L’affaire de la statue égyptienne Sésostris III, achetée en 1998 à Drouot par les époux Pinault, est repassée le 17 novembre devant la cour d’appel de Paris. Il s’agissait d’un renvoi, l’arrêt d’appel ayant finalement été cassé par la Cour de cassation. Le jugement a été mis en délibéré au 20 janvier 2009. Décryptage d’un imbroglio artistico-judiciaire.
PARIS. « Sésostris III aurait fini sa vie dans l’aigreur », a ironisé le président de la cour d’appel de Paris (1re chambre), le 17 novembre à l’issue de deux heures d’audience d’une affaire qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Dix ans, pratiquement jour pour jour, après leur achat pour 770 000 euros à Drouot, le 10 novembre 1998, de la sculpture égyptienne en pierre représentant le pharaon Sésostris III, les Pinault demandaient l’annulation de la vente. Dans cette affaire, ils ont été déboutés une première fois par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 31 janvier 2001. Une expertise judiciaire menée par deux conservatrices du Louvre, Christiane Desroches-Noblecourt et Élisabeth Delange, avait conclu que la sculpture était bien antique, unique en son genre car datant de la fin du Moyen Empire, c’est-à-dire réalisée quelques décennies après la mort de son modèle. Cette image commémorative de Sésostris III serait selon elles une première en égyptologie. Malgré ce rapport d’expertise, les époux Pinault plaident le faux en appel, mais ils sont à nouveau déboutés par un arrêt du 25 mars 2002. Suite à une expertise tardive et non contradictoire en tracéologie mettant en évidence l’utilisation d’outils modernes pour la taille du Sésostris III, les collectionneurs tentent un recours en révision qui échoue. Ils forment alors un pourvoi en cassation. Le 27 février 2007, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel, constatant que la statue antique ayant été réalisée postérieurement au règne du pharaon (selon le rapport d’expertise), « la référence à la période historique portée sans réserve expresse au catalogue n’était pas exacte ». Le 17 novembre, toutes les parties étaient à nouveau réunies devant la cour d’appel autrement composée.
Dans cette nouvelle étape judiciaire qui n’est peut-être pas la dernière, Me Philippe Combeau, le conseil des époux Pinault, a plaidé l’erreur sur la substance en reprenant le moyen retenu par la Cour de cassation. Les experts judiciaires ont déterminé que la statue avait été exécutée postérieurement au décès du pharaon Sésostris III, entre 1850 et 1720 avant J.-C., alors que le catalogue de vente, en indiquant « Égypte. Moyen Empire (XIIe dynastie, 1878-1848 avant J.-C.) », la présentait comme datant du règne du roi. Or, Me Combeau avance que les Pinault la voulaient effectivement créée du vivant du pharaon. Il a aussi présenté une demande d’annulation de la vente pour dol, car on a dissimulé aux Pinault une controverse parmi des spécialistes de renom quant à l’authenticité de la sculpture et que consécutivement, leur consentement en a été vicié. Il est ainsi question du professeur Dietrich Wildung, grand égyptologue allemand spécialiste du Moyen Empire, qui a averti une première fois oralement l’expert de la vente, Chakib Slitine, de ses objections stylistiques concernant la statue qui devait être fausse. Le professeur Wildung après avoir vu le catalogue de vente a également adressé une lettre au président de la compagnie des commissaires-priseurs de Paris pour lui faire part de ses remarques en tant que spécialiste de la statuaire du Moyen Empire. Subsidiairement, l’avocat des Pinault a sollicité une demande de résolution de la vente pour défaut de conformité, soit une subtilité juridique qui reprend l’argument que la statue n’a pas été réalisée dans la période signalée au catalogue.
Hiéroglyphes effacés
Me Jean-Loup Nitot, avocat du vendeur de la statue, du commissaire-priseur et de l’expert de la vente, a défendu que ses clients s’étaient engagés, non sur les dates de règne de Sésostris III qui sont purement indicatives, mais « sur la seule période historique à laquelle il est fait référence, c’est-à-dire le Moyen Empire ». Il a émis des doutes « quant au fait que les époux Pinault aient attaché quelque intérêt au fait que la sculpture ait été réalisée du vivant du pharaon ». Il a aussi précisé que, contrairement à ce que prétend Dietrich Wildung, les objections formulées par ce dernier à l’expert de la vente Chakib Slitine avant la vente « portaient quasiment exclusivement sur les hiéroglyphes effacés prétendument apocryphes ». Niant l’ambiance générale de tromperie dénoncée par les Pinault et une sorte de réticence face à une information ambiguë qui leur aurait été masquée, Me Nitot précise que le catalogue fait d’ailleurs longuement état de réserves que certains ont émises à cause des hiéroglyphes gravés sur le socle de la sculpture. Par ailleurs, il ajoute que Wildung aurait exprimé ses réserves stylistiques bien après la vente. Dans son court réquisitoire, l’avocate générale a posé ouvertement la question de la lecture que l’on devait faire du catalogue de vente. Elle y a vu : « une statue égyptienne en granodiorite du Moyen Empire » et a considéré que le catalogue ne pouvait s’engager sur autre chose, particulièrement pas sur les dates de règne de Sésostris III comme période de fabrication de la statue. La cour se rebellera-t-elle contre la Cour de cassation qui a tranché en faveur des Pinault ? L’arrêt qui a été mis en délibéré, sera rendu le 20 janvier 2009.
* légende photo : La statue de Sésostris III, lors de son arrivée au laboratoire SEMA en mai 2002, pour une analyse de tracéologie. © D.R.
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Le pharaon maudit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Le pharaon maudit