Se retrouver à Bâle, c’est être encore en Suisse, déjà en Allemagne et même en France. La région est d’ailleurs fière de ses relations transfrontalières. Elle peut se vanter d’avoir mis sur pied un Passeport des musées du Rhin supérieur, qui donne accès à 140 institutions dans les trois pays. Ces apports divers et dispositions métissées font qu’à Bâle on n’est jamais à court d’idées. On y manifeste aussi une forme d’esprit libertaire et l’on y cultive le sens de l’opportunité. Encore faut-il de l’argent pour concrétiser les projets. Voici trois nouvelles initiatives.
À Bâle, le mécénat est une institution. Les personnes fortunées y ont le sens des responsabilités citoyennes. Pour les douze dernières années, le canton de Bâle-Ville s’est vu offrir, de leur part, 250 millions de francs suisses pour le développement de la vie culturelle. Le Musée Tinguely et la Fondation Beyeler sont dus à des initiatives privées, et une Maison de la littérature (Literaturhaus) vient de s’ouvrir grâce à l’engagement de la Fondation Christoph Merian, qui a offert 1,7 million de francs suisses pour le lancement du projet. Il y a quelques mois, Maja Oeri – au demeurant, historienne de l’art – rachetait le siège bâlois de la Banque nationale suisse pour en faire don au Kunstmuseum (Musée des beaux-arts), afin qu’il puisse s’agrandir.
Cette même personne, cette fois-ci par le biais de la Fondation Laurenz, qu’elle préside, a également décidé de faire construire un nouveau type de dépôt pour la conservation d’œuvres d’art contemporain. Cela au bénéfice de la collection de la Fondation Emanuel Hoffmann, rassemblée par sa grand-mère Maja Sacher (1896-1989). Laquelle avait financé la réalisation du Museum für Gegenwartkunst (Musée d’art contemporain), ouvert depuis 1980 et dont le fonds est constitué pour l’essentiel par la collection d’art contemporain de la Fondation Emanuel Hoffmann. Mais ce musée ne peut présenter au mieux que 10 % de cette collection. Et comme celle-ci, riche de plus de 400 œuvres de 150 artistes, est constituée non seulement de peintures et de dessins, mais surtout de vastes sculptures, d’installations, de travaux vidéo, de photographies et de films, cela pose de sérieux problèmes de conservation.
Un “Schaulager”
Aussi un nouveau concept d’entreposage a-t-il été conçu. Les pièces ne resteront plus enfermées dans des caisses, mais seront disposées dans des espaces ouverts et facilement accessibles aux spécialistes. Car cette collection est extrêmement sollicitée par des conservateurs et des commissaires d’exposition du monde entier. Le projet a été confié au bureau d’architecture bâlois Herzog & de Meuron – qui vient de signer la Tate Modern, à Londres. Le chantier de ce “Schaulager” vient de démarrer dans la banlieue, à Münchenstein. Et devrait offrir d’ici trois ans (début de l’été 2003) une surface de 21 000 mètres carrés, répartie sur cinq niveaux.
En sus des salles d’entreposage aux conditions climatiques étudiées, le bâtiment comportera une rue intérieure pour les déplacements d’œuvres, des locaux pour les restaurateurs, un accueil pour les étudiants et les chercheurs et une salle de conférences. Ce ne sera toutefois pas un musée public. Même si l’on songe à rendre possible la visite de deux immenses installations, Rattenköning (1993), de Katharina Fritsch, et une autre de Robert Gober, acquises récemment. En revanche, une façade à pans rentrants servira d’écran où seront projetées des représentations des œuvres stockées. Un spectacle que le surveillant des lieux pourra admirer à loisir depuis sa maisonnette posée juste en regard.
Une Académie Dieter Roth
Initiative moins conventionnelle encore, celle de la création de l’Académie Dieter Roth. Lancée à l’occasion d’une exposition montée dans le dernier lieu où l’artiste suisse et cosmopolite était venu s’installer juste avant sa mort en 1998. Son atelier demeure en l’état avec ses six ou sept tables et tréteaux, ses étagères bancales, toujours couvertes de quelques instruments et objets de bricolage. Il est utilisé désormais par son fils Björn. C’est ce dernier, avec le galeriste et artiste hollandais Jan Voss, qui a organisé l’exposition rassemblant les travaux d’une quinzaine d’amis de Dieter Roth, comme Sigurdur Gudmundsson, Bernd Koberling, Rainer Pretzell, Andrea Tippel. Elle se tient dans les locaux d’une imprimerie, dont la patronne, Annelise Kienle, a accueilli Dieter Roth en 1995 (Volksdruckerei, St. Johanns-Vorstadt 19, Bâle ; tous les jours 12h-20h, jusqu’au 1er juillet).
C’est lors du vernissage, le 6 mai, que le cercle des fidèles a posé les principes de l’Académie. La discussion a duré jusqu’au petit matin. Et lors de notre visite, plusieurs jours plus tard, Jan Voss en était encore à en retranscrire le protocole, se demandant s’il devait aussi y reporter la musique et les bruits divers qui avaient émaillé les échanges. Il nous a tout de même précisé que cette Académie n’aurait ni statuts, ni siège social, ni programme, ni calendrier mais décernerait un diplôme. Aux jeunes artistes qui auront effectué des stages auprès d’un certain nombre d’entre eux pour s’imprégner des préceptes interdisciplinaires et multifonctionnels de Dieter Roth. Un peu comme celui-ci l’avait fait dans sa jeunesse, lors d’une sorte de Grand Tour de formation.
Un Forum pour les nouveaux médias
Autre institution à prendre forme : le Forum für Neue Medien. L’événement se produit dans la foulée du déplacement du festival Viper de Lucerne à Bâle. Ce Festival de films expérimentaux, vidéos, cédéroms et sites Internet s’est vu offrir des conditions bien meilleures sur les bords du Rhin. Un contexte sur lequel la Fondation Christoph Merian a pesé de tout son poids en s’engageant à mettre sur pied, à Bâle, un vrai centre pour les nouveaux médias électroniques. Elle a débloqué des fonds pour cela. Le Département bâlois de la culture est entré dans le jeu. Un lieu a été trouvé, proche du Musée d’art moderne. Une responsable a été nommée en la personne d’Annette Schindler, ancienne directrice de l’Institut suisse de New York. Et en attendant son arrivée, en août, le Forum est déjà actif dans une galerie qui l’accueille entre-temps. C’est ainsi qu’à Bâle on ne laisse pas traîner les choses quand l’opportunité se présente.
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Le mécénat des possibles
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°107 du 9 juin 2000, avec le titre suivant : Le mécénat des possibles