Détesté après Sedan comme tous les fonctionnaires impériaux, il a mis plus d’un siècle à se relever des quolibets de la Troisième République. « Le bel Émilien » sort de l’ombre au château de Compiègne, qui fut le théâtre de ses succès et qui abrite aujourd’hui les collections du Second Empire.
Pourquoi Émilien de Nieuwerkerke (1811-1892), sculpteur, collectionneur et “surintendant des Beaux-Arts” de Napoléon III, personnage tout-puissant de la vie artistique au temps de la fête impériale, a-t-il été oublié dans le grand mouvement de réhabilitation du Second Empire ? Ministre des arts de Badinguet, sorte de “Vivant Denon le Petit”, tenu pour réactionnaire et myope, il était tombé aux oubliettes de l’histoire. En attendant d’installer l’électricité dans les salles de son musée, le directeur du château de Compiègne – qui ferme vers 15 heures en hiver, quand les gardiens, dans la pénombre, ne peuvent plus distinguer les œuvres – a eu l’heureuse inspiration de confier à Raphaël Masson et Philippe Luez une exposition qui permet de découvrir, sous l’image caricaturale, un homme intelligent, fin politique et séducteur, qui sacrifia à sa carrière une véritable vocation artistique.
Un homme de cour réactionnaire
Émilien de Nieuwerkerke n’a en effet pas bonne presse. Taxé de passéisme, accusé d’avoir régné en autocrate borné sur le Salon où il aurait fait barrage systématiquement aux artistes réalistes avant de faire refuser les premiers travaux des futurs impressionnistes, il incarne, mieux que tout autre, le système académique dont il fut la clef de voûte. Parmi les figures du Second Empire peu étaient tombées dans un oubli aussi profond, dans un aussi complet discrédit, que ce Batave au nom imprononçable, sénateur de l’Empire, académicien, peint par les mémorialistes comme un mondain sans goût, vaniteux, cumulant les charges, les honneurs et les rubans, fier de son nez droit et de ses moustaches cirées. Nommé dès 1848 directeur des Musées, il évince, premier crime, le peintre républicain Jeanron et quand, l’année suivante, il dessine la poignée de l’épée du général Changarnier, le sujet choisi est une allégorie de la répression de 1849, l’ordre terrassant l’anarchie. C’est lui qui s’oppose à l’entrée au Louvre du tableau-manifeste de Delacroix, La Liberté guidant le peuple, que le prince-président, plus fin politique, fait acheter en 1855. Dernier crime aux yeux de la postérité : à la tête d’une magnifique collection, Nieuwerkerke, qui, après Sedan, vit en Angleterre, la vend à sir Richard Wallace, sans même prendre la peine de faire quelques bénéfices sur le dos du richissime Britannique. La France et le Louvre perdirent, à prix coûtant, un rassemblement de chefs-d’œuvre – la “galerie d’un souverain amateur” dirent les Goncourt –, qui se trouvent toujours à Londres.
On n’a jamais cessé de lire Mérimée, on a réhabilité, à la suite des travaux de Bruno Foucart, l’art du Second Empire, Viollet-le-Duc, Winterhalter, Carpeaux et même Carpeaux peintre, pouvait-on laisser à l’écart l’artisan principal de la politique culturelle du règne ? L’enquête méritait d’être menée. En 1997, Fernande Goldschmidt avait ouvert la voie avec une biographie, Nieuwerkerke, le bel Émilien (Art international publishers). Il était devenu possible de juger sur pièces, de relancer le procès de celui qui se disait d’abord artiste, avant de devenir homme de pouvoir.
L’artiste
La vie du “bel Émilien” qui faisait chavirer les dames d’honneur de l’impératrice lors des soirées des Tuileries avait commencé de manière romanesque et peu protocolaire. Issu d’un milieu légitimiste, il avait entamé une carrière de sculpteur, encouragé par Pradier et Marochetti, fasciné par Félicie de Fauveau, la grande femme sculpteur du Romantisme néomédiéval, inspirée, fantasque, amazone qui avait voulu soulever la Vendée avec la duchesse de Berry et qu’il avait rencontrée dans son atelier de Florence. En 1838, la revue L’Artiste avait reproduit une des premières œuvres du jeune Nieuwerkerke, un groupe équestre, Mort du duc de Clarence, qui connut un grand succès et fut édité par le fondeur Susse. Espoir du romantisme, très opposé à Louis-Philippe, il se rallie au futur Napoléon III parce qu’il devient l’amant de sa cousine, la princesse Mathilde, passionnée d’art, et qui devait, sous le Second Empire, recevoir chez elle tous les acteurs de la vie intellectuelle et artistique du temps. Familier du régime, comme Mérimée, Nieuwerkerke est immédiatement couvert d’honneurs et traîné dans la boue par les journalistes républicains, au premier rang desquels le brillant Henri Rochefort. Inlassablement, parvenu au sommet, il continue d’exposer des œuvres au Salon tandis que se bouscule à ses soirées, comme l’écrit Théophile Gautier, “une véritable cohue de célébrités”.
L’œuvre de Nieuwerkerke sculpteur n’est en rien déshonorante, elle le place entre Triqueti et Marochetti, dans la galerie des sculpteurs officiels du second XIXe siècle. Parfois même, il trouve un vrai souffle, une émotion, comme dans son buste d’Eugénie de Montijo lequel fut photographié par Laisné et Defonds l’année où elle devint impératrice des Français. C’est à partir de ce moment que le temps manqua au tout-puissant Nieuwerkerke pour continuer à développer son art. Il devenait d’abord un administrateur.
Collectionneur et directeur des Musées
Le bilan du “bel Émilien” directeur du Louvre peut faire envie à bon nombre de ses successeurs. Son intelligence, son pragmatisme rappellent un Denon, même s’il ne bénéficia pas des moyens “militaires” dont disposa celui-ci sous l’Empire. Dès 1851, il a l’idée de consacrer neuf salles à la sculpture française, parent pauvre des collections. Il sait faire entrer au Louvre la collection Sauvageot en 1856, fait acheter par la France la collection Campana en 1861, attire, en 1869, le fabuleux legs Lacaze. Très critiqué au sujet des restaurations de tableaux, il réorganise les ateliers sur des bases scientifiques. Las ! La postérité ne retint que ses bontés pour les jeunes et jolies copistes du Louvre. Mettant à profit l’enthousiasme de Napoléon III pour Jules César, Nieuwerkerke suggère de transformer le château de Saint-Germain en Musée des antiquités celtiques et gallo-romaines. En province, le Musée d’Amiens notamment doit tout à son zèle bâtisseur et organisateur.
Reste la question de son goût. Denon, parmi les premiers, aima les primitifs italiens, possédait chez lui des œuvres précolombiennes et orientales, affirma l’excellence du XVIIIe siècle alors que triomphait l’Empire, style qu’il contribuait par ailleurs à inventer. Aucune originalité de ce genre chez Nieuwerkerke. Exerça-t-il un pouvoir despotique sur la politique artistique du Second Empire ? Sans doute, mais, paradoxalement, conclut Philippe Luez, pas avec suffisamment de moyens : “il aura toujours manqué au surintendant la gestion des bâtiments civils et des manufactures d’une part, du théâtre d’autre part. Il ne sera jamais l’équivalent d’un ministre des Beaux-Arts”. Poste pour lequel ses qualités d’homme du monde, héros de la fête impériale, auraient fait merveille, même s’il lui manqua toujours l’esprit paradoxal et anticonformiste d’un Mérimée – ou d’un Denon.
- LE COMTE DE NIEUWERKERKE : ART ET POUVOIR SOUS NAPOLÉON III, du 6 octobre au 8 janvier 2001, Musée du Château - Collections du Second Empire, place du Général-de-Gaulle, 60200 Compiègne, tél. 03 44 38 47 00, tlj de semaine 10h00-12h30 et 13h30-18h, samedi et dimanche 10h00-18h00, fermé le mardi. Catalogue RMN, 192 p., 166 ill. dont 16 coul., 180 F.
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L’illustre inconnu du Second Empire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : L’illustre inconnu du Second Empire