L’art royal du Bénin fascine, depuis le XVe siècle. Sans doute parce qu’il est proche de l’art européen avance Yves Le Fur, responsable des collections permanentes du Quai Branly.
Quelles sont les réactions des premiers visiteurs de l’exposition ?
Yves Le Fur : C’est un vrai succès. Le public découvre avec un certain étonnement un art différent de la sculpture sur bois aboutissant à des créations souvent éphémères et sans apparente profondeur historique. Le bronze permet de restituer une chronologie, de distinguer des ateliers et même des maîtres. Ces œuvres furent parmi les premières à être reconnues comme étant de l’art en Europe car elles étaient proches des arts européens et de la statuaire.
Très tôt après le sac de la ville de Bénin et de la destruction du palais, on a vu arriver à Londres des œuvres qui ont été achetées principalement par trois musées d’ethnologie, Vienne, Berlin et Londres. Mais ces pièces étaient encore considérées comme un art sauvage. Elles ont très vite été appréciées par les artistes. Derain s’exclamait après sa visite au British Museum « C’est pharamineux ! C’est affolant d’expression ! »
Comment les deux cent quatre-vingts objets visibles dans l’exposition ont-ils été réunis ?
Deux expositions avaient été consacrées au royaume de Bénin dans le passé. En 1932 au musée du Trocadéro, il y avait eu « Bronzes et ivoires du royaume de Bénin », mais c’est seulement en 1990 qu’avait eu lieu une seconde exposition « Bénin, trésor royal » au musée Dapper.
L’ensemble actuellement visible à Paris a déjà été présenté cette année à Vienne. L’exposition a été conçue par Barbara Plankensteiner, commissaire générale de l’exposition, qui a organisé la succession des objets de manière thématique, la partie contemporaine étant exclue à Paris. À Vienne, chaque thème était illustré par des plaques de bronze historiées. À Paris, on découvre un ensemble de ces remarquables plaques qui séduisent par leur réalisme.
Quelle est l’histoire de ces plaques ?
Elles ont été créées à partir du XVIe siècle grâce aux quantités de cuivre qui ont afflué dans le royaume sous forme de manilles avec l’arrivée des Portugais. Par la suite, les plaques ont été déposées, probablement à la fin du XVIIe siècle, et les Britanniques les ont retrouvées après la prise de la ville de Bénin enfouies « sous la poussière des siècles ». Leur grande originalité réside dans leur réalisme, qui n’est pas courant dans l’art africain. D’autre part, la disposition des personnages, en particulier leur taille proportionnée à l’importance sociale de chacun, a pu être influencée par des images trouvées dans des livres portugais dans lesquels on découvrait cette convention. Par la suite, ces plaques ont été utilisées comme archives par les Oba.
Certaines des œuvres exposées ont été achetées au musée Barbier-Mueller de Genève. Que nous apprennent-elles de particulier ?
L’une des Têtes en bronze, exposée au Pavillon des Sessions, n’est probablement pas une tête d’Oba mais plutôt une Tête de captif vaincu. On y distingue en effet sur le front deux groupes de scarifications verticales qui signalent un ennemi vaincu. Il s’agirait donc d’un trophée marquant la capture d’un ennemi important, un roi du Nord tué au combat. Cette Tête dépourvue de couronne daterait de la fin du xve ou du début du XVIe siècle, période où l’on sait qu’il y a eu des guerres entre le royaume de Bénin et d’autres royaumes au nord.
A-t-on d’autres témoignages sur cette guerre avec le Nord ?
On s’est beaucoup interrogé sur la signification d’un Pendentif avec cavalier portugais représentant un cavalier sur sa monture. Il fait sans doute référence à l’aide apportée à Bénin par les Portugais. L’expansion militaire de Bénin à cette époque avait été facilitée par les Portugais, qui avaient fourni des armes et même des canons. Deux sont exposés, l’un venu du British Museum, l’autre de Berlin.
Comment a-t-on reconstitué l’apparence du palais du XVIe au XVIIIe ?
On dispose de sources, en particulier un Coffret en forme de palais (XVIIe ou XVIIIe siècle). Le toit est recouvert de tuiles en bois fixées par des clous. Sur la tourelle, au centre, trône un oiseau monumental au-dessous duquel ondule un serpent. À droite et à gauche, deux soldats tirent sur des oiseaux. Cette scène commémore la victoire de l’Oba Esigie en 1515-1517.
Il y a aussi une Plaque représentant une galerie du palais (XVIe-XVIIe siècle). On y retrouve le serpent qui descend. Ce passage est gardé par des hommes armés. Cette description confirme dans l’ensemble l’autre source de renseignements dont nous disposons, la description d’Olfert Dapper en 1868.
Que sait-on des sanctuaires royaux ?
Sacrés et secrets, ils étaient situés au cœur du palais. L’Oba y jouait son rôle de chef spirituel, de nature sacrée. Ces sanctuaires sont connus grâce à des photographies prises par les Britanniques à leur arrivée. Les têtes d’Oba en bronze sont surmontées de défenses en ivoire sculptées représentant des rois du passé ou des animaux symboliques, éléphants et léopards, connus pour leur puissance.
Que sait-on de la vie et de la personnalité de la reine mère, l’Iyoba ?
C’était la seule femme jouissant d’une position aussi prestigieuse. Cette dignité avait été créée au XVIe siècle par l’Oba Esigie. Toute reine mère n’était pas forcément Iyoba, il n’y en a eu que dix-sept sur trente-huit Oba. Sur les sculptures, elle porte une coiffure relevée en hauteur, ses cheveux sont retenus par un filet de perles de corail. Autour de son cou, d’autres colliers de corail sont plus ou moins hauts selon les portraits.
L’Iyoba avait son palais personnel. Son animal symbolique était le coq, celui qui chante le plus fort. Coqs et poules étaient appréciés en ce qu’ils constituaient des offrandes aux dieux.
Dans l’ensemble, cette exposition a-t-elle répondu à vos souhaits ?
Oui, dans la mesure où elle a atteint un triple but : donner d’abord l’idée d’un grand art africain susceptible de rivaliser avec les œuvres universelles les plus célèbres, ensuite donner une idée de la profondeur historique de cette période et, enfin, montrer la complexité des rapports anciens entre l’Europe et l’Afrique.
1486 Après la visite du roi portugais Alfonso d’Aveiro, le royaume de Bénin développe des échanges commerciaux florissants avec le Portugal. Une route commerciale vers l’Europe est établie et facilite l’importation de sculptures en ivoire.
1893-1894 Le Bénin devient la colonie française du Dahomey.
1897 À la suite de la prise de la ville de Bénin et de la destruction du palais royal, plus de 2 000 objets sont ramenés en Europe. La présence de cet ensemble sur le marché de l’art européen favorise la constitution de collections muséales.
1960 Le Bénin accède à l’indépendance.
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Yves Le Fur : « Derain s’exclamait : c’est pharamineux »
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « Bénin, cinq siècles d’art royal » jusqu’au 6 janvier 2008.
Commissariat : Barbara Plankensteiner.
Musée du Quai Branly, 37, quai Branly, Paris VIIe. Métro : Bir-Hakeim, Alma-Marceau, Iéna. RER : Pont de l’Alma.
Ouvert le mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h, le jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h. Fermeture hebdomadaire le lundi. Tarifs : 8,50 € et 6 €. Tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°597 du 1 décembre 2007, avec le titre suivant : Yves Le Fur : « Derain s’exclamait”‰: c’est pharamineux »