Financé par sa veuve, le lieu dédié au père de Tintin à Louvain-la-Neuve oublie l’une des composantes majeures d’un musée : la médiation.
Plus de vingt ans après sa mort, Hergé (1907-1983), de son vrai nom Georges Remi, a enfin son monument en Belgique. Car, malgré ses couleurs vives et ses formes ludiques, le bâtiment construit par l’architecte français Christian de Portzamparc, qui a ouvert ses portes au public le 2 juin à Louvain-la-Neuve, tient plus du mausolée que du véritable musée. Non pas que le ton soit hagiographique, mais plutôt parce qu’il a négligé son public : le visiteur, affublé d’un gadget informatique (un ordinateur de poche), y trouvera peu de panneaux informatifs, y compris biographiques, et des cartels minuscules. Quant aux enfants, ils n’auront qu’à bien se tenir, aucun dispositif spécifique n’ayant été pensé pour eux... Un oubli qui s’explique en grande partie par les circonstances de la création de ce nouvel établissement qui aura connu, comme tant d’autres projets de cette envergure, de multiples atermoiements. L’initiative est en effet née de la volonté de Fanny Rodwell, la seconde épouse d’Hergé, détentrice de tous les droits sur son œuvre, de dédier un lieu à la mémoire de son défunt mari. « À celui qui lui a permis de devenir riche », note un fin connaisseur des rouages du « business » Hergé.
Fanny, qui s’appelle alors Vlamynck, entre dans la vie d’Hergé à la fin des années 1950. Âgée d’une vingtaine d’années, la séduisante jeune femme est embauchée comme coloriste au sein des studios. Frappé du « démon de midi », Hergé ne tarde pas à succomber à ses charmes. Il quitte sa femme Germaine (décédée en 1995), qui ne se remettra jamais vraiment de la rupture. Le divorce est prononcé tardivement et Hergé ne peut épouser Fanny qu’en 1977. Il meurt quelques années après d’une leucémie et, n’ayant jamais eu d’enfants, fait de sa seconde épouse sa seule légataire. Plus tard, c’est au tour de la veuve Hergé de céder aux charmes de la jeunesse : elle épouse le jeune distributeur de la marque Hergé pour le Royaume-Uni, créateur de la première boutique de produits dérivés, le Britannique Nick Rodwell. Le couple, désormais multimillionnaire, s’attache depuis à gérer le lucratif héritage par le biais de quatre sociétés. Leurs méthodes de gestion des droits sont régulièrement dénoncées par quelques journalistes – bannis par le clan Rodwell sur une liste noire. De quoi alimenter une polémique récurrente. Dans ce contexte, la création de ce musée était-elle une manière de faire taire les critiques, en démontrant que l’œuvre d’Hergé n’a pas été totalement privatisée par ses ayants droit, qui conservent encore plus de 90 % de ce qui a été produit ? Le résultat, celui d’un musée a minima, le laisse en effet penser.
Ce n’est pourtant pas faute d’y avoir mis les moyens. Financé intégralement par Fanny Rodwell, le musée aura en effet coûté 17 millions d’euros. Prévu pour être implanté à Bruxelles, il est finalement échu – après avoir été envisagé en Suisse et à Paris ! – à Louvain-la-Neuve, ville verte expérimentale construite sur dalle dans les années 1970, après la scission linguistique avec l’université catholique, et flamande, de Louvain (Leuven).
Pour tintinophiles avertis
Le choix n’est pas mauvais. Bien desservi depuis Bruxelles (à une trentaine de minutes), le musée occupe un vaste site à l’orée d’un bois. L’ajournement d’un projet immobilier voisin l’a toutefois privé d’un accès digne de ce nom : la passerelle de béton conçue par Portzamparc pour relier le musée au centre-ville est pour l’heure prolongée par un pont en bois incongru. Choisi par la veuve Hergé, l’architecte français y a néanmoins livré du bon Portzamparc. Manifestement inspiré par son travail pour la Cité de la musique, à Paris, son vaisseau de béton brut haut perché s’ouvre de larges baies. Il offre trois étages de parcours muséographique, scindés en deux par une large faille que le visiteur franchit par des passerelles. Celles-ci ménagent de belles vues sur ce paysage cher à Hergé, dont la maison de campagne se trouvait à quelques encablures. « Ces paysages du Brabant wallon ont inspiré Hergé, qui les reprend pour traiter les environs du château de Moulinsart », souligne Laurent de Froberville, directeur du musée et ancien secrétaire général du domaine de Cheverny (Loir-et-Cher). Démarrant au troisième étage, le parcours, scénographié par le dessinateur Joos Swarte, évite de trop se focaliser sur Tintin pour présenter les différentes facettes du travail d’Hergé. Œuvres originales, planches crayonnées et autres croquis d’attitudes, exposés sur des chevalets – l’architecte n’ayant pas offert de murs plans au musée – illustrent la diversité de ses talents (graphiste, publicitaire, auteur de feuilletons...). Au second niveau, une salle plus ludique, le « Laboratoire », présente quelques maquettes, dont celle de la célèbre fusée, commandée par Hergé pour permettre à ses collaborateurs d’en étudier les moindres détails. La section consacrée à la présentation du Studio Hergé, où trône sa grande table à dessin, rappelle en effet la division du travail qui y régnait. Clos sur une salle consacrée à la Gloire d’Hergé, le parcours réjouira probablement les tintinophiles avertis. Mais il laissera sur leur faim les non-initiés ou les simples curieux. Ses concepteurs auront oublié qu’un musée n’est pas un simple conservatoire d’œuvres mais aussi un lieu de recherche – les archives sont restées à Bruxelles – et de médiation envers les publics. 200 000 visiteurs annuels sont attendus. Il ne fait aucun doute qu’ils se déplaceront, tant l’attente était grande. Mais il n’est pas aussi sûr qu’ils aient envie de revenir.
Rue du Labrador, 26, Louvain-la-Neuve, B-1348, tél. 00 32 10 448 421, www.museeherge.com, tlj 10h-18h.
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Hergé en son mausolée
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Abonnez-vous dès 1 €- Architecte : Christian de Portzamparc
- Coût : 17 millions d’euros
- Scénographie : Winston Spriet et Joost Swarte
- Superficie : 3 600 m²
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : Hergé en son mausolée