La capitale belge a réussi à attirer de nombreuses galeries étrangères de renom, mais le paradis commercial maintes fois claironné est loin d’être encore au rendez-vous.
BRUXELLES - Tout a commencé, il y a dix ans. En 2006, Almine Rech a été la première galeriste française à poser ses valises à Bruxelles. Deux ans plus tard, elle a été suivie par la New-Yorkaise Barbara Gladstone, puis par la Parisienne Nathalie Obadia. En 2012, c’est au tour de Valerie Bach, puis en 2013 des galeries Templon (et d’Antoine Laurentin, côté art moderne), Michel Rein et des Anversois Micheline Szwajcer, Office baroque et Kusseneers. En 2014, Jeanroch Dard puis, début 2016, l’Israélien Dvir gallery et la Française Marie-Hélène de la Forest Divonne rejoignent le bataillon.Aujourd’hui forte d’une quarantaine de galeries, d’une vingtaine de musées, espaces d’exposition et centres d’art, la capitale belge s’est forgé une image de dynamisme sur la scène internationale. Preuve supplémentaire de son attractivité, de plus en plus d’artistes font le choix de s’y installer après un séjour en résidence. Last but not least, Independent, une nouvelle foire résolument internationale, a ouvert ses portes, outre-Quiévrain, en avril dernier.
Effet Thalys et opportunités immobilières
Pourquoi Bruxelles ? Les atouts de la capitale belge sont bien connus.Carrefour européen, bien desservi par les navettes ferroviaires du Thalys, la métropole internationale, siège de la Commission européenne, jouit en outre d’un marché de l’immobilier particulièrement attractif si on le compare à celui des autres grandes capitales européennes. « Ce sont les prix de l’immobilier qui nous ont décidés, explique Anne-Claudie Coric, la directrice de la galerie Templon. Ici, on trouve des espaces fabuleux pour le tiers des prix parisiens. Bruxelles n’était pas un choix stratégique, mais plutôt une opportunité ». L’implantation dans la capitale belge aurait ainsi permis à la galerie parisienne de se rapprocher de ses nombreux collectionneurs belges, qui boudent un peu Paris ces dernières années, lui préférant New York, Bâle et Hongkong. Patrick Vanbellinghen, directeur de la galerie Michel Rein à Bruxelles, évoque, en souriant, le mythe de l’eldorado bruxellois qui se serait construit sur les fondations de la réputation du collectionneur belge curieux de tout et qui achète très tôt. « Nous nous sommes donnés cinq ans pour trouver notre rythme de croisière », souligne le galeriste qui avoue travailler, pour le moment, « beaucoup sur Internet et sur les foires ».
La motivation principale des galeries parisiennes ? « Doubler leur espace d’exposition pour présenter de manière plus régulière leurs artistes, mais aussi accroître sa visibilité à l’international en s’installant, à bon compte, dans des locaux prestigieux », explique le galeriste belge Albert Baronian, en poste dans la capitale depuis 1973. Pour celles qui songent à ouvrir un second espace, le choix de la capitale belge s’impose, car c’est ici que se trouve le meilleur rapport qualité prix en Europe. « Même si je ne vends pas énormément, Bruxelles va me permettre de conserver mes artistes et d’exposer leurs œuvres sur les foires. Car c’est là que les galeristes vendent. La logique est industrielle », souligne Alain Servais, conseiller financier indépendant et collectionneur bruxellois.
C’est cette analyse qui a conduit Marie-Hélène de la Forest Divonne à ouvrir une grande et belle galerie rue de l’hôtel-des-Monnaies. « À Paris, nous étions limités à un effectif de dix-sept artistes. Grâce à ce nouvel espace, nous allons pouvoir en accueillir de nouveaux », souligne la galeriste. Pour choyer ses collectionneurs belges, en grande majorité flamands, celle-ci a fait le choix de recruter une assistante néerlandophone et de publier ses catalogues et communiqués en deux langues.
Bien qu’ancré dans un autre segment du marché, l’installation de Barbara Gladstone semble avoir répondu à la même logique. « Nous voulions offrir un autre type d’espaces à nos artistes, leur permettre d’exposer dans un autre contexte », note Maxime de la Brousse, directeur associé de la galerie. Larry Gagosian, passé maître dans l’art de chouchouter ses artistes pour mieux les fixer dans son écurie et en débaucher de nouveaux, aurait-il fait des émules ? Il n’est pas anodin que la galerie new-yorkaise ait fait le choix d’organiser à Bruxelles des expositions monographiques non commerciales de ses artistes phares, de ses valeurs sûres du marché de l’art comme Sol Lewitt, pourtant peu prisé des collectionneurs belges qui n’ont d’yeux que pour les jeunes pousses.
Aucun triomphalisme
Qu’en est-il donc de cet eldorado vanté par la presse ? « Il n’y a pas de miracle Bruxellois, insiste Rodolphe Janssen. Il y a en tout et pour tout cinq galeries étrangères importantes dont l’installation a réellement apporté quelque chose au marché local. Leur arrivée a contribué à créer le buzz. » Ajoutez à cela un phénomène de migration vers la capitale de quelques galeries belges auparavant installées à Anvers et Gand et vous obtenez, selon le galeriste belge, la mesure du « phénomène » Bruxellois. Côté affaires, on n’observe aucun triomphalisme de la part des professionnels étrangers installés dans la capitale européenne. Anne-Claudie Coric avoue cependant être « plutôt contente des résultats de la galerie Templon, car [elle a] une notoriété construite à Paris et qu’[elle] travaille depuis cinquante ans avec de très nombreux collectionneurs belges. » Pour Nathalie Obadia, qui dit réaliser 30 % de son chiffre d’affaires total à Bruxelles, réussir à pénétrer le marché suppose « d’être présent sur place, de savoir créer un climat et de bien comprendre les codes et rituels des Belges ».
Installé aux Sablons, dans sa vaste galerie de la rue Ernest-Allard, au milieu d’œuvres de Raoul Ubac, Antoine Laurentin reconnaît qu’il lui a fallu un certain temps pour parvenir à attirer dans ses murs les collectionneurs belges. Aujourd’hui, visiblement satisfait, il dit réaliser, ici, un quart à un tiers de son chiffre d’affaires global. Un pourcentage nettement plus élevé que celui (15 % du chiffre d’affaires global) annoncé par Frédérique et Philippe Valentin qui ont ouvert une galerie – Mon Chéri, rue de la Régence – en association avec Jeanroch Dard. Après une exposition d’ouverture réussie, la galerie a vu ses résultats stagner depuis deux ans.
Les collectionneurs belges, combien de divisions ? Réputés défricheurs et aimant découvrir de jeunes artistes dont ils achètent les œuvres à prix modérés, ils seraient, selon les observateurs, très nombreux et très actifs à Bruxelles et en Flandres. Très actifs, mais aussi plutôt hermétiques aux choix artistiques plus classiques des galeristes étrangers, français notamment. La figuration narrative et l’art optique ne sont pas leur tasse de thé. Quid du vivier des exilés fiscaux français ? « Ceux-ci ne deviennent pas collectionneurs du jour au lendemain. Ce sont les Belges, qui nous sont fidèles depuis l’origine, qui achètent dans notre galerie de Bruxelles », précise-t-on chez Templon. Nathalie Obadia tempère le propos en soulignant que son installation outre-Quiévrain lui a néanmoins permis de conserver le contact avec certains d’entre eux.
Vers le seuil de saturation
Si l’on évoque volontiers les galeries qui s’installent à Bruxelles, on parle peu, en revanche, de celles qui se lamentent de ne pas y vendre assez, ni de celles qui ont quitté la capitale belge comme Paris Beijing. On passe également sous silence la débâcle des galeristes parisiens (Catherine Thieck, Ghislaine Hussenot, Marwan Hoss et Philippe Rizzo) installés en 1998, boulevard Barthelemy dans le quartier du canal, qu’ils ont quitté précipitamment. « Le lieu était mal choisi et l’on n’était pas à l’époque dans le “trend” [tendance] ascendant que l’on connaît aujourd’hui », explique Constantin Chariot, directeur de la Patinoire royale qui a ouvert ses portes, il y a un an rue Veydt, dans un grand espace de près de 3 000 m2.
L’ancien conservateur général des musées de Liège soutient, lui, fermement, que la dynamique bruxelloise est irréversible. Un point de vue pourtant loin d’être partagé. Alain Servais pense, pour sa part, « que le seuil de saturation risque d’être atteint si les pouvoirs publics n’interviennent pas. Nous avons besoin d’être aidés afin d’améliorer l’infrastructure, de créer des regroupements de galeries et aussi des sites d’information. Si les galeries ne vendent rien, elles vont finir par s’en aller », avertit-il.
Les attentats du 22 mars, qui se sont traduits par une baisse de fréquentation des galeries et de la dernière édition d’Art Brussels, et par une disparition des collectionneurs nord-américains et des pays du golfe Persique, permettent difficilement, aujourd’hui, de dresser des perspectives claires et d’augurer de l’avenir de la place.
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Bruxelles, un eldorado encore hésitant
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Bruxelles, un eldorado encore hésitant