Galerie Lelong, 13 rue de Téhéran, 75008 Paris, tél. 01 45 63 13 19, www.galerie-lelong.com, mardi-vendredi 10h30-18h et samedi 14h-18h30.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Dans l’engrenage de Rebecca Horn