Ventes aux enchères

2019 : la consécration des maîtres anciens

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 31 décembre 2019 - 1075 mots

FRANCE

Avec 42,1 millions d’euros recueillis en six enchères, la peinture ancienne a fait des étincelles ce semestre, malgré des ventes à Londres en demi-teinte.

Cimabue, Le Christ moqué (détail), 1280, 25,8 cm sur 20,3 cm, peinture à l'œuf et fond d'or sur panneau de peuplier
Cimabue, La Dérision du Christ ou Le Christ moqué (détail), 1280, 25,8 cm sur 20,3 cm, peinture à l'œuf et fond d'or sur panneau de peuplier.
Photo Wikimedia

Depuis la vente du Salvator Mundi de Léonard de Vinci pour 450 millions de dollars (382 M€) chez Christie’s New York en novembre 2017, la peinture ancienne se réveille. « Elle sort de trente ans de galère. Depuis tout ce temps, nous, experts, nous crions à qui veut bien l’entendre qu’elle est sous-cotée, qu’il faut acheter. Enfin les gens commencent à s’y mettre. Il y a donc un net coup de fouet donné par de très grosses enchères », lance l’expert Éric Turquin. Et d’ajouter : « Avant, nous réalisions 5 000 à 6 000 expertises par an. Maintenant, c’est plus de 12 000 ! »

Et il semble bien que la catégorie se soit emballée en France en cette fin d’année, avec six enchères hors norme cumulant plus de 42 millions d’euros, sans compter le présumé Caravage qui a finalement fait l’objet d’une vente privée en juin.

C’est à Senlis (Oise) que les enchères ont fait exploser les compteurs : le 27 octobre, le groupe Acteon a adjugé pour 24,2 millions d’euros frais compris le Christ moqué du peintre italien Cimabue (vers 1240-1302), retrouvé dans une maison près de Compiègne. Estimé 4 à 6 millions d’euros, il est devenu le tableau primitif le plus cher du monde et la 8e peinture ancienne la plus élevée aux enchères. Il a été acquis par le couple de milliardaires chiliens Álvaro Saieh Bendeck et Ana Guzmán Ahnfelt, dont la collection Alana est exposée jusqu’au 20 janvier 2020 au Musée Jacquemart-André à Paris.

Une belle série

Deux semaines plus tard, Artcurial vendait une Lucrèce d’Artemisia Gentileschi peinte dans les années 1630, pour 4,8 millions d’euros (estimation 600 000 à 800 000 €), un record mondial pour l’artiste femme, venant détrôner une Sainte Catherine d’Alexandrie adjugée 2,3 millions d’euros en 2017 à Drouot chez Christophe Joron-Derem.

Puis c’est à Drouot que les succès se sont enchaînés : le 14 novembre, Aguttes cédait une Vierge à l’Enfant avec saint Georges et un ange musicien, de Bernardino Luini, un des élèves les plus proches de Léonard de Vinci. Adjugé 2,3 millions d’euros, le tableau est un record pour l’artiste du XVe siècle italien. Le vendeur a fait une belle plus-value puisqu’il avait acquis l’œuvre en juillet 2017 pour 200 000 euros chez Christie’s à Londres. Dans une gamme de prix moindre, le lendemain, c’est une allégorie du Toucher par Michael Sweerts qui a été emportée pour 663 520 euros, troisième prix le plus élevé aux enchères pour l’artiste, chez Mirabaud-Mercier. Christie’s a alors pris le relais : un Portrait de Mozart à l’âge de 13 ans à Vérone, 1770, attribué à Giambettino Cignaroli, a été adjugé 4 millions d’euros (est. 800 000 € à 1,2 M€), un record pour un portrait du musicien aux enchères, d’autant qu’il s’agissait d’un des rares à avoir été peint de son vivant et encore en mains privées. Cette course folle s’est achevée en beauté le 30 novembre à Dijon chez Cortot et associés où un panneau de dévotion figurant La Vierge et l’Enfant en trône, peint vers 1350 par le Maître de Vyssi Brod (expertisé une fois encore par le cabinet Turquin, à l’instar du Caravage, du Cimabue et du Sweerts), s’est vendu 6,2 millions d’euros (est.400 000 à 600 000€). L’œuvre de ce peintre anonyme a été acquise par la galerie Benappi Fine Art pour le compte du Metropolitan Museum of Art de New York.

Pourquoi de tels prix ? Trois facteurs cumulés expliquent cet engouement pour la peinture ancienne, même si 2019 pourrait faire figure d’exception. D’abord, cet élan est alimenté par les collectionneurs d’art contemporain. « Ils ont été habitués à prendre des risques. Et puis aujourd’hui, les prix en art contemporain se sont tellement envolés qu’ils n’arrivent plus à suivre. En art ancien, avec 20 000 euros, on peut acheter un tableau de musée, ce qui n’est pas le cas en art contemporain », explique Éric Turquin. Ensuite, la force de frappe d’Internet n’est pas étrangère à ce retour en grâce. « Internet démultiplie la publicité et donc la visibilité. Par ailleurs, Internet décomplexe les timides qui avant n’auraient jamais osé se renseigner sur un tableau et encore moins enchérir », estime l’expert. Enfin, un cercle vertueux s’est formé, les bons prix faisant sortir les tableaux.
 

Cimabue, La Dérision du Christ ou Le Christ moqué (détail), 1280, 25,8 cm sur 20,3 cm, peinture à l'œuf et fond d'or sur panneau de peuplier
Cimabue, La Dérision du Christ ou Le Christ moqué, 1280, 25,8 cm sur 20,3 cm, peinture à l'œuf et fond d'or sur panneau de peuplier
Photo Wikimedia

Ventes de Londres : un marché en baisse mais qui reste soutenu  

Art ancien. Pour leurs ventes du soir organisées au cours de la première semaine de décembre, Christie’s et Sotheby’s ont récolté 38,4 millions de livres sterling (45,6 M€), un total en baisse de 25 % par rapport à l’an passé, certes, mais qui ne signifie pas que le marché est moins fort. « Les ventes n’étaient pas de grande qualité, mais les maisons s’en sont bien tirées. La différence s’est faite sur deux ou trois tableaux, mais en aucun cas on ne peut en conclure qu’il y a un ralentissement du marché. Les acheteurs, dont les marchands, étaient actifs et de nombreuses œuvres ont dépassé leurs estimations », a commenté l’expert Nicolas Joly. Christie’s a totalisé 24 millions de livres (28,7 M€), un montant au-delà de son estimation haute et en hausse par rapport à l’an passé (20,8 M£), hors collection Éric Albada Jelgersma. Pas moins de 86 % des lots ont trouvé preneur, soit le pourcentage le plus élevé dans la catégorie à Londres. C’est l’artiste siennois du XVe siècle Giovanni di Paolo qui a reçu tous les honneurs : ses deux panneaux de prédelle, Sainte Claire sauvant les naufragés et L’Investiture de sainte Claire par saint François– récemment restitués aux héritiers de Harry Fuld (1879-1921) – ont atteint respectivement 5,3 et 3,6 millions de livres, deux records pour le peintre qui n’avait jusqu’alors jamais dépassé les 250 000 livres sterling aux enchères. De son côté, Sotheby’s, qui mise davantage sur ses ventes de janvier à New York, a engrangé 14 millions de livres sterling (16,8 M€), soit moitié moins que l’an passé (30 M£). Il faut dire qu’elle n’a adjugé que trois enchères millionnaires contre sept en décembre 2018 (parmi lesquelles une étude de tête par Rembrandt vendue 9,4 M£). Et si elle a réussi à céder son Poussin Le Baptême du Christ pour 1,8 million de livres, ainsi qu’un Portrait de Jacopo Da Trezzo, XVIe siècle, d’Anthonis Mor, emporté pour 1,9 million de livres, elle n’a en revanche pas vendu le Christ sur la croix de Zurbarán.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : 2019 : la consécration des maîtres anciens

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