Si le confinement met en danger l’économie de nombreuses galeries en France, il aura néanmoins obligé le secteur à accélérer son passage au numérique.
La crise sanitaire du Covid-19 aura contraint les galeristes de l’Hexagone, cloîtrés chez eux, à opérer différemment, et notamment à redoubler d’inventivité pour promouvoir leurs artistes. Solution la plus évidente : le numérique. Il s’agit moins de combler le manque à gagner considérable généré par la fermeture obligatoire des galeries doublée par le report des grandes foires, dont Art Paris, Art Basel ou encore Art Brussels, que de maintenir et de créer des liens sociaux. « L’important est de garder contact avec les personnes qui s’intéressent à ce que l’ont fait et de cultiver l’appétit du public pour notre travail, même si cela ne génère pour l’instant pas de revenus. Il est urgent de laisser du temps au marché pour atterrir et cicatriser », explique Jocelyn Wolff, directeur de la galerie éponyme. Si quelques galeries ont réussi à maintenir une activité commerciale au ralenti, comme les poids lourds David Zwirner et la Galerie Lelong, force est de constater que la tendance est à « l’hibernation », souligne Jocelyn Wolff. Et si certains prédisent « une hécatombe » pour l’après-confinement, comme l’admet Magda Danysz, directrice de la galerie du même nom, il n’est pas question pour autant d’arrêter l’activité.
Ainsi, collectionneurs et amateurs ont tout de même pu visiter via Internet de nombreuses « viewing rooms», autrement dit des espaces d’exposition virtuels plus ou moins aboutis, que le confinement a vu fleurir. Précurseur en la matière, David Zwirner propose ce système depuis 2017, et en compte une cinquantaine à son actif. Ses expositions « Harold Ancart: Pools » et « Wanderlust: Travel Drawings by Marcel Dzama », prévues respectivement à Paris et à New York, se sont donc déroulées en ligne.
Des galeries de toutes tailles, comme la Galerie Kamel Mennour et la Galerie Christian Berst, se sont lancées dans l’exercice. Comme pour les catalogues d’exposition, Christian Berst y voit « un moyen d’abolir la spatialité et la temporalité. Et cela a une résonance crue aujourd’hui. Je voulais lancer le projet des expositions en ligne depuis longtemps, la crise a accéléré le processus. » « Nous avions déjà proposé une viewing room l’an dernier pour une exposition d’œuvres in situ dans notre galerie de Bruxelles, car nous voulions la documenter. À l’annonce du confinement, nous avons mis dix jours pour monter en ligne les expositions de Billie Zangewa, Norbert Bisky et Jim Dine », explique Anne-Claudie Coric, directrice de la Galerie Templon.
Ces espaces numériques sont souvent agrémentés par du contenu parfois poussé. C’est le cas du site Internet de la Galerie Perrotin, dont la section des viewing roomsétait auparavant seulement accessible avec l’autorisation de la galerie. Désormais rendue publique sous l’onglet « médias », l’internaute accède aux visites virtuelles, mais également à des podcasts qualitatifs, dont certains d’une durée d’une heure, à des vidéos de visites d’ateliers, des conférences et des textes. Le concept attire de plus en plus, « Nous allons y venir aussi », concède d’ailleurs la galeriste Nathalie Obadia.
« Nous sommes tentées par les viewing rooms, mais au début du confinement nous n’étions pas prêtes. Il nous paraît plus important de resserrer le lien avec notre communauté. Nous avons donc opté pour des vidéos dans un registre assez léger, composées d’anecdotes que l’on partage en général lors des dîners ou dans les showrooms», explique Séverine de Volkovitch, directrice de la Back-slash Gallery. Depuis le confinement, la Galerie du Marais, à Paris, propose régulièrement dans un format court des vidéos sur Instagram où les galeristes et les plasticiens racontent leurs souvenirs concernant l’histoire de la galerie et le montage des expositions. Les galeristes se sont montrés très actifs sur les réseaux sociaux et en particulier sur Instagram, le réseau privilégié de l’art contemporain – le rapport Hiscox 2019 sur le marché de l’art en ligne pointe que 65 % des personnes sondées privilégient Instagram pour l’art.
« Pendant le confinement, nous nous sommes rendu compte que nous avions une audience plus importante sur Instagram TV que sur YouTube », appuie Magda Danysz, qui s’est elle aussi lancée dans la confection de vidéos de visites d’ateliers d’artistes. De son côté, Nathalie Obadia explique avoir conçu « un plan très précis ». « Nous avons une personne dédiée aux réseaux sociaux, précise la galeriste. Chaque jour, nous proposons sur Instagram une œuvre d’un de nos artistes, avec un petit texte et des vidéos de visites d’ateliers. Deux fois par semaine, nous publions un livre lié à l’art, lu par une personne de la galerie. » Ces initiatives sont généralement couplées de newsletters plus travaillées que d’ordinaire ; tous les jours pour la Galerie Loevenbruck, sous le format « Pas un jour sans une œuvre », ou deux à trois fois par semaine pour la Galerie Alain Margaron, avec « À la rencontre d’une œuvre ».
Ces initiatives vont-elles perdurer ? « Nous conserverons certaines de ces nouveautés, mais pas toutes, pour ne pas noyer notre public sous les informations », explique Nathalie Obadia. Séverine de Volkovitch admet toutefois qu’elle « intensifiera la présence digitale de la galerie, car l’enjeu devient prépondérant ». Tous ont cependant conscience des limites de ces propositions. « Dans l’art, nous sommes encore un peu timides, et les solutions existantes ne sont pas révolutionnaires. Il suffit de regarder les plate-formes de ventes en ligne, qui ne sont ni innovantes ni créatives. Il faut que nous réfléchissions à ce qui va nous permettre de mieux partager nos œuvres, pour ne pas être réduits à des marchands », conclut Magda Danysz.
Côté marché, les ventes d’art en ligne ont connu une croissance importante ces dernières années, mais représentent seulement 9 % du marché total selon les derniers chiffres du rapport Art Basel. « Notre présence digitale est un outil de promotion parmi tant d’autres. Notre galerie n’a jamais fait de la vente par correspondance. L’expérience physique est le cœur de notre activité », rappelle Anne-Claudie Coric.
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Confinées, les galeries renforcent leur stratégie digitale
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : Confinées, les galeries renforcent leur stratégie digitale