Angoulême retrace la carrière du dessinateur américain décédé en 2005 avec un beau corpus
de planches montrant comment il a anticipé l’évolution du 9e art.
ANGOULÊME - Dans la pénombre, un projecteur est braqué sur une silhouette en noir et blanc avant qu’apparaissent les contours d’imposantes caisses en bois, recréant l’ambiance des docks d’une ville imaginaire, clone du New York des années 1940. C’est ainsi que le visiteur est propulsé dans l’univers de Will Eisner (1917-2005), figure de la bande dessinée américaine, qui fait l’objet d’une exposition à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (CNBDI) à Angoulême (Charente) à l’occasion du centenaire de sa naissance. Cet événement, le tout premier consacré à l’auteur hors du sol américain, est coproduit par le CNBDI et le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, signe tangible de la réconciliation des deux institutions.
Le parcours, chronologique, déroule la double carrière de l’auteur, à travers un riche corpus d’une centaine de planches originales, manuscrits et photographies, dont de nombreuses pièces venues des États-Unis et jamais vues en Europe. Passés les premiers dessins – d’une grande maturité pour un adolescent de 17 ans – et la période du studio Eisner & Iger, le visiteur entre dans l’univers du personnage emblématique du dessinateur : le détective justicier The Spirit. Nées en 1940 du succès des comic books, ses aventures sont publiées dans les quotidiens et connaissent rapidement le succès auprès d’un lectorat adulte. Si Eisner reprend les codes du roman policier, il transcende l’exercice, grâce à la distance instaurée par sa malice et son second degré. Ses personnages aussi résistent aux stéréotypes, comme ses femmes présentant des formes aussi sculpturales que leur caractère est trempé. Le justicier masqué dénué de super-pouvoirs est prétexte à un portrait de la ville et de ses habitants. Ce succédané de New York est croqué en noir et blanc, plongée et contre-plongée, ombre et lumière, dans une esthétique influencée par les films noirs de l’époque. La Cité a réuni plusieurs pages d’ouverture de la série permettant d’apprécier l’ingéniosité d’Eisner, lequel intégrait dans le dessin des effets de typo ou un jeu avec les publicités. La section suivante, consacrée à son entreprise de communication visuelle et à ses commandes réalisées entre autres pour l’armée, montre que l’auteur a anticipé le mouvement de la BD « pédagogique », dont l’industrie use et abuse aujourd’hui.
Le roman graphique
Quelques décennies plus tard, s’ouvre une nouvelle page de sa carrière. Rompant avec l’esthétique du Spirit, Eisner revient sur son enfance misérable à New York dans Un pacte avec Dieu (1978), dont une dizaine de planches sont ici présentées. C’est l’acte de naissance du roman graphique, une forme littéraire qu’il explorera jusqu’à sa mort. « Il n’a pas inventé le terme mais s’y est immédiatement reconnu », précise Jean-Pierre Mercier, co-commissaire. Avec des effets visuels moins spectaculaires qu’à ses débuts, l’auteur développe la question du racisme et de l’identité juive. À noter, la présence de plusieurs planches dans lesquelles les cases disparaissent au profit d’un astucieux découpage dicté par le dessin. On entre ici dans la fabrique d’un genre qui marque un tournant dans l’histoire de la BD pour la faire entrer dans les librairies et lui donner ses lettres de noblesse. L’ensemble du parcours raconte en creux une page de l’histoire de la BD, dont Eisner est l’un des rares auteurs à proposer un travail critique. « Eisner avait de très grandes ambitions artistiques et était un très bon business man. Il est le seul auteur à avoir conservé les droits de son personnage. Aux États-Unis, il a été un grand avocat de l’émancipation de la BD », explique Jean-Pierre Mercier.
La scénographie, réalisée par l’agence Lucie Lom, met en valeur le parcours. Avec la ville pour fil rouge, la mise en scène joue sur l’ombre et la lumière, passant d’un travail en volume aux silhouettes épurées de la ville. « Dans l’œuvre d’Eisner, la ville est un acteur au même titre que ses personnages, le parcours mène le visiteur des docks au cœur de la ville », explique Marc-Antoine Mathieu, de Lucie Lom (et par ailleurs figure de la BD contemporaine).
On apprécie encore la présence de deux parcours enfants sous la forme de jeux de piste, qui confèrent plusieurs niveaux de lecture à l’exposition. Le ministère de la Culture a labellisé cette présentation de l’œuvre d’Eisner, en la déclarant « exposition d’intérêt national », une première pour la BD.
Commissaires : Stéphane Beaujean, directeur artistique du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême ; Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique au CNBDI Nombre d’œuvres : environ 100
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Will Eisner, l’intégrale
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 15 octobre, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, quai de la Charente, Angoulême, www.citebd.org, du mardi au vendredi 10h-18h, le week-end et jf 14h-18h, juillet et août jusqu’à 19h, entrée 7 €.
Légende Photo :
Will Eisner, The Spirit Teacher’s Pet, planche 1. © Will Eisner Studios Inc.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Will Eisner, l’intégrale