Après une longue et délicate restauration, le pavillon de l’Aurore a retrouvé les couleurs du poème pictural que Charles Le Brun avait composé pour Colbert. Jalon essentiel dans la carrière du peintre, entre Vaux-le-Vicomte et Versailles, ce décor offre de son œuvre un visage plus séduisant et plus fougueux que dans la galerie des Glaces, et rappelle la fécondité de son génie.
“Elle a beau devancer le Soleil dans les cieux,
Et voler pour se rendre où son devoir l’appelle ;
Dès qu’elle ouvre la porte à la clarté nouvelle,
Le vigilant Colbert se présente à ses yeux ;
Elle le voit toujours exact, laborieux,
Toujours éveillé devant elle.”
Elle, c’est l’Aurore, qui donne son nom au pavillon élevé dans le parc du château de Sceaux pour Colbert, et dont la coupole a été peinte par Le Brun en 1672. Lu, cinq ans plus tard, lors de la réception offerte par le surintendant de Louis XIV aux membres de l’Académie française, le poème de Quinault, dont ces vers sont extraits, livre non seulement une précieuse description mais nous offre aussi les clés du chef-d’œuvre de Le Brun. Enseigné par l’exemple de Fouquet, puni de sa munificence et de son orgueil par un souverain implacable, Colbert avait pris soin de ne pas se départir de son image de serviteur fidèle et loyal ; l’interprétation iconographique offerte par Quinault l’atteste.
Si le jeune Le Brun avait vu à Rome L’Aurore de Guido Reni au Casino Rospigliosi et celle de Guerchin au Casino Ludovisi, la coupole de Sceaux, témoin à sa façon de l’émancipation de l’art français, ne conserve aucune dette à l’égard de ses glorieux aînés. L’Aurore sur son char notamment escortée par Flore et Zéphyr, sous le regard complaisant d’une Nature épanouie, chasse la Nuit incarnée par Diane. Les figures des Dioscures encadrent la composition : tandis que Castor symbolise l’étoile du matin montant au ciel avec le soleil levant, Pollux personnifie l’étoile du soir, descendant pour suivre les Heures de la Nuit.
Contrairement à Vaux-le-Vicomte et à Versailles, les travaux de Le Brun à Sceaux n’ont pas suscité autant de commentaires. Il est vrai que les siècles avaient jeté leur voile d’ombre sur l’œuvre. “La duchesse du Maine qui s’y installe en 1700 constate déjà des problèmes de conservation”, rappelle Cécile Dupont-Logié, directrice du Musée d’Île-de-France et du Domaine du parc de Sceaux. La duchesse avait d’ailleurs fait remplacer les toiles de Le Brun dans les salles adjacentes par des œuvres de Denobel. Après la guerre de 1870, en 1872 exactement, le duc de Trévise, propriétaire du domaine, réalise une restauration importante, dont les effets n’ont pas été très heureux : de nombreux repeints et un vernis qui, avec le temps, a obscurci toute la surface, ont dénaturé l’œuvre. Les pratiques hétérodoxes de Le Brun, mélangeant les techniques, ont rendu d’autant plus délicate l’intervention des restaurateurs. Pour ce décor, l’artiste n’a pas seulement employé la fresque ; certaines parties importantes et délicates telles le char de l’Aurore ont été peintes sur toile, laquelle a ensuite été marouflée sur l’enduit, tandis que divers éléments rapportés, comme les oiseaux, étaient ajoutés. Le Brun ayant travaillé assez vite, il pouvait de cette façon corriger sa composition.
Mais cet attelage hétéroclite n’a pas vieilli de façon identique dans toutes ses parties. Un morceau avait d’ailleurs particulièrement souffert : “On ne voyait plus le visage de l’Aurore, explique Cécile Dupont-Logié, les restauratrices ont dû s’appuyer sur les dessins du Louvre et sur la gravure de Simonneau réalisée à l’époque.” Cette figure vue à contre-jour constitue l’une des belles inventions de l’œuvre, qui en compte d’autres, comme cette guirlande de fleurs portée par des putti. Sa courbe ondoyante anime la composition en même temps qu’elle en unifie les différentes parties. Pour tous les “accessoires”, Le Brun a naturellement fait appel à des collaborateurs : Jean-Baptiste Monnoyer pour les fleurs, Pieter Boel pour les animaux. La redécouverte de ce chef-d’œuvre rappelle opportunément, alors que se multiplient les expositions consacrées aux peintres du Grand Siècle, que Le Brun n’a pas été sans raison l’un des plus célèbres et célébrés de son temps.
Pour accompagner la réouverture du pavillon de l’Aurore, le Musée du Louvre a prêté les 36 dessins préparatoires et cartons de Le Brun, qui seront présentés dans l’orangerie, avec d’autres études venues du Nationalmuseum de Stockholm et le modello de la coupole appartenant à un collectionneur privé. Fidèle à la méthode apprise dans l’atelier de Vouet qui lui même la tenait des Bolonais, Le Brun avait en effet réalisé de nombreuses études des différents groupes et personnages, lesquelles étaient ensuite reportées sur des cartons à l’échelle. La campagne de restauration sera aussi évoquée dans cette exposition.
- LE PAVILLON DE L’AURORE, LES DESSINS DE LE BRUN ET LA COUPOLE RESTAURÉE, 2 octobre-31 décembre, Musée de l’Île-de-France, Orangerie du domaine de Sceaux, Château de Sceaux, 92330 Sceaux, tél. 01 46 61 06 71, tlj sauf mardi, 1/11 et 25/12, 10h-17h. Catalogue, éd. Somogy, 120 p., 80 ill. coul., 150 F ou 210 F.
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Le jour se lève à Sceaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : Le jour se lève à Sceaux