Vingt ans de travaux, des polémiques d’une rare virulence, la restauration de la chapelle Sixtine n’aura pas été une entreprise comme une autre. Après les œuvres grandioses de Michel-Ange, les restaurateurs sont intervenus sur les fresques du XVe siècle rythmant les parois latérales de la chapelle. Peintes par des artistes aussi importants que le Pérugin, Botticelli ou Ghirlandaio, en un temps record de sept mois, elles ont souffert de la comparaison avec la terribilita de leur bouillant successeur, mais n’en constituent pas moins un jalon essentiel dans l’histoire de la peinture, sur lequel la restauration a permis d’apporter un certain nombre de révisions.
Saint des saints du palais du Vatican, la chapelle Sixtine a toujours bénéficié d’un soin particulier de la part des papes. Avant l’intervention de Michel-Ange sur la voûte et le mur derrière l’autel, Sixte IV avait demandé à quatre maîtres florentins et ombriens de réaliser deux cycles de fresques relatant L’Histoire de Moïse et La Vie du Christ. Fondé sur une lecture parallèle de l’Ancien et du Nouveau Testament, ce décor met en regard divers épisodes soigneusement choisis dans les existences respectives des deux personnages bibliques, comme la Circoncision du fils de Moïse et le Baptême du Christ, la Mort de Moïse et la Cène, ou encore la Punition des rebelles et la Remise des clés à saint Pierre. En légitimant le pouvoir spirituel exercé par le souverain pontife, cette dernière fresque constitue sans doute la représentation la plus caractéristique de l’idéologie papale.
Si ces implications iconographiques échappent certainement au plus grand nombre, le nettoyage des fresques interdit désormais aux visiteurs de les ignorer au profit des audaces michelangelesques. Après vingt ans, la campagne de restauration de la Sixtine est en effet achevée. Elle avait commencée en 1979 avec la voûte de Michel-Ange, et s’était poursuivie par le Jugement Dernier. La dernière phase concernant les deux cycles de fresques du XVe siècle a été réalisée sous la direction d’Arnold Nesselrath, responsable du département d’art byzantin, médiéval et moderne aux Musées du Vatican.
Les fresques ont subi une opération de consolidation des enduits, avant d’être nettoyées. Un certain nombre de réintégrations ont été faites sur la couche picturale, à l’issue d’une série d’analyses physico-chimiques qui ont permis d’intéressantes découvertes. Aujourd’hui, les différentes techniques et les matériaux utilisés entre 1481 et 1482 par Cosimo Rosselli, Domenico Ghirlandaio, Sandro Botticelli et le Pérugin sont beaucoup mieux connus. Nazareno Gabrielli, responsable des recherches scientifiques, s’étonne que de tels artistes, parmi les meilleurs de l’école toscano-ombrienne de cette époque, “arrivent à Rome et exécutent parfaitement des fresques avec des matériaux qu’ils n’ont jamais utilisés auparavant. Les maîtres du XVe siècle ont travaillé sur un enduit non pas de chaux et de sable, mais de chaux et de pouzzolane [une roche siliceuse d’origine volcanique, ndlr], à la manière des “maîtres” romains antiques et avec la même habileté technique dont feront preuve plus tard Raphaël et Michel-Ange.” Il ajoute que la “palette des maîtres du XVe est bien plus riche que celle de Michel-Ange et comparable à celle de Raphaël”.
Selon Arnold Nesselrath, outre les noms déjà connus, d’autres artistes non identifiables sont certainement intervenus dans la réalisation des scènes. Il faut effectivement prendre en compte un fait peu considéré par la critique : pour peindre une surface de plus de 500 m2 en sept mois, les différents ateliers ont dû travailler dans un climat d’intense collaboration, procédant sans doute à des échanges de main-d’œuvre. La fresque du Passage de la mer Rouge, jusqu’ici attribuée à Cosimo Rosselli, pourrait par exemple être de la main de Biagio di Antonio, qui est intervenu également dans la Cène du même Rosselli. De plus, la collaboration de Luca Signorelli à la Remise des clés du Pérugin a été confirmée. Depuis longtemps soutenue par une partie des historiens, cette hypothèse s’opposait pourtant à Vasari, qui évoquait la collaboration de Bartolomeo della Gatta (lire le JdA n° 78, 5 mars 1999). Enfin, Nesselrath suggère qu’il a sans doute existé un deuxième contrat de commande, puisque le premier, daté du 27 octobre 1481, ne concernait que dix scènes. Il aurait été signé au moment de la Remise des clés, puisqu’il semble qu’alors, le Pérugin change de style et de technique pour gagner une véritable course contre la montre.
La relecture iconographique des textes illustrés reste à faire. Par exemple, dans la scène située au-dessus de Moïse confiant le rameau à Josué, Signorelli a peint, en imitant la mosaïque, Moïse abandonnant le mont Nebo. Derrière Moïse se trouve un personnage absent du texte biblique. La scène semble en fait se référer aux écrits du bibliothécaire du Vatican, Baccio Pontelli, dont le rôle dans le choix du programme iconographique de la chapelle devrait être précisé. De même, l’identification des multiples portraits de contemporains animant les scènes permettrait de mieux connaître le contexte politique et culturel dans lequel s’est déroulé le chantier de la Sixtine.
Richard Serra a installé dix sculptures monumentales dans la grande salle intérieure et les boutiques adjacentes des marchés de Trajan. L’artiste américain est un habitué de la ville, où il revient régulièrement pour s’inspirer des architectures antiques et baroques. Il a procédé à des mesures très précises de la façade de Saint-Yves-de-la-Sapience afin de vérifier les convergences entre ses œuvres les plus récentes, présentées l’été dernier au Guggenheim de Bilbao, et le rythme de l’architecture du XVIIe siècle. Les sculptures, basées sur le rapport entre les pleins et les vides, le lourd et le léger, répondent à l’architecture antique d’Apollodore de Damas, qui a conçu ces marchés non seulement comme un espace, mais aussi comme un environnement dont l’impact est lié aux couleurs, aux matériaux et aux volumes.
- Sculptures de Richard Serra, jusqu’au 5 mars, marchés de Trajan, 94 via IV novembre, Rome, tlj sauf lundi 9h-19h.
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La Sixtine vingt ans après
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°96 du 7 janvier 2000, avec le titre suivant : La Sixtine vingt ans après