Les commissaires invités à concevoir une exposition et étrangers au monde de l’art suscitent tantôt l’admiration, tantôt la méfiance de leur environnement.
De plus en plus médiatisée, la figure du commissaire d’exposition ne se cantonne plus au monde de l’art. En 1990, Le Louvre confie le parcours de « Mémoires d’aveugle. L’autoportrait et autres ruines » au philosophe Jacques Derrida, la première carte blanche d’une longue lignée. Aujourd’hui, le nom de Jacques Attali est associé à « Une brève histoire de l’avenir », exposée en même temps à Paris et à Bruxelles. Dans quelle mesure ces personnalités ont-elles contribué à la sélection des œuvres présentées ? Ont-elles été sollicitées pour leur notoriété ou pour leur sensibilité ? Au commissaire ignorant s’oppose le commissaire initié. Le premier apparaît comme un produit marketing ; le second se voit offrir un nouveau moyen d’expression. Entre coups de pub et traits de génie, musées et galeries tendent surtout à l’originalité.
Du métier au label
On distingue trois catégories de commissaires, les salariés ou indépendants qui ont reçu une formation ad hoc, les artistes qui mettent en scène leur propre travail et les personnalités plus ou moins rattachées au monde de l’art. « Nous étions dans une situation paradoxale, deux artistes commissaires qui se réapproprient leur œuvre, en évitant le regard du curateur extérieur », explique le critique Benoît Peeters en référence à « Revoir Paris », projet conçu avec le dessinateur François Schuiten à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Si Versailles invite chaque année un plasticien à investir ses jardins sous la tutelle de son personnel, le Louvre ouvre régulièrement ses réserves à un écrivain. Ainsi, le commissaire glisse progressivement d’une profession à un titre.
Un titre parfois difficile à assumer. « Je suis presque gêné, quand je lis “exposition de Philippe Djian” », déclare l’auteur. « Je ne suis pas un artiste. La seule chose que je pouvais faire, c’était le catalogue », dont la rédaction fut concomitante à l’accrochage. À l’inverse, le Louvre et les Musée royaux des beaux-arts de Belgique proposent aujourd’hui un parcours inspiré d’un ouvrage préexistant de Jacques Attali, 2050. Une brève histoire de l’avenir. L’économiste a participé au projet en tant que conseiller dit « scientifique ». Et pour cause, n’était-il pas le mieux placé pour parler de son livre ? À la science, au savoir, du commissaire expert répond le flou, où patauge a priori son homologue « artistique ». C’est ainsi qu’Olivier Kaeppelin et Bernard-Henri Lévy ont défini leurs rôles respectifs dans la conception des « Aventures de la vérité. Peinture et philosophie : un récit » à la Fondation Maeght, en jouant sur les adjectifs.
Un travail d’équipe
Bien souvent, le commissaire néophyte est amené à travailler avec un commissaire aguerri, soit parce qu’il se noie dans les collections dont il a exceptionnellement la charge, soit parce qu’il essuie le mépris des conservateurs, aux deux sens du terme. « Je n’aurais pas pu m’en sortir sans Pascal Torres », admet Philippe Djian. « Je ne connais pas tous les tiroirs du Louvre. Sans lui, je n’aurais pas pu accéder à certains prêts. » Peur du changement ? De l’inconnu ? Les nouvelles recrues ne sont pas toujours les bienvenues. « Travailler avec un duo peut provoquer des tentatives de prises de pouvoir. Un intermédiaire peut se sentir frustré par notre complicité. Nous tenions à cette démarche pour rompre la rigidité des procédures classiques. L’exécution stricte d’un plan de travail aurait pu conduire à quelque chose de prosaïque », explique Benoît Peeters. De fait, la célébrité n’ouvre pas toutes les portes, loin de là. Si le commissaire diplômé sert souvent de guide, il ne se contente pas de fournir un carnet d’adresses. Quant au commissaire invité, il a souvent plus à faire valoir que sa renommée. « Je n’étais qu’un aiguillon. Bernard-Henri Lévy vit également entouré d’artistes. Il lançait et relançait lui-même les demandes de prêts », déclare Olivier Kaeppelin.
Toute vedette n’est pas forcément perçue comme une pièce rapportée. Le commissariat se divise parfois en parts équitables. « Au-delà de sa légèreté apparente, Pharrell Williams est un bourreau de travail. Il avait autant de responsabilités qu’Emmanuel Perrotin et moi », concède Ashok Adiceam, cocommissaire de l’exposition « GIRL », à la galerie Perrotin. Exit les adjectifs hiérarchiques, donc. Plus son partenaire se montre appliqué et impliqué, plus le commissaire officiel est enclin à déléguer.
Une spontanéité discutée
Ce genre de passation de pouvoirs donne lieu à des projets très personnels, que les connaisseurs voient plutôt d’un mauvais œil. Deux craintes dominent : le copinage et le hors sujet. Les projets du Louvre, de la galerie Perrotin, et de la Fondation Maeght sont effectivement nés « d’une rencontre ». A contrario, la galerie Thaddaeus Ropac préconise une plus grande distance. « Nous ne choisissons pas n’importe qui. Je ne connaissais pas Isabelle Huppert, mais sa passion pour la photographie », précise la commissaire Bénédicte Burrus. Une précaution qui ne suffit pas à rassurer les plus sceptiques : l’accrochage conçu par l’actrice, à partir de l’inventaire de la Fondation Robert Mapplethorpe de New York, manquait de sérieux face à un accrochage scientifique. « Le Grand Palais, qui consacrait alors une rétrospective au photographe, trouvait notre méthode sans fond. Or, nous ne voulions surtout par montrer des clichés que le public connaissait déjà. » Bien que controversé, le choix d’un fil rouge subjectif doit par conséquent permettre de sortir des sentiers battus.
Portés par la confiance qu’il leur est accordée, les heureux élus sont rarement contre renouveler l’expérience. « Nous sommes à l’aise tant en 2D qu’en 3D », confirme Benoît Peeters. « Encore faut-il que l’on me propose un autre projet », nuance Philippe Djian. Du côté institutionnel, l’avis est partagé : les uns redoutent la lassitude du public, les autres estiment avoir trouvé le bon filon. « Ce devait rester une composition unique. Emmanuel Perrotin ne voulait pas donner l’impression d’appliquer une recette », explique Ashok Adiceam. Quant à la galerie Thaddaeus Ropac, elle n’a pas fini d’explorer l’œuvre de Mapplethorpe à travers le regard de stars triées sur le volet. L’architecte Peter Marino est le prochain sur la liste.
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Ces commissaires venus d’ailleurs
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Abonnez-vous dès 1 €Jacques Attali. Photo D.R.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°442 du 2 octobre 2015, avec le titre suivant : Ces commissaires venus d’ailleurs