Si la Biennale de Lyon peine à nouer des liens avec le milieu de l’art local, elle a su éveiller l’intérêt des institutions d’art contemporain régionales. Reconnue par tous comme un événement artistique essentiel, elle dispose des moyens de son ambition, contrairement aux autres structures consacrées à l’art contemporain à Lyon qui, financièrement, souffrent de manière chronique.
Alors que, pour l’édition précédente – “L’autre”, 1997 –, le conservateur du Musée d’art contemporain, Thierry Raspail, avait suscité la participation des galeries en leur suggérant la création d’une association d’autopromotion, les partenaires d’hier s’ignorent aujourd’hui. “Rien n’est fait pour que le public de la Biennale se sente concerné par ce qui se passe en ville”, regrette Claire Peillod, à la B.F. 15, un espace associatif pourtant soutenu par la Ville de Lyon. Malgré l’édition d’un dépliant qui annonce les manifestations concomitantes à la Biennale, édition subventionnée par la Ville, l’enthousiasme n’est plus de rigueur : “Nous ne savons même pas si ce dépliant sera distribué à la presse avec le dossier réalisé par la Biennale”, s’afflige Catherine Derrioz, à la galerie de photographie Le Réverbère 2.
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Pour Laurent Lucas, qui présente du design sous le nom de Roger Tator, “la Biennale est une grosse machine qui tourne toute seule, mais qui ne provoque aucune synergie avec les acteurs de la ville”. “Octobre des Arts était beaucoup plus ouvert que la Biennale, qui cherche surtout à n’être pas lyonnaise. C’est comme si nous avions la peste”, renchérit Geneviève Mathieu. Mais pourquoi une manifestation qui prend de l’ampleur, en tout cas en termes budgétaires (16 millions de francs en 1995, 18 en 1997, 27,5 en 2000), qui a les moyens d’attirer les journalistes spécialisés (plus de 1 000 lors de la dernière édition), un grand nombre de professionnels et un public nombreux (120 000 visiteurs en 1995, 78 000 en 1997), n’est-elle pas le fleuron d’une saison artistique ? Car tous les professionnels voudraient bénéficier de l’afflux de spécialistes et “capter une partie de ces spectateurs qui viennent à l’occasion de la Biennale”, reconnaît Catherine Derrioz.
En dehors des considérations géographiques – la Halle Tony Garnier est légèrement excentrée – et matérielles – les visiteurs ne passent généralement qu’une journée à Lyon –, il semble bien que les galeristes aient décidé d’affecter l’indifférence. “Je ne vois pas pourquoi je devrais calquer ma programmation sur une manifestation comme la Biennale, je suis mon programme, un point c’est tout”, affirme Olivier Houg.
Curieusement, les galeristes ne jouent pas sur l’événement : aucun d’entre eux n’expose un artiste présent à la Biennale, aucun ne propose d’exposition thématique proche ou en discussion avec le thème de l’exotisme (excepté Georges Verney-Carron, à Villeurbanne, avec “Partage”). Orlan et François Morellet, présents à la Biennale et représentés à Lyon par la galerie Mathieu, ne sont pas montrés : “J’ai découvert leur sélection en même temps que vous, je n’ai même pas été conviée à la conférence de presse.” Même un galeriste comme Alain Dettinger-Mayer, spécialisé dans l’art africain, l’art brut et les expressions personnelles, prétend “ne pas voir la liaison entre leur thème et notre programmation”.
Parcours institutionnel
Mobilisant difficilement les acteurs du privé, la Biennale, à l’inverse, excelle dans cette édition à rassembler les acteurs publics. Elle inscrit en parcours associé quasiment toutes les institutions “qui comptent” en Rhône-Alpes et les a convaincues de suivre sa thématique, y compris l’Institut d’art contemporain (ex-Nouveau Musée) de Villeurbanne. Aussi, les visiteurs de la Biennale seront-ils conviés à goûter aux différentes acceptions de l’exotisme avec “Et l’art se met au monde, prologue pour la Biennale” à Villeurbanne, “Autres temps-Autres lieux” au Musée d’art moderne de Saint-Étienne, “Passage public”, un colloque à la Villa Gillet (Lyon-4e), et, bien sûr, l’exposition du Musée d’art contemporain ironiquement intitulée “Exotisme sans partage”, à propos de l’“impérialisme artistique” américain. Il faut aussi mentionner “Passeurs”, révélant, au Rectangle, les anciens élèves de l’École des beaux-arts de Lyon et qui promet de belles découvertes.
La Biennale ne s’associe officiellement qu’à deux producteurs d’expositions. D’une part la société Solo, montrant Jackie Kayser à l’espace Confluence (IUFM de Lyon-4e), un artiste sélectionné dans la Biennale. “Nous sommes parvenus à cette collaboration après de longues discussions, mais je n’ai pas à m’en justifier : je connais Jackie Kayser depuis longtemps et je ne me sens aucunement solidaire des marchands”, affirme, prudente, Catherine Ergin, qui dirige Solo. D’autre part l’association Mobile 2000, qui aménage la “Barge des désirs”, trois installations dans la ville (Thierry Dreyfus, François Texier et Soo-Ja Kim, cette dernière étant présente à la Biennale).
La liaison entre l’événement fortement soutenu par l’argent public et un secteur économique fragile reste donc à inventer à Lyon. “Les fonctionnaires de l’art placent leurs artistes dans les grandes manifestations, les commissaires ont les moyens de travailler sur des thèmes originaux, mais une galerie n’a plus du tout cette capacité à créer l’événement” : la “concurrence déloyale”, ainsi dénoncée par Catherine Derrioz, est un propos qui revient souvent parmi les galeristes lyonnais interrogés. Inversement, commissaires d’expositions et conservateurs de grandes institutions répugnent à faire le travail de promotion de galeristes qu’ils qualifient de “frileux”.
Disparités budgétaires
La Biennale a acquis une forte crédibilité artistique, ne serait-ce que dans les polémiques qu’elle suscite, elle est “sans doute un événement indispensable en matière de communication pour la ville”, note Yves Robert, le directeur de l’École des beaux-arts, mais elle ne fédère pas les acteurs locaux, loin s’en faut. En se penchant sur la politique culturelle de Lyon, inscrite récemment au patrimoine mondial par l’Unesco, on remarque que la ville privilégie l’événement et s’avère incapable de structurer le milieu de l’art. Ainsi, la galerie Bellecour, qui a exposé Jean Le Gac en partenariat avec Le Rectangle, n’a pas “vu plus de monde que d’habitude” et “n’a fait qu’une seule vente”, note, fataliste, Damien Voutay.
Le succès public du Rectangle, un lieu nouveau voué à l’art contemporain et installé place Bellecour – en centre-ville –, est pourtant incontestable (l’exposition Ousmane Sow a attiré plus de 90 000 visiteurs en deux mois), mais son budget demeure modeste : 900 000 francs pour six expositions annuelles, et cet espace est aujourd’hui à la recherche d’un directeur. De même, l’ex-galerie B.F. 15, associée un temps aux graphistes de Trois Quarts Face, maintenant hébergée dans un local bien situé place des Terreaux mis à disposition par la ville et subventionnée par la DRAC, dispose d’un budget dérisoire de 80 000 francs. Sans parler du Musée d’art contemporain, dont le fonctionnement avait été évalué à 6 millions de francs par an et qui n’a obtenu que 4 millions de francs, dont seulement 2,5 millions de francs pour la production et la communication des expositions.
La Biennale serait-elle l’ogre qui étouffe ses enfants ? Est-elle disproportionnée par rapport aux moyens de la Ville ? Probablement pas, parce que son budget est largement abondé par d’autres partenaires (État et Région notamment) et parce que la Ville de Lyon dispose de capacités pour faire vivre correctement toute la chaîne des institutions qui se mettent en place. C’est plutôt le manque de volonté politique qui se manifeste dans cette sous-budgétisation chronique du non-événementiel. Ce sont pourtant ces institutions et cette chaîne de lieux, de tailles et d’ambitions artistiques variées, qui contribuent à former un public et encouragent des galeristes à rester à Lyon parce que la vie artistique y est riche. Un objectif qui, contrairement aux analyses pessimistes en usage, est réalisable pour peu qu’on donne à chacun les moyens de travailler.
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Lyon et l’art contemporain
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°107 du 9 juin 2000, avec le titre suivant : Lyon et l’art contemporain