L’Asie les a conquis. Ils ont contracté le virus à différentes étapes de leur vie. Certains en y vivant ou en y séjournant, d’autres par l’intermédiaire de proches ou en apprenant une langue orientale. Douze marchands parisiens vous invitent à l’occasion de l’Automne asiatique, du 27 septembre au 25 novembre, à un parcours à travers l’Asie, de galerie en galerie. Vous découvrirez du mobilier, de l’archéologie, des sculptures, des céramiques, des estampes mais aussi de l’art contemporain chinois. L’occasion de faire plus ample connaissance avec quelques-uns des principaux acteurs de cette manifestation.
Christian Deydier est un des rares à être né en Asie. Au Laos, il y a cinquante ans. Fils d’un ethnologue qui fut conservateur des musées de Vientiane et de Hanoi, et qui travailla à la conservation du site d’Angkor, il a côtoyé dès sa plus tendre enfance des universitaires de renom. Il n’est donc pas surprenant qu’il opte pour une carrière de chercheur. Il se spécialise en archéologie chinoise et étudie les inscriptions protochinoises à l’université de Taipei. “À l’âge de vingt ans, je suis parti à Taiwan où j’ai rencontré un jésuite, le père Lefèvre, qui était le maître pour l’étude des inscriptions protochinoises. J’ai été séduit par le fait qu’il s’agissait d’une écriture qui n’était pas encore déchiffrée. Nous avions plaisir à découvrir quelque chose de nouveau.” Il opte ensuite pour une carrière d’antiquaire après une courte expérience d’expert en art d’Extrême-Orient à Drouot et pose ses valises à Londres où il ouvre une galerie en 1987 pour se confronter aux grands marchands anglais, puis une succursale à Paris dix ans plus tard.
C’est à son grand-père, importateur d’objets d’artisanat et de décoration chinois et japonais que Jacques Barrère doit son éveil aux arts asiatiques. Il démarre sa carrière aux Puces à une époque où cette spécialité était encore très mal connue et la documentation inexistante. Il participe dans les années soixante-dix au mouvement de rapatriement de porcelaines japonaises. Cette spécialité était, alors, peu prisée des collectionneurs quand les Japonais s’en sont emparés. “J’ai appris à leur contact, explique l’antiquaire. Je suis allé au Japon plusieurs fois. Nous apprenions aussi par l’entremise de nos clients japonais qui arrivaient avec des livres pour nous montrer ce qu’ils voulaient.” Il s’intéresse ensuite à l’archéologie chinoise puis à la sculpture asiatique organisant, ces dernières années, des expositions sur les objets en bois du royaume des Chu puis sur la sculpture bouddhique chinoise.
Mobilier ancien de lettrés
Son emploi d’ingénieur pour un grand groupe électronique français a amené Laurent Colson (galerie Luohan) à séjourner longuement à Hongkong et Pékin. Mais sa passion pour l’Asie est beaucoup plus ancienne. “J’ai été attiré par l’Asie dès mon plus jeune âge, d’abord par l’Inde, ensuite par le Japon avant d’être fasciné par la Chine. C’est un pays très ‘latin’. Les Chinois aiment la vie. Ce sont de bons vivants contrairement aux Japonais qui sont austères et durs.” Lassé par un travail qui manque, selon lui, singulièrement de poésie, il abandonne ses anciennes fonctions et se lance dans le négoce de meubles et d’objets d’art en ouvrant, en 1997, une galerie quai Malaquais. Il s’intéresse au mobilier ancien des lettrés chinois et en particulier aux créations datant de la fin de la dynastie des Ming (1368-1644) au début de la dynastie des Qing (1644-1911).
Hervé du Peuty et Mike Winter-Rousset fêteront, cette année, les soixante-cinq ans de leur galerie, la Compagnie de la Chine et des Indes, inaugurée en 1935 par Robert Rousset. Au début, ce dernier s’oriente vers les poteries chinoises des périodes Han, Wei, Sui, Tang et Ming qu’il présente dans le cadre reconstitué d’un cabinet d’amateur de mobilier classique chinois.
Le déclic s’est opéré au Musée Guimet
La collection d’art asiatique que détenait sa grand-mère n’a pas manqué d’influer sur le choix fait par Valérie Levesque de se spécialiser en mobilier et objets d’art de la Chine et du Japon. Mais, le véritable déclic s’est opéré au Musée Guimet, alors que la jeune femme, étudiante à l’École du Louvre, visitait les collections de céramiques. “Ce fut une révélation. J’ai donc commencé dans le métier, explique l’antiquaire, en vendant des porcelaines de Chine et du Japon.” C’est aussi la porcelaine de Chine de la Compagnie des Indes qui a amené Antoine Lebel à l’art asiatique. Il était encore antiquaire généraliste quand un marchand lui conseilla de prendre une spécialité. Tombé au hasard d’un déballage devant un lot de porcelaines de Chine, il décida d’opter pour ces pièces qui l’ont d’emblée séduit. Bertrand de Lavergne présente, lui aussi, dans sa galerie un bel ensemble de porcelaines chinoises, des pièces de la Compagnie des Indes et des tabatières chinoises dont il est devenu un des meilleurs spécialistes français. “J’ai d’abord collectionné des tabatières pour moi-même avant de vendre ma collection quand je suis devenu marchand”, précise-t-il. Également spécialisée en céramique chinoise, depuis son installation à Paris, rue de Beaune, il y a vingt-quatre ans, Myrna Myers a, depuis, élargi son champ d’intérêt aux soieries anciennes d’Extrême-Orient. Tamio Ikeda est le seul marchand de l’Automne asiatique qui soit originaire d’Asie. Citoyen japonais, il exerçait la profession de comédien avant d’arriver à Paris en 1988 où il a ouvert une galerie rue Saint-Sulpice, spécialisée dans les estampes et les antiquités du Japon.
Conserver son indépendance
La singularité de ces marchands s’exprime aussi dans leur façon de concevoir leur métier. Ainsi, Jacques Barrère et son fils Antoine ont-ils choisi depuis quelques années de regrouper les objets qu’ils présentent par collection. “Nous n’avons pas une approche purement économique, explique l’antiquaire. La valeur d’un objet asiatique n’a pas toujours une cote très arrêtée. Nous sommes des grains de sable sur le parcours d’un objet qui est, lui, éternel.” Les marchands de la rue Mazarine veulent constituer une alternative crédible aux grands groupes qui sont en train de se constituer, être en situation de force pour conserver une relative indépendance. “Ma formation scientifique peut constituer un handicap dans ma façon de travailler, poursuit de son côté Christian Deydier. Il m’est arrivé de me prendre de passion et d’acheter des objets trop techniques que j’ai eu des difficultés à vendre par la suite. Ce fut le cas notamment pour une pièce exceptionnelle d’orfèvrerie chinoise. Les collectionneurs l’ont regardée avec admiration mais sans penser un instant à l’acquérir. C’était pour eux une pièce de musée.”
Si Christian Deydier partage son temps entre Paris, Londres, Hongkong et la Chine, Laurent Colson effectue la plupart de ses déplacements dans l’Empire du Milieu “Après trois mois passés quai Malaquais dans ma galerie, j’ai besoin de bouger, de m’aérer. Je me promène dans les campagnes chinoises avec mon ordinateur portable. Je fais des photographies numériques des objets que j’envoie à mes clients depuis la Chine. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’âge de l’objet, c’est ce qu’il véhicule. J’aime les formes dépouillées à l’extrême qui créent une ambiance propice à la méditation.”
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« Des grains de sable sur le parcours éternel de l’objet » (part I)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : « Des grains de sable sur le parcours éternel de l’objet » (part I)