CHEVERNY [07.06.13] - L’étude Rouillac met en vente au cours de sa traditionnelle vacation, un coffre en laque ayant appartenu au Cardinal Mazarin (mis à prix 200 000 euros). Aymeric Rouillac raconte ici l’histoire de l’étude et porte un jugement sans concession sur sa profession.
Pourquoi organiser des ventes à Cheverny ?
En 1988, mon père dirigeait une vente pour la restauration de la statue de la Liberté, dans le château de Chambord. La vente marche très bien. La marquise de Brantes vient alors le voir et lui dit « c’est formidable ce que vous faites mais pourquoi vous le faites dans un château public, vous devriez faire ça dans un château privé, on se donne beaucoup de mal pour faire vivre nos châteaux. Mais vous avez tout à fait raison Madame, ouvrez-moi un château privé !». C’est comme ça qu’est née l’idée de faire une vente à Cheverny, sous les bons auspices de la gentry du Val de Loir, la marquise de Brantes, le Vicomte de Sigalas, le marquis de Vibraye… Mon père a trouvé l’idée astucieuse : un cadre bien plus porteur pour une vente aux enchères spécialisée avec des objets prestigieux plutôt qu’un simple hôtel de ventes.
Cheverny est dans la même famille (Hurault de Vibraye) depuis sa construction au XVIIe. Celle-ci habite encore une partie du domaine. C’est le premier château à avoir été ouvert au public en 1922 car ses propriétaires ont compris très tôt la nécessité d’ouvrir au public pour pouvoir partager le patrimoine hérité pour le transmettre aux générations futures. Donc naturellement, ça c’est fait à Cheverny. Tout le monde lui a dit « ça va te coûter beaucoup d’argent, tu feras ça une fois et tu ne recommenceras pas ! ». Or cette année, c’est la 25e ! Tous les ans c’est un vrai défi, il faut trouver les objets à chaque fois plus extraordinaires les uns que les autres pour attirer l’attention et tous les ans, Cheverny est la vente la plus importante en province, donc c’est un signe.
Avez-vous défini des spécialités ?
On ne s’est pas enfermé dans une spécialité, dans toutes les catégories, nous avons des résultats très importants. Nous avons battu le record du monde pour une photographie ancienne, il y a 2 ans à Vendôme. L’année dernière, nous vendions un tableau de van Dongen 1,2 million d’euros à Cheverny. En 2011, nous vendions un mannequin étrusque du IIe siècle av J.-C. au musée du Louvre, il y a 3 ans, c’était des wagons de train de l’Orient Express. On préfère vendre un petit nombre d’objets mais les sélectionner drastiquement. Il faut que ce soit une histoire qui nous parle, une provenance, une anecdote. On choisit nos clients, il n’y a pas de marchands qui vendent chez nous. La plupart des ventes se font sans prix de réserve avec des prix attractifs, c’est pour ça aussi que ça marche.
Quelle est la plus belle enchère de l’étude ?
C’est le portrait de Georges Washington par Charles Willson Peale, acquis par la Maison Blanche en 2002 pour 4,4 millions d’euros (prix au marteau). C’est un tableau historique offert par Georges Washington au Maréchal de Rochambeau, le commandant du corps expéditionnaire français pendant la guerre d’Indépendance des Etats-Unis. Pendant longtemps, cette enchère est restée la plus belle enchère française en euros.
Qu’est ce qui définit le mieux votre étude ?
« Small is beautiful ». On est une toute petite maison de ventes, 7 personnes en tout, qui se donnent sans compter pour ses clients et ses objets. On a une exposition médiatique qui est sans commune mesure par rapport à notre taille. C’est une « success story » comme les gens les aiment.
Comment se présente votre 25e vente dans l’orangerie du château de Cheverny le 9 et 10 juin ?
L’estimation globale est de 2 à 2,5 millions d’euros pour 390 lots, beaucoup trop selon moi, beaucoup plus de lots que les années précédentes. On s’est mal débrouillé. On voulait faire une vente avec 25 lots, ce qui aurait été légitime mais nos clients sont contents de voir leurs objets dans le catalogue de la vente de Cheverny. Les lots phares sont un ensemble de 37 sculptures d’Alfred Janniot (1889-1969), l’enfant chéri des commandes publiques dans les années 30, il a conçu la façade du Palais de Tokyo, la porte de la Maison de la France au Rockefeller Center de New York… Ces sculptures, 15 tonnes de pierre qui sont déplacées à Cheverny pour l’occasion, proviennent de la Thébaïde (Val-d'Oise), propriété dans laquelle Janniot se réfugie après que son atelier ait été soufflé par les bombes. Durant la guerre, l’artiste installe son atelier dans le parc et imagine seul la décoration de la maison et du jardin. C’est l’ensemble Art Déco encore en main privée le plus important sur le marché. Les estimations s’échelonnent entre 5 000 et 100 000 euros, comme par exemple, Les Trois Grâces, en bronze (est.80 à 100 000 euros). Nous avons beaucoup d’intérêt sur ce lot et notamment de la part des Etats-Unis. Et puis il y a la surprise de l’année pour le marché de l’art, le coffre en laque japonais or du Cardinal Mazarin, le plus beau et le plus grand meuble laqué conservé sur terre. Construit dans les ateliers de l’Empereur du Japon vers 1640 et acheté par le Cardinal en 1658 à la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, il avait disparu pendant la seconde guerre mondiale et était activement recherché par les plus grands musées d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Nous l’avons retrouvé et identifié en Val de Loire… Il avait été transformé en bar. Mis à prix 200.000 € (sans réserve), il est « la Joconde » du mobilier asiatique.
Comment se porte l’étude ?
C’est très excitant tout ce qui se passe. Il y a beaucoup de choses à faire, en permanence. C’est un marché en plein dynamisme avec une concentration sur les œuvres de qualité. Je sais que mes confrères tirent la langue. Notre étude a progressé de 23% entre 2011 et 2012 (1,6 million d’euros) et de 30% entre 2010 et 2011, quand la hausse moyenne nationale des ventes volontaires est de 8,6%. Donc je suis mal placé pour parler de crise. Quand on voit comment Drouot travaille, on profite de tout ce qu’il fait et qu’il ne devrait pas faire, comme par exemple, fermer Drouot Montaigne, l’emblème de l’excellence parisienne. La Gazette Drouot a refusé la une de son magazine pour le coffre alors que des conservateurs et des collectionneurs du monde entier viennent le voir ! Tout ça à cause d’une jalousie, d’une guerre entre Paris et la province. Il y a une mentalité d’officier ministériel qui prédomine encore. Aujourd’hui, la Gazette est verrouillée par ses actionnaires qui sont des commissaires-priseurs parisiens. Je n’ai pas le statut de CP judiciaire et je ne le veux pas, on ne peut pas liquider une charcuterie et vendre des frigidaires une fois par semaine et être compétitif pour vendre des objets de qualité. Quoiqu’il en soit, ceux qui se plaignent sont peut-être ceux qui se mettent le moins en danger.
Qui sont vos clients ?
Du côté des vendeurs, c’est à 80 % des familles de la région dans un périmètre de 250 à 300 km, des parisiens et des collectionneurs qui sont très nettement en dehors de notre sphère d’attractivité mais qui ont entendu parler de nous et qui ne veulent traiter qu’avec nous. L’année dernière, la collection de René Clément venait de Monaco.
Comment envisagez-vous l’évolution de votre métier ?
Avec un grand point d’interrogation. On vit dans un pays qui est sclérosé avec une fiscalité qui est déprimante aussi bien pour les acheteurs que pour les vendeurs et que pour nous. Le plus grand gagnant dans les ventes publiques, c’est l’Etat. Les ventes publiques représentent 15% du marché de l’art en France, c’est rien alors qu’on est contrôlé en permanence avec un bras de fer continu avec certains conservateurs. Et puis beaucoup de collectionneurs dynamiques et attractifs nous proposent de faire des choses à l’étranger. Est-ce que ça vaut le coup de se battre pour la France, un pays en perte de vitesse avec des corps imposés qui brident une bonne partie de l’initiative et de l’énergie ? Je n’ai pas de réponse pour l’instant.
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Aymeric Rouillac : « nous avons retrouvé le coffre de Mazarin »
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Abonnez-vous dès 1 €Important COFFRE en laque décor au du dit du Genji et du dit des Frères Soga. Incrustations de nacre, hiramaki-e et takamaki-e d'or, d'argent. Incrustation d'or, d'argent et alliage shibuichi. Japon, période Edo, vers 1640. Hauteur 63,5 Longueur 144,5 Profondeur 73 cm. (couvercle fendu). Clef en acier, Long 11,5 cm. Socle en bois doré. Haut. 16 Long. 153 Prof. 83 cm. Dimensions hors tout : Haut. 79,5 Long. 153 Prof. 83 cm. Estimation : 200 000 € - Vente du 9 juin 2013 à 14h - Château de Cheverny - Etude Rouillac