LE BOURGET
Présentés chez Gagosian, les nouveaux et monumentaux tableaux-paysages du très francophile artiste allemand agglomèrent évocations historiques, matière végétale et matériaux industriels, un choix d’éléments aux riches résonances symboliques.
Le Bourget (Seine-Saint-Denis). Lors de l’inauguration de leurs galeries « XXL » à l’automne 2012, Thaddaeus Ropac et Larry Gagosian justifiaient leurs initiatives, respectivement à Pantin et au Bourget (aéroport de jets privés), en disant vouloir éviter que leurs artistes stars ne leur préfèrent leurs concurrents ; ils emménageaient donc dans de nouveaux et vastes espaces afin de leur ouvrir des perspectives et leur permettre de travailler en grand. Ce n’est pas l’actuelle exposition d’Anselm Kiefer chez Gagosian au Bourget qui leur donnera tort puisque l’artiste (né en 1945 à Donaueschingen en Allemagne et installé en France depuis le début des années 1990) fait ici une démonstration colossale et magistrale de ce que peut vouloir dire peindre à grande échelle : les quatre immenses toiles accrochées dans l’espace central et qui constituent le cœur de l’exposition ne mesurent en effet pas moins de 4,70 x 8,40 m (et pèsent quelque 450 kg). Monumental ! Au point que les sept autres tableaux, présentés dans les salles adjacentes et sur la mezzanine, semblent presque petits alors que leurs dimensions, 3,80 x 2,80 m, ne leur permettraient pas de rentrer dans bon nombre d’autres galeries. Sans parler des livres présentés sous vitrine. Lorsqu’on le questionne sur la taille de ces œuvres, l’artiste, qui pour un peu en paraîtrait étonné, répond : « Mais ils ne sont pas si grands ! Pour moi ce sont des tableaux moyens. Lorsque j’ai fait mon exposition en 2007 au Musée Guggenheim à Bilbao, il y avait un endroit que je n’aimais pas, alors je l’ai masqué avec un tableau de 15 m. Au Louvre aussi, la même année, j’ai installé un grand format dans l’escalier. En réalité, cela me correspond : pour moi travailler, c’est une danse, mon travail est très physique. »
On a d’ailleurs souvent dit d’Anselm Kiefer qu’il ne faisait pas dans la dentelle, mais là ce sont carrément des haches et des faucilles qu’il vient coller à la surface de ces tableaux-paysages. Ceux-ci évoquent des champs et des chemins quasiment à l’échelle humaine et donnent au visiteur l’impression de pouvoir les emprunter et de rentrer dans les tableaux, et ce d’autant plus qu’ils sont volontairement accrochés assez bas.
Des paysages entre chaos et harmonie, entre désolation et splendeur, ciel noir et ciel doré, entre faucille et hache, guerre et paix, entre champ de bataille et champ de blé renaissant, ces réels et touffus épis que Kiefer a récupérés et collés sur la toile après les avoir gardés dans son atelier depuis la série « Morgenthau Plan » – une série qui avait inauguré ce même lieu en 2012. Il conjugue ici ces épis à des branches de bois, des racines, du métal rouillé, de la paille, de la boue, des agglomérats de peinture, des feuilles d’or en grand nombre… « L’or est un matériau que j’utilise beaucoup. Il est le rêve des alchimistes et relève de cette tradition romantique selon laquelle ce qui est possible est plus réel que ce que l’on a vraiment. »
On ne fera pas l’inventaire des différentes matières qui composent et donnent un relief aux tableaux tant ceux-ci sont complexes, chargés et lourds… de sens. « Field of the Cloth of Gold », le titre de l’exposition, renvoie en effet au sommet de paix historique entre les rois Henri VIII et François Ier signé il y a cinq cents ans au milieu d’un champ dans le nord de la France. L’un des tableaux, titré Sichelschnitt (Coupe à la faucille) fait lui référence au fameux « plan Jaune », aussi appelé « plan coup de faucille » qui, appliqué en mai 1940 par les Allemands, leur a permis de traverser la France de Sedan à Abbeville en leurrant et isolant les forces alliées.
Comme toujours chez Kiefer on retrouve ici, intelligemment imbriquées, de nombreuses références littéraires, mythologiques, kabbalistiques. Et, bien sûr, historiques : « J’aime beaucoup me référer à l’Histoire car elle est omniprésente et se répète en permanence. L’alliance du “Drap d’or”, de ce “Cloth of Gold” entre l’Angleterre et la France a, en son temps, façonné l’Europe qui, aujourd’hui coincée entre la Chine et l’Amérique, a tout autant besoin de se souder. » De même les évocations de la guerre sont-elles toujours au premier plan. Et lorsqu’on lui demande d’où vient cette présence récurrente dans son œuvre, la réponse fuse comme une roquette : « Parce que je crois que ça ne finit jamais. Les hommes sont mal construits et ont toujours besoin de la guerre. Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement dans le monde. »
Entre 200 000 euros pour les livres et autour de 1 million d’euros pour les plus grands tableaux, les prix sont eux aussi de grande taille. Mais, rapportés au format, à l’importance de l’artiste et à sa prestigieuse carrière, on aurait presque envie de dire qu’ils ne sont pas démesurés. Et puis restons lucides : les œuvres ne sont pas destinés à des petits appartements bas de plafond.
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Anselm Kiefer épris de blé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°561 du 19 février 2021, avec le titre suivant : Anselm Kiefer épris de blé