BEYROUTH / LIBAN
BEYROUTH - C’est un autre objet. En une époque où même les foires de qualité tendent à s’uniformiser inexorablement en attirant les mêmes galeries exposant peu ou prou les mêmes artistes, l’initiative de la Beirut Art Fair, destinée à promouvoir la scène régionale, constitue une bouffée d’oxygène si ce n’est une singularité salutaire.
Une région que les organisateurs de la manifestation entendent dans son acception élargie, la capitale libanaise étant située au cœur de la vaste région « MENASA » (Moyen-Orient, Afrique du Nord, Asie du Sud), même si, parmi les quarante galeries participantes cette année, la plupart sont basées au Moyen-Orient. Dix-huit sont en effet établies au Liban, trois en Syrie voisine et quelques autres à Dubaï, en Iran, en Irak, au Pakistan et en Arabie saoudite notamment. Quelques européennes font le voyage, qui, possédant plus que des accointances avec l’art moyen-oriental, en ont fait l’essentiel de leur activité, telles Sophie Lanoë (Paris) ou Sabrina Amrani (Madrid).
S’il est difficile, faute d’avoir visité le salon, de juger précisément de sa qualité effective, un séjour à Beyrouth permet de prendre la mesure tant de la fertilité du terreau local que des enjeux artistiques, économiques ou sociétaux portés par une telle entreprise. En premier lieu parce que le Liban n’est pas un terrain neutre. Historiquement véritable « hub » culturel du Moyen-Orient où se sont bâties d’importantes collections, il a donné naissance à de nombreux créateurs de renom – non seulement des artistes mais aussi des architectes ou des designers – tout en étant resté très perméable à la création régionale. La peinture syrienne en particulier, mais aussi des artistes iraniens et irakiens, trouvent là des débouchés chez de nombreux galeristes ayant une belle visibilité. Une foire, dénommée « Artuel », la première de tout le monde arabe, y avait d’ailleurs été lancée en 1998 par Laure d’Hauteville, repartie à l’assaut avec la création de « Beirut Art Fair » en 2010. La précédente avait cessé ses activités en 2005, l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ayant rendu le terrain trop instable durant quelques années.
Importance du privé
S’il n’est pas aisé d’estimer le nombre d’acquéreurs attirés par l’art moderne et contemporain dans une région où les grosses fortunes ne manquent pas, il est notable que la constitution d’un comité de collectionneurs établi par la foire regroupe aujourd’hui une centaine de membres, dont environ quatre-vingts Libanais. Vu de l’extérieur on ne s’y trompe pas non plus, les antennes londonienne et dubaïote de Christie’s ayant annoncé leur intention de venir visiter le salon avec un groupe d’amateurs.
En outre, dans un pays n’étant doté d’aucun musée d’art contemporain, la connaissance passe nécessairement par les initiatives privées. Des lieux d’exposition tels le Beirut Exhibition Center et le Beirut Art Center. Des collectionneurs privés également, même si au Liban la discrétion est le plus souvent de mise. Certains parient toutefois sur la visibilité, telle la K.A. Collection, association de deux passionnés mutualisant leurs ressources afin d’augmenter leur capacité d’acquisition. Dans un immense appartement inhabité, le duo déploie une partie de ses trésors dans le désir manifeste « d’organiser des événements afin d’attirer progressivement des publics n’allant pas voir d’expositions et de les sensibiliser à l’art ». Solide et particulièrement versé dans la peinture, leur accrochage comprend autant de pièces de Paul Guiragossian, Hussein Madi et Saliba Douaihy que de Jean Dubuffet et d’André Lanskoy. Il présente aussi le remarquable Jamil Molaeb au style perpétuellement changeant.
Beyrouth est également porteuse d’un bon réseau de galeries. Des historiques, telles Épreuves d’artistes – l’unique enseigne demeurée ouverte pendant les quinze années de guerre, déménageant au gré des bombardements – ou Janine Rubeiz. Initialement fondée en 1967 sur l’idée d’une maison de la culture pluridisciplinaire ouverte sur le monde, celle-ci s’est muée en une galerie dirigée par sa fille, Nadine Begdache, qui aujourd’hui encore défend, aux côtés de la jeune création, des noms prisés tels Aref El Rayess, Shafic Abboud ou Huguette Caland. Des galeries contemporaines affichent aussi des talents confirmés ou au devenir prometteur, à l’instar de Sfeir-Semler, la plus connue à l’international, mais aussi la Aggial Art Gallery, très portée sur les artistes défendant une pratique manuelle, ou la Ayyam Gallery, fondée à Damas et représentant un grand nombre d’artistes syriens tels Safwan Dahoul ou Walid El Masri.
D’une génération à l’autre
Au-delà de la reconnaissance d’une forte génération d’artistes ayant éclos dans les années 1960 et 1970, Beirut Art Fair affirme une continuité créative déjà remarquée à l’international avec une jeune génération qui n’est pas en reste. Certes, une partie des très prometteurs ou déjà confirmés est partie vivre à l’étranger, à l’instar de Ziad Antar, Walid Raad, Khalil Joreige & Joana Hadjithomas, Mounira Al Solh ou Rayyane Tabet. Mais d’autres sont toujours là, parmi lesquels la jeune Daniele Genadry, Walid Sadek – que l’on peut voir à Paris dans la « Triennale » –, le vidéaste Akram Zaatari ou la jeune photographe Lara Atallah. Citons encore Abdulrahman Katanani, artiste d’origine palestinienne dont les compositions faites de tôle ondulée et de fil de fer barbelé ont déjà convaincu des collectionneurs tel Charles Saatchi. Autant d’artistes qui souvent allient finement à des consonances politiques un grand sens poétique. On n’échappe pas à son histoire !
- Directrice : Laure d’Hauteville
- Directeur artistique : Pascal Odille
- Nombre d’exposants : 40
BEIRUT ART FAIR, du 5 au 8 juillet
Beirut International Exhibition Center, Downtown, Beyrouth, du 6 au 8 juillet, 15h-21h, www.beirut-art-fair.com, tél (961) 1 99 55 55.
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Beyrouth, « hub » artistique du Moyen-Orient
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Abonnez-vous dès 1 €Reda Abdel Rahman Les Anges de la révolution (2011) - Huile sur toile - 290 x 250 cm - Courtesy Galerie Sophie Lanoë - Paris
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Beyrouth, « hub » artistique du Moyen-Orient