Royaume-Uni - Ventes aux enchères

VENTES PUBLIQUES

Peinture ancienne : le marché se replie

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2024 - 974 mots

Les ventes londoniennes de Christie’s et Sotheby’s ont été médiocres, pénalisées par une offre peu qualitative, à l’instar de ce qui se passe sur le marché depuis quelque temps.

Londres. Début décembre, Christie’s et Sotheby’s organisaient à Londres leur deuxième et dernière vente du soir en tableaux anciens. Avec un total cumulé de 38 millions de livres frais compris (45,8 M€) contre 38,4 millions de livres en 2019 avant Covid, les résultats sont au-delà des estimations, mais baissent de 8 % par rapport à 2023 (et de 17 % par rapport à 2022). « Les maisons de ventes s’en sont plutôt bien sorties avec ce qu’elles avaient. Les ventes étaient réduites à peau de chagrin : 25 lots pour une vente du soir, c’est du jamais-vu. Les maisons ont eu du mal à trouver des œuvres – très compliqué de convaincre les vendeurs – et incluent désormais dans ces ventes de la peinture anglaise, des tableaux de la fin du XIXe siècle et même des lots qui, il y a encore quinze ans, auraient été mis dans la vente du jour », analyse l’expert en tableaux et dessins anciens Nicolas Joly.

Christie’s a totalisé 13,9 millions de livres (16,7 M€), un montant au-dessus de son estimation haute avec 20 lots qui ont trouvé preneur sur 26, parmi lesquels Cheval andalou (recto, [voir ill.]) et Paysage boisé (verso), d’Antoine van Dyck (2,8 M£ ; 3,3 M€). En partie grâce à une Vierge à l’Enfant de Botticelli [voir ill.] adjugée presque 10 millions (12 M€), Sotheby’s devance sa concurrente avec un total de 24,1 millions de livres (29,1 M€), au-dessus de son estimation haute.

Un manque d’offre général

« Aux États-Unis, il y a un mouvement de concentration des fortunes, qui est malsain, c’est-à-dire que les riches sont de moins en moins nombreux mais de plus en plus riches, observe l’expert Éric Turquin. Cela se traduit par une hausse considérable du prix des œuvres importantes, et à l’inverse, par une désaffection des pièces “moyennes”. Aussi, les tableaux valant entre 20 000 et 200 000 euros souffrent. »

En France, le marché pâtit également d’un manque d’offre. « Ces cinq dernières années, il y a eu des découvertes extraordinaires qu’on ne pensait même pas possibles. Or cette année, il n’y a pas eu de grandes découvertes et nous sommes revenus à des années normales. En d’autres termes, le marché est stable ; il a cessé de monter car on a cessé de faire des découvertes, souligne Éric Turquin. Par ailleurs, il y a un phénomène d’assèchement du marché : sur cinq tableaux de plus de 200 000 euros que je vends, il y en a quatre qui, cinq ans plus tard, sont dans un musée. »

Matthieu Fournier, à la tête du département Maîtres anciens et du XIXe siècle d’Artcurial, fait le même constat : « Le marché est stable. Nous avons eu de bonnes années en 2020, 2021 et 2022. En 2023, c’était déjà un peu plus difficile et cette année, ça l’est davantage. » La maison enregistre 13,5 millions d’euros cumulés pour 2024, contre 19,5 millions en 2023 et même 48,3 en 2022 qui comprenait le Panier de fraises, de Siméon Chardin (24,4 M€). La raison de cette baisse ? « En France, le contexte politique est hallucinant. Il n’y a pas de climat de confiance, donc, en toute logique, les vendeurs ne sortent pas leurs tableaux et les chiffres en pâtissent, explique-t-il.Pourtant les clients qui ont de l’argent ont envie de le dépenser. Mais celui qui achète un tableau à 20 000 euros sait qu’il va se prendre un coup de matraque au niveau des impôts. Nous avons quand même une fiscalité qui est confiscatoire en France. Aussi, 80 % de nos acheteurs sont étrangers. »

Les prix des tableaux d’artistes femmes telles Artemisia Gentileschi, Élisabeth Vigée Le Brun, Anne Vallayer-Coster ou Adélaïde Labille-Guiard continuent à croître. Une nature morte de Clara Peeters (1594-1636) a fait sensation chez Christie’s Londres ; proposée 100 000 à 150 000 livres, elle en a atteint 650 000 (783 600€). L’intérêt est grand aussi pour les tableaux avec figures, les portraits français du XVIIIe siècle, la Renaissance italienne, et les œuvres caravagesques : un tableau de Hendrick ter Brugghen, daté vers 1627, a été adjugé 1,4 million d’euros chez Ivoire Saint-Étienne le 5 décembre (estimé 300 000 € par René Millet). « Les sujets un peu étranges et les tableaux inédits ou même une œuvre un peu commerciale comme Bethsabée[au bain] de Francesco Hayez, vendue 1,5 million de livres [1,8 M€] chez Christie’s, fonctionnent », a constaté Nicolas Joly.

Si le marché est à la peine, les expositions d’art ancien sont toujours bien accueillies – n’est qu’à voir le succès de l’exposition « Ribera » (jusqu’au 23 février 2025) au Petit Palais et celle des « Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse » (jusqu’au 9 février) au Musée Jacquemart-André.

Collection Giordano, 59 % d’invendus  


Paris. Avec un total de 9,5 millions d’euros, la vente les 26 et 27 novembre d’une partie de la collection du propriétaire viticole italien Gianni Giordano chez Sotheby’s n’a pas atteint son estimation de départ, fixée entre 12 et 15 millions d’euros. Garnissant sa villa du Piémont, cet ensemble de 151 lots – dont 62 ont trouvé preneur – était essentiellement composé d’arts décoratifs italiens du XVIIIe siècle. Une plaque en pietra dura représentant le port de Livourne, par l’atelier grand-ducal de Florence, d’après un dessin de Giuseppe Zocchi, a emporté l’enchère la plus élevée, soit 1,4 million d’euros. La collection comportait également un ensemble de peintures européennes du XVIIIe, soient 22 tableaux dont 9 sont restés sur le carreau. « Sans doute, les estimations trop élevées notamment pour les tableaux, et le fait que les objets avaient été achetés il y a peu et étaient connus du marché a joué », a relevé un connaisseur. « Trop rutilants », ont argué plusieurs acteurs du marché. La seconde partie de la collection sera dispersée à Milan en 2025.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : Peinture ancienne : le marché se replie

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