Au moment où l’étude PIASA annonce son "alliance stratégique" avec Phillips, Me Joël Millon lance un regroupement de 17 commissaires-priseurs. Neuf mois avant la fin du monopole, les grandes manœuvres s’accélèrent. Certains commissaires-priseurs créent aussi des structures en association avec d’autres professions juridiques, certains se tournent vers l’étranger, d’autres enfin préfèrent faire cavalier seul. De même, tous n’ont pas la même appréciation de l’indemnisation prévue pour la "perte du monopole".
PARIS - L’étude parisienne PIASA (Picard, Audap, Solanet, Velliet) et la maison Phillips de Londres ont signé, fin février, un accord de coopération en attendant la formation d’une seule et même société de vente en 1998, peut-être "P & P". Après un an de négociations, les deux parties ont trouvé un terrain d’entente particulièrement propice. Me Jean-Louis Picard et Christopher J. Weston, président de Phillips, se connaissent depuis vingt-cinq ans. Ils partagent la même "philosophie commerciale", axée sur "l’intégrité et la confidentialité." Les logos des deux maisons seront désormais associés et, avant même que la réforme n’ait pris effet, Phillips pourra vendre à Paris par le ministère de Me Picard, à qui Christopher J. Weston a d’ailleurs offert un petit marteau très symbolique. Fondée en 1796, Phillips est la plus grande maison de vente en mains privées, avec un chiffre d’affaires de 113 millions de livres, tandis que PIASA, créée en 1996 et seconde étude de France après celle de Me Jacques Tajan, a réalisé 140 millions en 1996. Ce décalage sera-t-il en faveur de la maison britannique, qui retrouve enfin un ancrage à Paris après avoir été obligée de fermer son bureau parisien au moment de la crise ? La première exposition conjointe de "P & P" aura lieu fin mai à New York, puis à Londres, Genève et Paris, avec du mobilier et des objets d’art de PIASA, et quelques tableaux importants. La vente se déroulera ensuite à Paris, à une date qui n’est pas encore fixée. Me Picard espère ainsi "échapper à la souricière que Bruxelles est en train de construire pour le marché de l’art européen, en jouant le jeu de l’Amérique". Membre de l’IA (International Association of Auctioneers) depuis 1995, Me Jacques Tajan consolide sa place de première étude de France aux côtés de partenaires internationaux : Bonhams, Dorotheum, Butterfield & Butterfield et Swann Galleries. L’étude songe à une implantation commune avec IA à Hongkong, d’ici d’un ou deux ans. "La Corée achète beaucoup, indique François Tajan, et les Japonais sont des revendeurs potentiels." L’Italie, riche en acheteurs, est une autre destination envisagée.
Dans un an, les ventes en duplex entre Paris, Londres et Vienne seront en principe à l’ordre du jour. "Lorsque vous suivrez une vente de tableaux sur écran au George V à Paris et que les enchères seront à New York, la législation ne sera plus un obstacle." Face à ces associations internationales, Me Joël Millon regroupe dix-sept commissaires-priseurs de huit études (Couturier-de Nicolaÿ, Artus, Libert-Castor, Mathias, Millon-Robert, Oger Dumont, Ribeyre-Baron, Rieunier-Bailly-Pommery) sous la bannière "Millon & Associés", avec un chiffre d’affaires totalisant 300 millions de francs. "Il faut favoriser les groupes pour aller dans le sens de la réforme et supprimer l’atomisation des études", estime Me Millon, qui souhaite faire "réagir" ses confrères avant l’arrivée des maisons anglo-saxonnes. Pluridisciplinaire, le groupement reste ouvert à de nouveaux venus parisiens, de province ou étrangers. Un bureau à New York ne serait envisagé que par l’intermédiaire d’une association avec un partenaire international. En tant que président de la Compagnie des commisssaires-priseurs de Paris, Me Millon intensifie l’effort de restructuration de Drouot, "lieu magistral, unique au monde", et envisage une "modification du système de location des salles en fonction des groupes", destinée à maintenir un "noyau dur" autour de Drouot. Règle de base depuis 1852, l’unicité du lieu de vente avait déjà fait l’objet de quelques dérogations, avec les dispersions à Drouot-Montaigne, l’Hôtel George V, l’Espace Cardin... Avec la fin du monopole, les commissaires-priseurs ne seront plus tenus de vendre à l’Hôtel Drouot, et ce dernier symbole risque de disparaître.
Ces tentatives de rassemblement de la profession sont diversement appréciées. Me Lombrail, qui a été lui aussi en négociation avec Phillips, porte un jugement sévère sur ces "associations d’aveugles et de paralytiques." Préférant se retirer de l’arène, il s’apprête à se reconvertir comme expert judiciaire près la Cour d’appel, spécialisé dans la peinture impressionniste, moderne et contemporaine. Me Olivier Coutau-Bégarie rappelle la vie éphémère des regroupements du passé – tel Arcole – et envisage une société de services pluridisciplinaires avec des experts, des notaires et des assureurs. Me Pierre Cornette de Saint-Cyr s’intéresse aux États-Unis, et au "vrai marché d’avenir, la Chine", en remarquant que les Anglo-Saxons "nous attaquent dans les domaines où nous étions encore forts : les livres, l’art africain, les meubles et objets d’art."
Une nouvelle profession
À Lyon, Me Anaf se "réjouit de ces associations, qui répondent au vœu du garde des Sceaux, Jacques Toubon". Avec quatre autres confrères de province, il a créé il y a cinq ans l’ACPR (Association des commissaires-priseurs réunis), qui se transformera en société commerciale en 1998. Les études Anaf, Mercier & Cie à Lille, Guignard à Lorient, Arnauné à Toulouse, de Corneilhan à Meaux totalisent un chiffre d’affaires d’un milliard de francs et quadrillent toute la France, une aubaine pour des associés potentiels. Rien n’est encore prévu, Me Anaf préférant attendre les effets de 1998. "Nous sommes en train de mettre en place une nouvelle profession: c’est extrêmement stimulant." Le nouveau "partenariat" de Deauville Auction et des Commissaires-Priseurs de Bayeux, annoncé mi-mars, a, comme tous les regroupements actuels, une forme contractuelle plutôt floue.
Toutefois, certains préfèrent encore pour le moment faire "cavalier seul", tel Me Guy Loudmer, qui "laisse venir la réforme", ou Me Jean-Claude Binoche, "peu convaincu" par les associations et hostile à la "surtaxe absurde" destinée à financer l’indemnisation des commissaires-priseurs, qui "grève encore plus un marché déjà plombé." Pour Me Millon, cette taxe "d’expropriation d’un monopole" est "justifiée" pour donner aux commissaires priseurs la possibilité de se retirer ou d’avoir les moyens de "se battre" face aux maisons anglo-saxonnes en réinvestissant. Le pourcentage de 1,5 % sur les ventes n’est pas confirmé, le montant global de l’indemnisation n’étant pas connu à ce jour. Il est certain, en revanche, qu’une partie de cette indemnisation sera prélevée sur le budget de l’État, donc sur le contribuable.
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Commissaires-priseurs : les stratégies se précisent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : Commissaires-priseurs : les stratégies se précisent