La libre interprétation de la thèse développée par Jacques Attali dans « Une brève histoire de l’avenir », pour réussie qu’elle soit, aurait mérité plus de place pour répondre à l’ambition du propos
PARIS - Il est rare que les expositions du Louvre quittent l’histoire de l’art pour s’aventurer dans la grande histoire. « Une brève histoire de l’avenir » devait à l’origine être organisée en mai 2014, comme l’avait annoncé Jacques Attali en avant-première dans le JdA du 27 avril 2012 (no 368). Mais les contingences diplomatico-financières ont prévalu et il a fallu céder la place à une présentation de la collection du Louvre-Abou Dhabi pour agréer à nos amis émiratis. Un volet contemporain devait aussi s’ouvrir au Palais de Tokyo. En raison d’une programmation surchargée cet automne au centre d’art, ce sont les Musées royaux des beaux-arts de Belgique qui ont repris le projet (lire ci-contre).
La communication sur l’exposition insiste lourdement sur la référence au livre éponyme de Jacques Attali, ce qui se comprend d’un point de vue publicitaire mais apparaît un peu fabriqué. L’ouvrage, paru en 2006 (éd. Fayard), tente de prévoir ce qui va se passer dans les cinquante prochaines années en s’appuyant sur les enseignements du passé. L’essentiel est précisément constitué de prédictions, que l’économiste et conseiller d’État appelle les « vagues de l’avenir » et qui sont au nombre de cinq. Mais ce n’est pas au Louvre que s’écrit l’avenir, c’est à Bruxelles. Le Louvre, lui, puise son propos dans l’histoire ancienne qui n’occupe qu’un seul petit chapitre du livre, et dans l’histoire du capitalisme, un chapitre plus épais mais dans lequel les commissaires Dominique de Font-Réaulx et Jean de Loisy ne sont allés chercher que quelques pages. Ils ont notamment fait l’impasse sur ce qui est le plus original dans cette partie de l’analyse d’Attali : la succession des capitales du capitalisme qu’il nomme des « cœurs ». Bruges, Venise, Anvers… vont l’une après l’autre dominer le monde jusqu’au neuvième et actuel « cœur », Los Angeles. Ceci étant, le propos reste malgré tout titanesque : raconter le monde. Attention, ce n’est pas un vague prétexte qui permet de rassembler des œuvres en tous genres. Les commissaires ont réellement la volonté d’offrir une lecture du passé et (un peu) du présent à l’aide d’un discours construit et argumenté. Ils expliquent ainsi l’origine des sociétés humaines, puis le développement des moyens de transport et des échanges, la vie des empires, la transmission des savoirs, l’élargissement du monde, la révolution industrielle, la lutte pour liberté et la naissance de l’homme moderne avant d’aboutir à la situation d’aujourd’hui.
La scénographie mise au service d’une telle ambition emprunte une étroite ligne de crête entre deux écueils. D’un côté, l’exposition peut basculer dans le documentaire avec la présence de moult dispositifs numériques et audiovisuels comme on le voit dans certains nouveaux musées d’histoire. De l’autre, elle prend le risque de perdre le visiteur par des œuvres trop allusives et poétiques. Les commissaires ont intelligemment su trouver le bon chemin : « spectaculaire et sensible », selon les termes de Dominique de Font-Réaulx. De ce point de vue, c’est une réussite et on relève plusieurs moments forts. Là où, il y a trente ans, on aurait probablement fait commencer l’histoire de la civilisation avec l’Antiquité égyptienne et romaine, au Louvre, la présence très importante d’objets de Mésopotamie rappelle opportunément que l’Irak actuelle est à l’origine des fondements de nos sociétés humaines. Le cycle des empires est magistralement illustré par la série de Thomas Cole (1801-1848), Le Destin des empires (entre 1834 et 1836). Cette suite, qui n’a jamais été exposée en France, raconte en cinq tableaux le destin d’une ville, métaphore d’un empire de sa naissance à sa destruction. Un buste d’Homère aveugle surplombe une forêt de casques et lances, évoquant plus subtilement qu’un tableau pompier la guerre de Troie, mère de toutes les guerres. Mais il y a aussi des moments plus faibles. Ainsi celui sur les jardins et paradis perdus illustré par des céramiques d’Iznik aux motifs végétaux ou, dans un registre différent, par un tableau de Jeff Koons (Gazing Ball, Gilded Bikini, 2013) aussi laid qu’incongru.
Problème d’espace
L’art contemporain est très présent dans l’exposition. Ces œuvres n’ont pas la même visée illustrative que les pièces anciennes et offrent une pause poétique dans le parcours, à l’instar des toiles d’araignée de Tomás Saraceno qui métaphorisent les réseaux relationnels humains. Le problème est qu’elles occupent beaucoup de place dans un espace ridiculement petit. Le Diary of Clouds (2007-2008) d’Ugo Rondinone, par exemple, une immense bibliothèque de nuages en cire qui se veut le pendant d’études de nuages de peintres anciens, est beau à regarder mais très volumineux. L’installation d’Ai Weiwei qui clôt le parcours est efficace visuellement et sémantiquement, mais phagocyte un espace qui aurait gagné à être alloué en partie à la section sur les sociétés modernes, inutilement encombrée par huit grands tableaux peu enthousiasmants de Chéri Samba. L’exiguïté des lieux est le grand reproche que l’on peut faire à cette exposition qui aurait mérité au moins le double d’espace. Le Louvre montre qu’il sait raconter des histoires, il devrait assumer avec plus de générosité ce talent.
Commissaires : Dominique de Font-Réaulx, conservatrice générale au Musée du louvre, directrice du Musée national Eugène-Delacroix ; Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo ; Jacques Attali, conseiller scientifique
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Le Louvre sait aussi raconter des histoires
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 4 janvier 2016, Musée du Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 40 53 17, tlj sauf mardi et jf, 9h-17h30, le mercredi et vendredi jusqu’à 21h30, www.louvre.fr, entrée 15 €. Catalogue, coéd. Snoeck/Musées royaux de Belgique, 224 p., 32 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°443 du 16 octobre 2015, avec le titre suivant : Le Louvre sait aussi raconter des histoires