Suisse - Art contemporain

Wim Delvoye, agent provocateur à Genève

GENÈVE / SUISSE

Mettant à profit sa carte blanche, l’artiste fait souffler un vent de désacralisation sur les collections classiques et modernes du Musée d’art et d’histoire.

Genève. Pour cette quatrième carte blanche, le Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève a invité cette année Wim Delvoye (né en 1965) à se confronter à ses collections encyclopédiques. Après l’Autrichienne Jakob Lena Knebl, le commissaire d’exposition français Jean-Hubert Martin et le Suisse Ugo Rondinone, c’est au tour de l’artiste flamand de plonger dans les réserves pour créer un parcours au long de quinze salles du rez-de-chaussée de l’immense bâtiment muséal. C’est « de la rencontre entre l’appétence de l’artiste et l’incroyable richesse des réserves du MAH que s’est imposée l’idée de l’exposition, explique le directeur des lieux, Marc-Olivier Wahler. Il a une connaissance extraordinaire de l’art, plus profonde que la plupart des artistes. C’est un grand collectionneur, dans le domaine de la numismatique ou de la photographie chinoise par exemple. C’est aussi sa passion d’aller chercher dans les moindres recoins des choses que les gens auraient oubliées qui me fascine. »

Le rapport aux choses, œuvres d’art ou objets du quotidien, sacrés ou profanes, voilà bien le cœur du propos de Delvoye qui affectionne de brouiller les pistes, détourner les objets, transformer des objets de valeur en « objets démocratiques ». Ainsi de l’incrustation de médaillons aux figures d’héroïnes de Walt Disney dans les décors historiques des salles, de l’exposition de sa collection d’étiquettes de La Vache qui rit mise en écho avec les collections numismatiques du musée ou de l’insertion de simples objets de consommation dans des boîtiers précieux chinés dans les réserves du musée. Quelle est la valeur des choses ?, interroge à sa manière Wim Delvoye qui renvoie dos à dos un arrosoir et seau en plastique et un magnifique nautile gothique. Loin de mettre de « l’ordre dans les choses », comme annoncé dans le titre de l’exposition, l’artiste se plaît à y insuffler toujours plus de désordre. Objets issus des collections du MAH ou provenant de celles de l’artiste, prêts de collections privées ou publiques se mêlent à ses propres œuvres (dont certaines réalisées pour l’exposition) dans un joyeux bazar.

Un bruit assourdissant

Pour qui connaît les excès que Wim Delvoye, depuis des décennies, se plaît à distiller œuvre après œuvre, tantôt distordant l’image des architectures gothiques, tantôt inventant une machine à produire des excréments (Cloaca, 2000) ou tatouant des cochons, nulle surprise. On retrouve tous ces éléments dans cette mise en scène dans laquelle « le ludique et le sérieux sont mis en tension », selon Marc-Olivier Wahler.

Le visiteur ne sera donc pas étonné de retrouver le musée genevois paré dès le début du parcours des allures d’une fête foraine. Il y est accueilli par un bruit assourdissant : celui produit par des circuits de billes de métal qui animent des sculptures de Delvoye dans la première salle du parcours et résonnent avec le procédé des salles suivantes – des circuits grillagés accrochés au plafond et aux parois dans lesquels dévalent de lourdes billes d’acier [voir ill.]. « Tout est mouvement », explique l’artiste qui fait de ce dispositif surprenant une métaphore. « La sculpture est sublimée par le mouvement de la bille que suit le regard. Car le regard ne peut se poser sur une seule chose. » On le comprend assez vite, cette exposition n’est pas une invitation à la contemplation. Pour cette première partie, Delvoye a confronté des statues classiques d’Antonio Canova ou de James Pradier avec ses propres reproductions d’œuvres « twistées », comme ce Vénus et Adonis d’après Canova dont la torsion extrême des corps et des extrémités nous enjoint de tourner autour de la sculpture.

Le goût de l’artiste flamand pour la facétie et la provocation s’affirme dans la suite du parcours : les sombres gravures des prisons de Piranèse (en réalité des fac-similés d’œuvres du MAH), plus loin des tableaux de Picasso et de Warhol (des répliques peintes par l’artiste lui-même) ou des sculptures sacrées en bois de l’époque gothique (appartenant à la collection de l’artiste) sont toutes des œuvres trouées pour laisser passer le circuit de billes. C’est l’effet « waouh ! » que souhaite produire Delvoye sur le regardeur : l’indignation d’abord devant la maltraitance d’« œuvres d’art », puis le soulagement et le sourire à la découverte du dispositif. L’inclination à l’absurde et à l’ironie, chère à la belgitude, sous-tend bien sûr cette exposition dont la figure tutélaire pourrait bien être René Magritte : son tableau Madame Récamier de David (1949), à défaut d’être présent, orne les couvertures de livres collectionnés par Wim Delvoye.

« C’est une exposition très suisse », argue néanmoins l’artiste belge qui a choisi de présenter de nombreuses pièces d’horlogerie, pendules et autres maquettes aux côtés d’œuvres d’artistes helvétiques – ainsi rend-il hommage avec la projection de la fameuse vidéo Le Cours des choses (1987) au duo Peter Fischli et David Weiss, et plus loin à ce créateur de machines étonnantes aux mécanismes bien huilés qu’était Jean Tinguely.

Si on ne peut que saluer la justesse des réflexions qui servent de moteur à l’exposition (quelle place, quel rôle, quelle valeur pour les objets des collections de musée en 2024 ?) et le talent de Delvoye à créer de l’amusement, on reste quelque peu sur sa fin. Et si tout ça n’était finalement que beaucoup de bruit pour rien ?

L’ordre des choses. Carte blanche à Wim Delvoye,
jusqu’au 16 juin, Musée d’art et d’histoire, 2, rue Charles-Galland, Genève.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : Wim Delvoye, agent provocateur à Genève

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