PARIS
Quoi qu’il arrive, la capitale française pourrait bien être gagnante grâce à son attractivité retrouvée.
Avec les rebondissements à répétition outre-Manche autour du Brexit, le monde de l’art reste dans l’expectative. Chercheurs, galeristes, conservateurs, s’interrogent sur les conséquences. « Personne ne peut les prévoir, c’est le flou artistique », commente Kamel Mennour, présent des deux côtés de la Manche. Pas question pour autant de quitter la City pour l’instant. « Nous disposons de 50 m2 à Londres contre 1500 à Paris ! Rien de comparable », commente-t-il. Même attentisme pour la Galerie Tornabuoni. « Nous sommes installés en Italie, en Suisse, en France et en Angleterre. Nous avons ainsi un large éventail de possibilités, qui va de fermer la galerie londonienne si le Brexit est confirmé à celui de la renforcer… Tout est possible dans l’état actuel : quitte ou double ! », explique Francesca Piccolboni, directrice de l’antenne parisienne. D’autant que le Royaume-Uni pourrait devenir une sorte de Singapour. « Le Brexit s’avérera peut-être positif : Londres peut se positionner comme la Suisse, devenir une place avec peu de taxes. D’ailleurs, je ne ferme pas ma galerie londonienne qui marche très bien. Mais Paris sera notre QG en Europe après le Brexit », confie de son côté David Zwirner.
« Si Brexit il y a, ce sera pénalisant car cela va tout chambouler. Mais c’est sans compter sur le pragmatisme des Anglais qui vont tout faire pour ne pas se laisser distancer, en réalisant des ports francs, en baissant les droits à l’importation, la TVA sur les œuvres d’art… », relève la galeriste Nathalie Obadia. En revanche, les mouvements d’œuvres avec les autres pays pourront se compliquer sérieusement, ce qui deviendrait très gênant. Car, comme le rappelle Kamel Mennour, « la clientèle à Londres est composée de toutes les diasporas plus que des Anglais eux-mêmes ». Déjà des collectionneurs ont sorti leurs œuvres de valeur tandis que les musées londoniens se montrent soucieux pour les expositions à venir : multiplication possible des formalités, œuvres fragiles pouvant se trouver bloquées dans les transports, frilosité des prêteurs étrangers... Seules les maisons de ventes internationales comme Christie’s ou Sotheby’s sont habituées à jongler avec les aléas politiques, économiques, juridiques, en arbitrant entre leurs différentes places de marché.
Si l’impact exact du Brexit est difficile à évaluer, une majorité de voix s’élèvent néanmoins pour prédire des retombées positives sur le marché de l’art français. « Je pense vraiment que Paris en profitera après le Brexit », soulignait Thaddeus Ropac à la tête de galeries en France, en Autriche et en Angleterre lors de l’Art Business Conference en septembre. « Le Brexit représente une opportunité pour Paris : déjà plusieurs galeries de premier plan au niveau international l’ont choisi comme capitale en Europe, car Paris peut compter sur une offre artistique sans pareil avec le Louvre, Pompidou, Orsay, le Musée d’art moderne de Paris, les fondations privées telles que LVMH et bientôt la Collection Pinault », renchérit Francesca Piccolboni. Nathalie Obadia va plus loin : « Le Brexit n’est à mon sens qu’un prétexte à l’arrivée à Paris de galeries internationales. La réalité est que Paris a reconquis une position incontournable depuis trois ou quatre ans. D’autant que sur les quatre grandes places du marché de l’art (New York, Hong Kong, Londres et Paris), deux sont instables. » Et de rappeler que la galerie américaine Pace, qui avait fermé à Paris pour ouvrir à Genève, revient aujourd’hui dans la capitale française. White Cube, qui y avait un bureau, va s’adjoindre un showroom. « C’est la course à l’échalote, dès qu’une méga-galerie s’installe, les autres suivent », ajoute-t-elle. La chercheuse Nathalie Moureau partage ce point de vue. « Le Brexit à lui seul n’aurait rien fait. Certes, les facteurs réglementaires ne sont pas neutres, mais ils ne sont pas assez importants pour contrebalancer, du moins à court et moyen terme, la force des acteurs installés. En revanche, la conjonction du Brexit, de la renaissance de Paris et des anticipations de gros acteurs qui saisissent l’occasion pour entamer des mouvements spectaculaires, relayés par les médias, peuvent réellement avoir un impact. »
Car l’implantation de ces gros acteurs génère des signaux pour toute la profession. Pour Georges-Philippe Vallois, président du Comité professionnel des galeries d’art, cela montre bien que Paris rentre dans le cercle des métropoles à enjeu majeur pour le marché de l’art : en témoigne la volonté des grandes galeries d’y contrôler la production de leurs artistes les plus rémunérateurs. « Être en position hégémonique leur garantit un résultat financier supérieur, plutôt que de partager les commissions avec des galeristes représentant leurs plasticiens à l’étranger. Or une exposition à Paris continue de faire rêver nombre d’artistes », analyse-t-il. Pour lui, nul doute, « le marché français devrait croître et ces arrivées motiver davantage de collectionneurs à venir dans la capitale, alors que Londres était jusqu’à présent leur principale destination ». Avec le risque, selon Nathalie Moureau, que s’accélère la concentration du secteur déjà observée depuis plusieurs années.
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Brexit, quel impact pour Paris ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Brexit, quel impact pour Paris ?