Des personnalités issues du cinéma, de la mode et du football sont appelées à créer l’événement dans les musées et les galeries.
En 2009, David Lynch mettait en scène onze vitrines pour les Galeries Lafayette, en même temps qu’il exposait une série de lithographies à La Galerie des Galeries. Les vitrines des Galeries ne sont donc pas seulement le symbole de la société de consommation, mais contribuent à rendre visible la diversité des pratiques de cet artiste à l’univers fantasmatique. Ce type d’événement n’est qu’un exemple de configurations apparues récemment dans le paysage artistique, et donne à voir que des opérations de décentrement sont en marche, permettant à un public toujours plus élargi, pas forcément aguerri à la fréquentation des musées, d’accéder à l’art.
De Lilian Thuram, commissaire d’exposition au quai Branly…
Autre facette de cette ouverture, Lilian Thuram – ex-star de l’équipe de France championne du monde de football – est l’actuel commissaire général de « Exhibitions. L’invention du sauvage », au Musée du quai Branly. Thuram, créateur de la fondation Éducation contre le racisme, tente de démontrer comment la différence raciale et ethnique a été exhibée et scénarisée par le regard occidental. Sa position est celle d’une personnalité qui a acquis une grande notoriété auprès du public, qu’il met au service de la lutte contre le racisme et contre les idées reçues, « conditionnées » dans les esprits. Il touche le plus grand nombre par un discours politique s’inscrivant dans notre histoire, celle du colonialisme. Ici, encore une fois, les lignes bougent, la popularité de Thuram devient l’étendard d’une cause importante dans une très grande institution culturelle.
… à Sofia Coppola, « curator » pour la Galerie Ropac
Au même moment, Sofia Coppola était la curator, en novembre 2011, d’une exposition du photographe Robert Mapplethorpe pour la Galerie Thaddaeus Ropac. Cette exposition s’est inscrite dans un cycle initié par la galerie, visant à créer un nouveau regard sur l’œuvre du photographe. Sofia Coppola succède notamment à Hedi Slimane, ancien directeur artistique de Dior Homme. Les retombées médiatiques sont grandes. Une vraie curiosité est née, surtout celle de savoir quel choix d’œuvres avait fait une cinéaste connectée aux milieux de la mode et de la musique comme Sofia Coppola. Mais saluons l’ambition quasi-muséale de la galerie qui a permis à la commissaire de consulter les archives de la Fondation Robert Mapplethorpe de New York. Dans ce contexte, la galerie s’est également vu prêter quatre œuvres appartenant à des institutions. La galerie d’art deviendrait musée si les œuvres n’étaient pas à vendre, entre 15 000 et 115 000 euros pour des tirages d’époque.
La fonction de galerie d’art se déplace donc vers celle de lieu d’exposition, au sens fort du terme : au-delà d’un accrochage, c’est la mise en scène d’une interprétation originale de l’œuvre. En ce sens, Sofia Coppola est bel et bien commissaire puisqu’elle reconsidère l’œuvre de Mapplethorpe sous un angle personnel : courant le long des murs de la galerie, l’accrochage est délibérément serré, sur le modèle de la planche de story-board de cinéma. Le film ici en gestation serait une histoire d’orchidées, de vagues, d’animaux et d’enfance, bien loin des hommes nus, souvent en érection, qui ont fait la réputation sulfureuse de Mapplethorpe. Sofia Coppola étant une cinéaste des moments vacants et de la contemplation poétique de l’instant, on pourraît même considérer cette exposition comme un autoportrait.
Le déplacement du modèle muséal
Parallèlement, les galeries d’art, lieux destinés à la vente et qui n’ont a priori pas de vocation muséale, font de plus en plus souvent appel à des commissaires d’exposition dont c’est le métier. On observe ce phénomène notamment dans les jeunes galeries, présentant souvent des artistes dont la cote est à construire. En attestent les récents commissariats de Christophe Le Gac et de Gaël Charbau pour la Backslash Gallery (née en 2010 à Paris), dans une exposition en deux volets intitulée « Le royaume et l’exil ». Les raisons de ce commissariat sont très claires : « Nous avons fait intervenir des curateurs, qui sont des gens influents dans le marché de l’art, et qui connaissent nombre de jeunes artistes. […] Les commissariats d’exposition proposent aussi une confluence de réseaux et font venir de nouveaux visiteurs », explique Delphine Guillaud, l’une des trois galeristes.
On peut aussi citer la Galerie Martine et Thibault de la Châtre, qui a récemment fait appel au commissaire David Rosenberg pour un accrochage de Noël caustique et hilarant. Ces commissaires d’exposition explorent de nouveaux terrains d’analyse en se confrontant aux enjeux du marché ; mais, en même temps, ils permettent aux galeries de rencontrer de nouveaux artistes et d’être les hôtes d’expositions au discours approfondi, qui n’ont parfois rien à envier à des expositions de centres d’art.
Que les lignes se déplacent, on ne peut que s’en réjouir, bien que le phénomène soit protéiforme et recouvre des ambitions commerciales ou intellectuelles souvent très différentes.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Ces commissaires venus d’ailleurs
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Ces commissaires venus d’ailleurs