Pour étayer l’exposition qu’il a imaginée pour la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, le philosophe livre un ouvrage singulier, entre catalogue et chronique, glose et récit.
Au cœur de la littérature d’art, hautement polysémique, le catalogue d’exposition constitue un genre à part entière, et parfaitement identifié, avec ses outils et ses passages obligés, son articulation et son rythme spécifiques, son énonciation neutre, sa pudeur et sa retenue, peut-être même sa pudibonderie et sa révérence. Manière d’en faire un instrument irréprochable dont l’impartialité le disputerait à la science. Aussi l’ouvrage conçu par Bernard-Henri Lévy pour sa démonstration saint-pauloise – une exposition dont il ne nous revient pas d’estimer ici l’éventuelle efficience – est-il, par sa forme et son développement, un objet pour le moins excentrique, et salutaire à qui veut bien regarder le centre du genre et le mouvement centripète qui, de plus en plus, gouverne la littérature d’art.
Déploiement
Édité par Grasset, l’ouvrage mesure 21 par 25 cm. À cet égard, il tient du catalogue et du recueil, du manuel et du traité. Broché, il est doté d’une couverture mimosa, qui l’inscrit dans la prestigieuse « collection jaune » de l’éditeur parisien, dissimulée sous une jaquette blanche reproduisant au recto une illustration d’une toile de Jean-Michel Basquiat (Sans titre, 1981-1982). L’ouvrage se déploie de manière limpide, et en deux moments distincts. En premier lieu, et sur papier vélin, se succèdent une préface d’Adrien Maeght, une longue lettre de quarante-six pages, adressée par le commissaire au directeur de la fondation, Olivier Kaeppelin, la réponse de ce dernier et, enfin, sur cent huit pages, des extraits du journal tenu par Bernard-Henri Lévy lors de l’élaboration du projet.
En second lieu, et sur papier glacé, se révèlent en deux cent dix pages les sept séquences d’une démonstration soucieuse de pénétrer la teneur « du conflit – ou de la complicité – plus que millénaire entre peinture et philosophie ». Cette dernière partie, qui ressortit plus spécifiquement au genre du catalogue, héberge pour chaque œuvre une reproduction, en pleine page ou non. Cet effort iconographique louable eût été opportun si la qualité des images n’avait été parfois déplorable – ainsi la Sainte Véronique (1630) attribuée à Simon Vouet, comme vidée de sa puissance chromatique, ou encore le Faust (2000) de Markus Lüpertz, réduit au rang de vignette floue.
Hybridation
Techniquement ambivalent, et inégal, l’ouvrage l’est également intellectuellement. La seconde partie, avec ses notices fiévreuses, où défilent les références platonicienne, hégélienne et foucaldienne, et par un sens éprouvé de la formule impérative (« La philosophie a perdu. La peinture a gagné. »), ne saurait contenter ni l’historien de l’art, avide en références et en contextualisations, ni l’amateur. Non que le sens soit obtus – l’auteur sait être passeur, à l’occasion –, il est parfois servi, et desservi, par des propositions syncopées, par des contournements historiques qui peuvent faire passer, dans l’ordre, d’Alexis Rockman, à Cosmè Tura et à Jan Fabre. Cadence échevelée dont l’impétuosité dédaléenne ne tient guère en face du Discours parfait (2010) de Philippe Sollers ou du Vertige de la liste d’Umberto Eco (2009). La faute, sans doute, à l’hybridation du projet, à sa dangereuse bâtardise, qui voit l’ouvrage perpétuellement hésiter entre envergure poétique et dessein scientifique, l’ambition analytique contenue dans la jaquette ne parvenant à dissimuler la dimension littéraire trahie par la couverture jaune.
Herbier
Cet herbier intellectuel ne fonctionne que dans l’assomption du projet littéraire qui le préside et dans le renoncement à des propositions controuvées – Gleizes et Chenavard seraient des artistes méconnus – ou conformistes – sont convoquées toutes les idoles contemporaines, de Daniel Buren à Marina Abramovic. Il convient donc de lire la première partie de l’ouvrage pour ce qu’elle est réellement : une note d’intention cyclopéenne, dont l’introduction sous forme de lettre, véritable éloge de la transparence, permet de mesurer la distorsion entre le projet de papier originel et son incarnation muséale définitive. Ainsi gravés, lacunes et manques dévoilent regrets et repentirs, cimentés par un journal qu’habite une fièvre inouïe – de la pensée comme de la langue. Obsédé par une sincérité que seules garantissent l’audace et la candeur, le diariste et l’épistolier dit les prêts ratés, les artistes fielleux et les collectionneurs malveillants, les coups du sort et les revers de fortune, les traverses libyennes et les souffrances cliniques, les faux-semblants et les précieux ridicules, toute cette vie tempétueuse dont il est certain qu’elle aiguise les jeux de rôle et les rôles du je. Comme celui de Charles Juliet – l’un des plus grands écrivains actuels –, le journal de Bernard-Henri Lévy est présidé par une honnêteté insubmersible qui le voit souvent triompher quand le premier avoue souvent échouer. Tout est dit, écrit…
Bernard-Henri Lévy, Les Aventures de la vérité. Peinture et philosophie : un récit, Paris, éditions Grasset et Fasquelle, 342 p., 30 €.
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Bernard-Henri Lévy - Les Aventures de la vérité : peinture et philosophie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : Bernard-Henri Lévy - Les Aventures de la vérité : peinture et philosophie